– Vous, Lisa... vous me traitez en ennemi ?
– Je vous traite comme le seront, en pire j’espère, ceux qui ont enlevé Elsa Hulenberg et assassiné ses serviteurs...
– Et moi, moi j’en ferais partie ?
– Si ce n’est pas le cas, intervint Morosini, expliquez-nous ce que vous êtes allé faire, dans la nuit du 6 au 7 novembre, dans la villa achetée par Mme Hulenberg, et cela en sortant d’une entrevue que vous souhaitiez secrète dans ce château de Rudolfskrone ?
Le regard que le prisonnier leva sur son accusateur refléta un effroi sincère mais ce ne fut qu’un éclair. Presque aussitôt, les lourdes paupières fripées retombèrent :
– Vous pouvez poser toutes les questions que vous voudrez, je ne répondrai à aucune...
CHAPITRE 9 DANS LA RESSERRE DU JARDINIER
La déclaration de Golozieny engendra une minute de silence que les autres protagonistes de la scène s’employèrent à apprécier chacun selon son tempérament. Le premier à réagir fut Adalbert :
– Une attitude romaine, mon cher ! gloussa-t-il, mais il m’étonnerait que vous arriviez à la conserver longtemps...
– Je ne vois pas ce qui pourrait m’amener à en changer.
– Oh, vous allez voir très vite ! Mon ami Morosini et moi n’aimons pas que les choses traînent et, depuis le « poulet » que vous avez si obligeamment déposé dans l’assiette de Mme von Adlerstein, nous aurions même tendance à la nervosité.
La protestation d’Alexandre fut immédiate et furieuse :
– Ce n’est pas moi qui ai déposé l’ultimatum.
– Comme vous ne voulez pas répondre à nos questions, nous ne vous demanderons pas qui c’est et nous tiendrons donc pour vrai que vous êtes bel et bien l’auteur de ce cadeau empoisonné. Comme nous tiendrons également pour vrai que vous êtes
l’un des auteurs du double crime de Hallstatt et de l’enlèvement puis de la séquestration d’une femme innocente. Donc nous n’avons aucune raison de vous traiter autrement qu’en coupable, ce qui va vous valoir quelques désagréments.
– Je n’ai tué personne, moi ! Qui croyez-vous que je sois ? Un homme de main ?
– Ce que vous êtes, on vient de vous le dire, fit Aldo qui avait compris le jeu de son ami. Alors répondez au moins à cette simple demande : préférez-vous mourir lentement ou rapidement ? Comme vous ne pouvez nous être d’aucune utilité et que le temps presse, je voterai personnellement pour une fin brève...
– Hé là ! doucement ! susurra Vidal-Pellicorne. Étant donné la gravité du cas de monsieur, je pencherai plutôt pour quelque chose d’un peu... élaboré. Sans aller jusqu’au découpage en dix mille morceaux usité par les Chinois, qui demande quelques heures, je verrais assez bien un supplice à la saint Sébastien remis au goût du jour. On pourrait commencer par une balle dans le genou, par exemple, puis une dans la hanche... une dans le ventre et ainsi de suite ? ...
– Vous êtes fou ? râla Golozieny. Et vous, Lisa, vous permettez à cet homme de délirer devant vous sans intervenir ? Mais c’est sans doute parce que vous êtes certaine que ces hommes ne feront rien de semblable... D’ailleurs, le bruit des détonations attirerait du monde...
Lisa lui offrit un sourire chargé de malice :
– Dans ce pays, on entend des coups de fusil jour et nuit. Quant aux menaces d’Adalbert, je les prendrais au sérieux si j’étais vous.
– Allons donc ! Et ça les avancerait à quoi de me tuer ? Cela ne vous rendrait pas Elsa...
– Non mais cela débarrasserait la terre d’un homme faux, cupide et profondément ennuyeux. Pour ma part, je n’y verrais que des avantages, conclut la jeune fille.
– Mais puisque je vous dis que je n’ai tué personne, blessé personne, enlevé personne ! Vous savez à quel point vous m’êtes chère, Lisa. Que faut-il faire pour vous convaincre que je ne suis pas coupable ?
– Dire la vérité. Je veux bien croire que vous n’avez pas de sang sur les mains mais je veux savoir, au détail près, quel rôle vous avez joué dans cette triste histoire. Et n’essayez pas de mentir si vous voulez que je vous adresse encore la parole !
– Mais Lisa, je vous jure...
– Surtout ne jurez pas ! Et retenez bien ceci : si vous refusez de nous aider et au cas, très improbable, où l’on vous laisserait la vie, sachez que votre situation deviendrait intenable : mon père, dont vous n’ignorez pas la puissance financière et les bonnes relations qu’il entretient avec votre gouvernement, s’en chargerait. Compris ?
Golozieny hocha la tête mais garda le silence, pesant de toute évidence les paroles qu’il venait d’entendre. La réflexion dut être salutaire car le regard qu’il releva sur Lisa reflétait la soumission :
– Posez vos questions ! exhala-t-il. Je suis prêt à y répondre...
– Voilà qui est sage ! applaudit Morosini. Merci de votre aide Lisa ! A présent commençons : c’est vous qui avez déposé le billet ?
– Oui. Il m’a été remis pendant que je chassais, cet après-midi.
