– A merveille ! fit Aldo soudain épanoui. A présent, Adalbert va se sentir beaucoup plus à l’aide pour vous raconter notre équipée, ce que nous avons surpris et ce que nous avons vu ensuite. C’est un conteur-né !
Ce fut au tour de Vidal-Pellicorne d’éclore comme un tournesol touché par les tendres rayons du soleil. Le regard qu’il offrit à Morosini était empreint de gratitude, puisqu’il lui donnait l’occasion de briller devant celle qui le captivait de plus en plus. Ainsi encouragé, il fut parfait, retraçant la scène nocturne sans oublier le moindre détail et surtout ce qui l’avait suivie : l’étrange et courte visite rendue par Alexandre à la toute récente villa Hulenberg.
Lisa écouta avec attention mais ne put s’empêcher de remarquer avec un demi-sourire :
– Écouter aux fenêtres, c’est nouveau ça ! Je ne vous connaissais pas cette curieuse façon de traiter vos amis ?
– Puis-je vous rappeler que, jusqu’à ce jour, la comtesse ne nous traitait pas vraiment en amis. Maintenant, si ce qu’on vient de vous dire vous paraît sujet d’amusement...
La main de la jeune fille vint se poser sur celle de Morosini :
– Ne vous fâchez pas ! Mon accès d’ironie, hors de saison, tient surtout à ce que j’éprouve une véritable angoisse. Ce que vous avez découvert me paraît des plus graves et il faut en avertir Grand-mère. Quant à moi, je ne suis qu’à moitié surprise : je n’ai jamais aimé ce cousin-là !
D’un mouvement vif, elle se levait pour aller vers la porte mais Adalbert la retint par un pan de sa robe d’intérieur :
– Ne soyez pas si pressée ! Il y a peut-être mieux à faire.
– Et quoi, mon Dieu ? Je veux que cet individu quitte la maison sur-le-champ !
– De façon à ce qu’il nous file entre les doigts et qu’on ait toutes les peines du monde à le rattraper ? persifla Aldo. Ne raisonnez pas comme une gamine impulsive ! Tant qu’il est ici, on l’a au moins sous la main. Quelque chose me dit qu’il pourrait bien nous conduire à Elsa !
– Vous rêvez ? Il n’est pas d’une intelligence extrême mais il est rusé comme un vieux renard...
– Peut-être, mais les vieux renards se laissent quelquefois prendre au sourire d’une jolie fille, dit Aldo. Alors vous allez être charmante avec lui, ma mignonne, même si...
Les yeux sombres noircirent de colère :
– Un, je ne suis pas votre « mignonne » et, deux, vous n’obtiendrez pas de moi que je sois aimable avec ce vieux bouc ! Imaginez-vous qu’à son âge il prétend m’épouser ?
– Encore un ? Vous êtes un vrai danger public !
– Ne soyez pas grossier ! Si mon charme personnel ne vous paraît pas suffisant, sachez que la fortune de mon père me pare de toutes les séductions. Au fond... je n’ai jamais été aussi heureuse que durant ces deux années où je me suis cachée sous la défroque de Mina, ajouta-t-elle avec une amertume qui toucha Morosini, parce que c’était un aspect de la question qui lui avait échappé jusqu’à présent.
Désolé d’avoir peiné Lisa, il allait s’emparer de sa main quand, dans les profondeurs de la maison, un son de cloche annonça le dîner :
– Allez à table ! soupira Lisa. On se reverra plus tard...
– Vous ne venez pas ?
– J’ai une trop bonne excuse pour éviter Golozieny. Souffrez que j’en profite !
– C’est très compréhensible, dit Adalbert, mais vous avez peut-être tort. Avec un homme tel que lui trois paires d’yeux et autant d’oreilles ne seraient peut-être pas de trop ?
– Arrangez-vous des vôtres, mais ne manquez pas de venir me dire bonsoir avant de partir ! ...
Si Lisa pensait jouir tranquillement d’un moment de réflexion solitaire, elle se trompait. Elle finissait de parler quand sa grand-mère pénétra chez elle en trombe. La vieille dame semblait sous le coup d’une grande émotion. Alexandre la suivait comme son ombre.
