– Où voulez-vous en venir ?
– Mais... à une évidence. Après un moment de conversation, Elsa s’est étonnée que je ne l’aie pas encore embrassée : je lui ai donné satisfaction...
– En y prenant grand plaisir d’après ce que j’ai pu voir !
– Parce qu’il aurait fallu, en plus, que ce soit une corvée ? C’est vrai que j’ai trouvé cet instant agréable : votre amie est une femme exquise...
– A merveille ! Vous vous retrouvez fiancé : vous allez pouvoir l’épouser.
Cette explication se déroulant au long de la galerie puis du grand escalier, Aldo estima qu’il valait mieux s’expliquer face à face et arrêta Lisa en empoignant son bras :
– Il faut tout de même savoir ce que vous Voulez ? Je sais d’expérience que vous êtes entêtée comme une mule mais je vous rappelle que vous teniez à ce que je continue à passer pour le grand amour de cette pauvre femme. Que devais-je faire, selon vous ?
– Je ne sais pas ! Sans doute avez-vous agi au mieux mais...
– Mais rien du tout, Lisa ! Si vous aviez pris la peine d’écouter aux portes...
– Moi ? Ecouter aux portes ? s’écria-t-elle indignée.
– Vous, non. Cependant il me semble bien me souvenir qu’il est arrivé à... Mina, de recourir à ce mode d’information simple et pratique. Souvenez-vous du jour où nous avions reçu la visite de lady Mary Saint Albans ! ... Cela dit encore, j’ai laissé entendre à Mlle Hulenberg que je devais regagner Vienne afin d’y poursuivre un traitement. Donc je vais repartir, et bientôt !
– Etes-vous si pressé ? fit Lisa avec le superbe illogisme d’une fille d’Eve.
– Eh oui ! À l’heure qu’il est, le comte Solmanski est allé dans je ne sais quelle direction avec les bijoux d’Elsa et surtout avec l’opale après laquelle nous sommes condamnés à courir, Adalbert et moi.
Il y eut un silence au cours duquel Lisa resta un moment sans bouger et la tête baissée. Quand elle la releva ce fut pour planter dans les yeux de son compagnon son beau regard sombre chargé de nuages :
– Excusez-moi ! soupira-t-elle. Je me suis laissée emporter plus que le sujet ne le méritait. Restez au moins jusqu’à ce fameux dîner qu’Elsa va demander à Grand-mère ! ...
– Elle l’a peut-être déjà oublié.
– N’y comptez pas ! Elle est encore plus têtue que moi...
– Les femmes sont impossibles ! explosa Morosini quand il se retrouva seul avec son ami. On me fait jouer un rôle ridicule et ensuite on se plaint que je le joue trop bien ! Je vais filer d’ici ! J’en ai plus qu’assez de cette histoire !
– Au point où nous en sommes, trois ou quatre jours de plus sont sans grande importance, lénifia Vidal-Pellicorne. Je comprends que ça t’agace mais tu peux toujours te dire que c’est une bonne cause.
– Une bonne cause ? J’aurais cent fois préféré qu’on dise la vérité à Elsa. Elle va nous mener où, cette comédie ? Et pendant ce temps-là l’opale galope.
– Laisse la police faire son travail ! On aura peut-être des nouvelles aujourd’hui...
On en eut mais elles n’étaient guère encourageantes. L’assassin du comte Golozieny et les bijoux semblaient s’être dissous dans la nature : pas plus de traces que s’il eût été un elfe ! Quant à la baronne Hulenberg à qui Schindler avait rendu visite le matin même, c’était un modèle d’innocence : elle était venue passer quelques jours d’automne à Ischl avec son chauffeur et sa femme de chambre ; elle adorait cette jolie ville posée sur ses rivières quand l’automne roussissait ses jardins encore fleuris de marguerites et de chrysanthèmes, cependant elle n’allait pas tarder à repartir. Non pour Vienne mais pour Munich afin d’y voir quelques amis.
Certes, elle avait reçu son frère pendant quelques jours. Le malheureux était désespéré par la disparition de sa fille, la fameuse lady Ferrals, qui s’était enfuie d’Amérique pour échapper à des terroristes polonais et se réfugier, en principe, dans les montagnes suisses mais qu’il lui avait été impossible de retrouver. Craignant le pire, après d’infructueuses recherches, il était venu jusqu’à Bad Ischl afin d’y goûter un peu de réconfort auprès de sa sœur avant de se diriger sur Vienne et Budapest. Depuis que, le lundi précédent, il avait pris le train à Ischl, aucune nouvelle de lui n’était arrivée.
– Et qu’est-ce que vous voulez que j’objecte à tout ça ? dit Schindler qui était venu boire un verre au bar de l’hôtel avec les deux amis. Tout ce que j’ai pu faire, c’est interdire à la Hulenberg de quitter Ischl et la tenir sous surveillance. Encore est-ce grâce à vous deux ! Si vous ne m’aviez pas révélé la véritable identité de Fraulein Staubing, je serais obligé de la laisser tranquille. Là, je peux discuter avec elle sur des bases plus sérieuses.
– Vous avez vérifié le départ de Solmanski ?
– Oui. Sa sœur l’a bel et bien accompagné au train à l’heure et au jour dits.
– Cela fait tout de même trois morts dont un diplomate autrichien ! remarqua Morosini...
