Tout en s’inclinant et en se déclarant à son entière disposition, Aldo pensa que, si l’on avait besoin d’une reine quelque part en Europe ou ailleurs, cette femme pourrait en assumer le rôle beaucoup mieux qu’une autre née sur les marches d’un trône. Elle dégageait ce fluide souverain qui attire le dévouement, au point qu’en ce qui le concernait il en venait à oublier l’opale pour ne plus songer qu’à complaire en toutes choses à cette très grande dame. Adalbert devait éprouver le même sentiment car, lorsqu’il partit pour rejoindre l’hôtel, signaler leur absence et prendre le nécessaire à un bref séjour, il murmura à son ami :
– Voilà une nuit qui comptera dans ma vie. J’ai l’impression d’avoir changé de siècle et de me retrouver dans la peau d’un paladin des temps anciens. Je me verrais assez bien en armure d’argent, chevauchant un blanc destrier et brandissant une épée flamboyante ! Nous devons délivrer une princesse captive... et perdre toute chance de récupérer l’opale ! Mais cela m’est curieusement égal...
Dans la matinée du lendemain, Morosini résolut d’aller repérer la maison que Fritz prétendait pouvoir désigner, et ce en dépit du temps affreux installé depuis quatre heures du matin. Un véritable déluge noyait le paysage, brouillant formes et couleurs ; circonstance qui allait permettre à sa petite Fiat grise à la capote relevée de passer inaperçue. De même pour les passagers : vêtus de cuir avec serre-tête et grosses lunettes, Fritz et lui étaient impossibles à reconnaître :
– Tâchez de bien ouvrir les yeux ! recommanda Aldo à son compagnon, parce que nous ne passerons sur la route qu’une seule fois. J’ai repéré un chemin peut-être un peu cahotant mais qui nous permettra de revenir ici sans trop de difficulté.
Ravi en son for intérieur de l’atmosphère tendue, mystérieuse, qui régnait à Rudolfskrone, et plus encore de la partager avec Lisa, le jeune homme assura qu’il ne lui en fallait pas davantage. Et, en effet, passé Strobl, il désigna sans hésiter un bâtiment construit en partie sur pilotis et situé à l’amorce de la pointe de Pùrglstein :
– Tenez, c’est là ! Impossible de se tromper. Cette baraque a été bâtie, il y a un moment déjà, par un pêcheur enragé qui se serait installé en plein milieu du lac s’il l’avait osé.
– Disons que c’était aussi un homme de goût ! Il a choisi l’un des plus jolis coins d’un lac qui n’en manque pas.
Le lac de Saint-Wolfgang est peut-être le plus aimable parmi ceux qui émaillent l’arrière-pays de Salzbourg et, en dépit des rafales de pluie qui obligeaient Aldo à sortir régulièrement un bras pour essuyer son pare-brise, son charme restait intact. Quant à la maison brune et trapue, assise les pieds dans l’eau et le derrière au milieu des marguerites d’automne et des petits chrysanthèmes jaunes, elle était de celles qui donnent envie de s’y arrêter un moment.
– Curieux endroit pour tenir quelqu’un en prison ? pensa-t-il à haute voix. On attendrait quelque chose de moins aimable. J’aurais plutôt cru que la baronne l’enfermerait dans sa cave...
Il put constater alors qu’il arrivait à Fritz de raisonner convenablement :
– Si c’est pour y mettre aussi une bombe, il vaut mieux choisir d’aller un peu plus loin. Et puis, ici, c’est isolé et on ne doit pas pouvoir approcher de la maison sans être vu. Il n’y a même pas un buisson dans le jardin...
– C’est on ne peut plus vrai et j’aurais dû y penser. Je dois commencer à vieillir...
– Ah ça, malheureusement on n’y peut rien ! soupira le jeune homme avec une conviction qui lui aurait valu un regard noir si Morosini n’avait été contraint de garder les yeux sur une route sinueuse, glissante et truffée de nids de poule.
– Rentrons ! grogna-t-il. Il faut savoir s’il y a des nouvelles.
Il y en avait.
Le système de correspondance usité par Golozieny et ses complices était des plus simples et remontait à la nuit des temps : un creux dans un arbre à la lisière du parc où il était on ne peut plus facile de déposer un billet ou d’en récupérer un. Le diplomate étant venu pour chasser, c’était ainsi qu’il avait trouvé le billet déposé et, le soir, au cours de sa promenade nocturne, il avait pu annoncer à ses complices aussi que les choses se passaient au mieux sans imaginer un seul instant quel gros nuage allait prochainement éclater sur sa tête.
Comme il n’était pas question, depuis qu’il était prisonnier, de le laisser gambader à travers le parc un fusil à l’épaule, Adalbert emprunta sa tenue de chasse, enfonça jusqu’aux sourcils le chapeau orné d’un blaireau, et releva le col, maintenu serré par une écharpe, du vaste loden imperméable qui emballait le tout. Il était peu probable, par cette pluie battante, que quelqu’un se donnât la peine d’observer ses faits et gestes mais un surcroît de précautions était toujours bon à prendre. Lisa, qui connaissait l’arbre en question depuis son enfance, lui servit de guide, habillée en garçon, jouant le rôle d’un valet chargé de porter les fusils.