– Quelles sont au juste vos relations avec Mme Hulenberg ?
– Ecoutez, si nous devons discuter, j’aimerais autant le faire assis sur l’un de ces bancs. Je déteste être couché à vos pieds comme un chien...
Les deux hommes accédèrent à son désir et l’installèrent là où il le souhaitait, mais sans le délivrer de ses liens.
– Voilà ! fit Adalbert. Alors, cette baronne ? Gêné tout à coup, Alexandre détourna la tête pour éviter le regard de Lisa debout en face de lui :
– Elle est ma maîtresse... depuis trois ou quatre ans. Elle a été, comme vous le savez, la seconde épouse du père nourricier d’Elsa et elle estime que les joyaux de celle-ci auraient dû lui revenir en tant qu’héritière de feu Hulenberg. Elle s’est juré de les récupérer...
– Au prix du sang ? fit Morosini dédaigneux. Et vous, vous avez trouvé naturel de l’aider dans cette entreprise criminelle ? Que vous a-t-elle donc promis ? De partager avec vous ?
– De m’en donner une partie. Ils ont une énorme valeur et, malheureusement, j’ai perdu presque toute ma fortune. En outre, vous ne pourriez comprendre que si vous la voyiez. C’est une... très belle femme, très séduisante et, je l’avoue, elle m’a... ensorcelé...
Le rire de Lisa sonna dans la pièce et détendit un peu l’atmosphère :
– Le sortilège dont vous étiez captif ne vous empêchait pas de m’accabler de vos hommages... et de courir après ma dot ? C’est ce qui s’appelle un sentiment sincère.
– Mais bien entendu ! Tous les hommes de notre classe ont eu des maîtresses avant de s’éprendre d’une jeune fille et de la rechercher en mariage...
– Vous êtes un peu vieux pour une jeune fille, coupa Aldo. Revenons-en à votre belle amie : on a vu chez elle un homme que je connais trop bien et dont, je vous l’avoue, je ne comprends pas vraiment ce qu’il vient y faire. Il s’agit du comte Solmanski.
Une vraie surprise mêlée à quelque chose qui ressemblait à de l’espoir se peignit sur les traits figés de Golozieny :
– Vous le connaissez ?
Morosini haussa les épaules et fit disparaître son arme devenue inutile.
– Qui peut se vanter de connaître ce genre de personnage ? Nous l’avons rencontré beaucoup trop souvent pour notre paix intérieure mais il est curieux qu’il se retrouve, comme par hasard, dans les lieux et places où il est question de joyaux fabuleux et qu’il essaie toujours de se les approprier par les moyens les moins orthodoxes. Cela dit, j’en reviens à ma question : que fait-il à Ischl et chez cette baronne ?
– Tout ! Il fait tout ! lâcha le prisonnier avec une rage faite sans doute de rancunes accumulées. Il est le maître ! Il règne ! ... Depuis qu’il est arrivé, Maria n’écoute plus que lui ! Il ordonne, il décide, il... exécute ! Les autres n’ont plus droit qu’à se taire et à courber l’échine !
– Curieux ! remarqua Adalbert. Mais à quel titre ? Celui de chef de bande, de général en chef ? Il n’est pas tombé un beau matin chez cette femme en proclamant sa souveraineté sans que rien l’ait laissé supposer ?
– Non. A plusieurs reprises, Maria m’avait parlé de son frère mais je ne l’imaginais pas comme ça !
– Son frère ? firent d’une même voix les deux hommes.
– Eh oui ! Maria est polonaise mais pendant de nombreuses années elle n’avait pas fait mention de sa famille. Une brouille, je crois. Et puis tout d’un coup, elle m’en a parlé. C’était l’an dernier, au moment de ce procès qui a fait tant de bruit en Angleterre à propos de la mort d’Eric Ferrals. Maria a été bouleversée et c’est alors qu’elle m’a parlé de ces gens...
– Et avant son mariage avec Hulenberg elle s’appelait Maria Solmanska ?
– Je pense, oui... je ne vois pas comment il pourrait en être autrement...
Morosini et Vidal-Pellicorne échangèrent un rapide coup d’œil. Eux voyaient très bien comment les choses pouvaient présenter un aspect différent, puisque Solmanski n’était pas le moins du monde polonais mais russe et que son véritable nom était Ortschakoff. Il y avait donc gros à parier pour que les liens entre lui et la baronne – en admettant qu’elle soit polonaise ! – soient d’une nature n’ayant pas grand-chose à voir avec la fraternité... Lisa d’ailleurs émettait à cet instant son opinion personnelle :
– Il faudra que j’interroge ma grand-mère, mais je ne l’ai jamais entendu dire que la belle-mère d’Elsa était étrangère ?
– C’est, pour l’instant, d’un intérêt secondaire. Ce qui compte c’est Elsa elle-même. Il faut la retrouver et vite ! Je suppose, ajouta Morosini en revenant au prisonnier, que vous savez où elle est ?
Celui-ci ne répondit pas et même, dans un mouvement de défense assez puéril étant donné les circonstances, il serra les lèvres :
– Oh non ! émit Aldo agacé en ressortant son arme, vous n’allez pas recommencer ? Ou vous parlez ou je vous jure que je n’hésiterai pas à tirer !
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