– Et nous n’avons aucune preuve. Ils ont opéré à Hallstatt en venant et en repartant par le lac sans qu’on puisse savoir où ils ont atterri. Quant à la nuit dernière, l’obligation où nous étions de rester invisibles m’a empêché sans doute de déployer un dispositif suffisamment rapproché. La voiture que nous avons arrêtée était la bonne mais nous n’y avons rien trouvé qui permette de la retenir. En outre, on nous a juré, à Saint-Wolfgang, que la baronne y avait bel et bien dîné chez des gens au-dessus de tout soupçon.
– Et la maison qui a sauté, à qui appartenait-elle ?
A un chanoine de la cathédrale de Salzbourg, féru de pêche mais qui n’y vient jamais en automne à cause de ses rhumatismes. Quant au couple qui gardait la prisonnière, il s’est enfui avant l’explosion. Il est recherché activement et sera peut-être notre chance d’appréhender les coupables. Comme ils pensaient que Mlle... Staubing ne sortirait pas vivante de l’aventure, ils n’ont pas caché leurs visages et elle a pu nous en donner une assez bonne description. Bien entendu, on les recherche.
Le policier vida sa chope de bière et se leva :
– J’espère, dit-il, que vous restez encore quelque temps. Nous aurons besoin de vous. D’ailleurs, ajouta-t-il à l’adresse d’Adalbert, vous n’en avez peut-être pas fini avec les études que vous avez entreprises à Hallstatt ?
L’archéologue fit la grimace :
– Le drame qui s’y est déroulé a un peu refroidi mon ardeur.
– Quant à moi, reprit Aldo, je ne pensais pas prolonger outre mesure les vacances que je me suis accordées pour accompagner Vidal-Pellicorne. Mes affaires m’attendent et je souhaiterais rentrer à Venise aussitôt que possible...
– Nous ne vous retiendrons pas trop longtemps mais vous devez comprendre que vous êtes, avec les dames de Rudolfskrone, nos principaux témoins. Et d’autant que vous avez eu l’occasion de rencontrer ce Solmanski...
Adalbert qui, depuis un instant, semblait captivé par le bout de ses doigts qu’il examinait avec sollicitude, déclara tout à coup, comme s’il venait d’être visité par une pensée soudaine :
– Si je peux me permettre un conseil, Herr Polizeidirektor, c’est de prendre langue avec l’un de vos collègues anglais que nous connaissons bien, le Chief Superintendant Gordon Warren, de Scotland Yard...
– Oh j’en ai déjà entendu parler ! Si je me souviens bien, c’est lui qui avait en charge l’affaire Ferrals ?
– Tout juste ! Si j’étais vous, je lui raconterais par le menu nos derniers événements, en ajoutant que nous avons tout lieu de croire que Solmanski a encore frappé. Il sera content de savoir où il se trouvait jusqu’à cette nuit et d’apprendre qu’il a une sœur dans le coin. De son côté, il vous dira peut-être où en sont les choses en Angleterre...
– Pourquoi pas ? Il s’agit là d’une affaire internationale et une collaboration discrète mais intelligente pourrait être efficace. Merci, monsieur Vidal-Pellicorne ! Ce que je vais aussi essayer de savoir c’est où se trouve sa fille puisque, d’après la baronne Hulenberg, il la recherche.
Aldo échangea un bref regard avec Adalbert mais se contenta de prendre une cigarette et de rallumer. Il avait accepté de donner asile à Anielka, ce n’était pas pour livrer cette information à la police. La malheureuse avait déjà suffisamment pâti de son expérience devant le tribunal d’Old Bailey et ce n’était pas parce que son père était un monstre à l’échelle planétaire qu’elle devait payer pour lui ou, mieux encore, servir d’appât.
Schindler reparti, Adalbert se commanda une autre fine à l’eau, prit sa pipe, la bourra avec un soin pieux, l’alluma, tira une longue bouffée voluptueuse et, finalement, soupira :
– Belle chose, la chevalerie ! Mais je me demande si tu as eu raison ? Imagine que Solmanski arrive à savoir où se trouve sa fille et qu’il choisisse d’aller la rejoindre ?
– A moins qu’Anielka n’ait pris la peine de l’informer elle-même, il n’y a aucune chance pour ça. Elle a bien trop peur que d’autres retrouvent sa
te. Rassure-toi ! Il n’y a à Venise qu’une jeune
Américaine nommée Anny Campbell. Quant à toi, je ne vois pas pourquoi tu soulèves ce lièvre ? Toi non plus tu n’aurais rien dit à ce policier.
– C’est vrai, admit Adalbert avec un sourire en coin. J’avais envie de savoir ce que tu me répondrais...
Le lendemain, Alexandre Golozieny fut porté en terre sous des rafales de pluie et de vent qui soulevaient les feuilles mortes pour les envoyer se coller un peu partout et menaçaient de retourner les parapluies assez téméraires pour s’aventurer au-dehors par ce temps d’apocalypse sous lequel tout le monde faisait le gros dos.
Digne et fière, appuyée sur sa canne et abritée tant bien que mal par le dôme de soie noire que Josef tendait au-dessus de sa tête, Mme von Adlerstein menait le convoi. A son coude, son petit-neveu, les mains au fond des poches d’un immense pardessus noir et la tête rentrée dans les épaules, s’efforçait d’offrir la plus petite surface possible aux bourrasques. Derrière eux, quelques rares amis déversés le matin par le train de Vienne suivaient avec quelques-uns des serviteurs de Rudolfskrone et une poignée d’habitants de la ville, venus là par pure curiosité et au mépris des intempéries assister aux funérailles d’un homme que la plupart ne connaissaient pas mais que sa mort tragique rendait on ne peut plus intéressant.
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