L’expédition fut brève. Ils ne rencontrèrent pas âme qui vive, trouvèrent ce qu’ils étaient venus chercher et, comme la pluie redoublait de violence, se hâtèrent de remonter au château en jouant les chasseurs dégoûtés par un si mauvais temps.
Le message, destiné à être déposé sur le secrétaire de Mme von Adlerstein, était un peu plus explicite que le premier et contenait, cette fois, le rendez-vous attendu. Plus une surprise : c’était Golozieny escortant sa cousine Valérie qui devait apporter la rançon contre laquelle on remettrait Elsa à sa protectrice. Ce dernier détail eut le don de mettre Aldo hors de lui :
– Incroyable ! Et tellement commode ! Si nous n’avions démasqué Alexandre, ces gens-là jouaient sur le velours. Ils récupéraient leur complice et n’avaient plus qu’à s’en aller tranquillement partager le magot entre eux. Sans compter qu’on demanderait peut-être une rançon pour rendre, par la suite, l’ineffable cousin promu otage ?
– Votre imagination italienne vous emporte, mon cher prince, dit la vieille dame. Il est beaucoup plus profitable, pour ce malheureux, de continuer à jouer son rôle de parent affectueux puisqu’il caressait l’espoir d’épouser un jour Lisa.
– Il n’est pas question, coupa celle-ci, de vous laisser aller seule avec lui car c’est peut-être vous, Grand-mère, qu’on enlèverait, sachant bien quelle fortune mon père et moi serions prêts à payer pour votre libération...
– Soyez tranquille, elle n’ira pas seule, reprit Morosini. Puisque le rendez-vous est à quelques kilomètres, il faudra prendre une voiture. Votre grande limousine me paraît tout à fait indiquée : je pourrai m’y cacher...
– Et moi ? protesta Adalbert. Je fais quoi ? Je vais me coucher ?
– Il ne faut pas m’oublier non plus, dit Fritz.
– Je n’oublie personne. Je crois que nous sommes en nombre suffisant pour faire en sorte de sauver Mlle Hulenberg et ses joyaux tout en mettant fin aux activités d’un véritable bandit. Si j’ai bien compris, le lieu choisi pour l’échange est proche du lac de Saint-Wolfgang, donc pas tellement éloigné de la maison que nous avons repérée tout à l’heure.
– C’est ça, fit Lisa. Comme ils ignorent que nous savons où Elsa est cachée, ils préfèrent que ce ne soit près ni de la villa de la baronne, ni de chez nous. En outre et en cas de mauvaise surprise, les bords du lac permettent d’échapper d’un côté ou de l’autre, voire par bateau...
– Ne cherchez pas trop la petite bête, fit Mme von Adlerstein. Puisqu’on nous ramène Elsa, le mieux est de leur obéir.
Une grande lassitude se lisait sur ses traits, au point que Lisa proposa de jouer son rôle pour lui éviter l’épreuve ultime qu’elle allait devoir affronter ce soir-là mais elle refusa :
– Nous n’avons pas la même silhouette, ma chérie. Tu es beaucoup trop grande ! Je vais me reposer un peu et j’espère pouvoir jouer dignement ma partie dans cet affreux concert. Il faut, avant tout sauver Elsa... à n’importe quel prix ! Et tant pis si elle doit y perdre ses bijoux ! Cela vaut mieux que la vie et on la laissera peut-être enfin tranquille ! Retenez bien cela, prince, et ne prenez pas de risques inconsidérés.
– Tranquille ? Croyez-vous, Grand-mère, qu’elle le sera quand elle saura que Franz Rudiger est mort ?
– Elle l’a cru longtemps et nous ferons tout pour le lui cacher. Je suppose, ajouta la vieille dame avec une amère tristesse, qu’elle pourra désormais aller entendre le Rosenkavalier sans plus courir de danger...
Morosini pensa, qu’on n’en était pas encore là...
Dans l’après-midi, le chef de la police de Salzbourg se présenta au château, dans l’espoir de faire avancer une enquête que ses sous-ordres ne savaient pas par quel bout prendre à cause du silence absolu dont elle devait s’entourer. A la demande du bourgmestre de Hallstatt d’abord, de Mme von Adlerstein ensuite, la presse avait été tenue à l’écart et comme, au village, personne n’avait rien vu, chacun jugeait plus prudent de ne rien dire... en admettant que l’on eût quelque chose à dire.
Les espoirs du haut fonctionnaire reposaient donc sur Lisa, témoin de premier plan. Elle le reçut dans le petit salon de sa grand-mère, étendue sur la chaise longue, la mine dolente et une couverture sur les genoux mais il ne put pas en tirer grand-chose. Elle se sentait mieux, certes, mais ne pouvait que répéter ce qu’elle avait déjà dit : séjournant chez une ancienne amie de sa mère qui vivait fort retirée, elle avait eu l’affreuse surprise de voir la maison envahie par des hommes armés et masqués qui avaient abattu les serviteurs de Fraulein Staubing et s’étaient enfui en enlevant celle-ci après l’avoir laissée elle-même pour morte. Pareille aventure dépassait son entendement et elle n’arrivait pas à comprendre d’où venait une attaque aussi brutale qu’inattendue.
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