– Regarde ce que Josef vient de trouver ! s’écria-t-elle en tendant à Lisa un papier. C’était sur la table du dîner, près de mon couvert. En vérité, l’audace de ces misérables ne connaît pas de bornes, ils osent s’introduire jusque sous mon toit ! ...
La jeune fille tendit la main vers le billet mais Morosini fut plus rapide et l’intercepta. Un coup d’œil lui suffit pour déchiffrer le message aussi bref que brutal :
« Si vous voulez revoir Mlle Hulenberg en vie, vous devrez obéir à nos ordres et ne prévenir la police sous aucun prétexte. Tenez-vous prête à déposer les joyaux demain soir à un endroit qui vous sera indiqué ultérieurement. »
– Avez-vous une idée de la façon dont ceci est arrivé jusqu’à vous ? demanda Morosini en donnant le billet à Lisa.
– Aucune ! Je réponds de mes serviteurs comme de moi-même, dit la comtesse. Cependant, l’une des fenêtres de la salle à manger était entrouverte et Josef pense...
– Que le papier est entré par là ? A moins d’être doué d’une vie propre, il faut qu’on l’ait déposé. Voulez-vous me permettre d’aller jeter un coup d’œil ? Reste avec ces dames, Adalbert, ajouta-t-il en posant sur Golozieny un regard dénué de toute expression. Je devrais suffire à la tâche...
Guidé par le vieux majordome, il gagna la grande salle où tout était disposé pour quatre personnes sur une longue table capable d’en accueillir une trentaine, et vit que le couvert de la maîtresse de maison était, en effet, le plus proche de la fenêtre restée ouverte.
Sans mot dire, Morosini examina l’endroit avec soin, se pencha au-dehors pour apprécier la hauteur et finalement quitta la pièce après avoir prié Josef de lui trouver une lampe électrique. Ensemble, ils firent le tour de la maison jusqu’à se trouver à l’aplomb de la salle à manger.
Celle-ci était au même niveau que la loggia mais sans communication avec elle, ce qui en rendait l’accès extérieur beaucoup plus difficile. A l’aide de sa lampe, Aldo put constater qu’aucune trace d’escalade n’apparaissait – avec l’humidité du temps, des pieds plus ou moins boueux auraient laissé leur marque. Aucun signe de dérangement non plus dans les massifs défleuris cernant la villa. La conviction de l’enquêteur était faite dès qu’il avait tenu le billet dans ses mains : il avait été déposé par quelqu’un de la maison et, puisque les serviteurs ne pouvaient être soupçonnés, il ne restait qu’une seule personne dont la complicité ne faisait aucun doute : Golozieny.
– Avez-vous trouvé quelque chose ? demanda la comtesse quand il la rejoignit dans le petit salon.
– Rien, madame ! Il faut croire que vos ennemis ont à leur disposition quelque génie ailé... ou alors un complice ?
– C’est une idée à laquelle je refuse de m’arrêter !
– Personne ne peut vous y forcer. Il faut pourtant bien qu’il y ait une explication ?
– En ce qui me concerne, émit Golozieny d’une voix flûtée, je me demande si vous ou votre ami, prince, ne pourriez nous la fournir ? Après tout, vous êtes les seuls étrangers ici ?
– Pas pour moi ! coupa la voix glacée de Lisa dont la silhouette, vêtue cette fois d’une longue robe de velours vert, venait de s’encadrer dans le chambranle de la porte. Continuez dans cette direction, Alexandre et je ne vous adresse plus la parole !
– Vous ne feriez pas cela, chère... très chère Lisa ? Vous savez à quel point je vous admire, et...
– Vous l’admirerez aussi bien à table ! intervint la comtesse. Si je comprends bien, ma chérie, tu as décidé de te joindre à nous ?
– Oui. J’ai déjà dit à Josef de mettre mon couvert...
Préludé de cette façon, le dîner fut ce qu’il devait être : sinistre et silencieux. Chacun s’enfermant dans ses propres pensées, on n’échangea que de rares paroles jusqu’à ce que Golozieny se hasarde à demander quelle suite sa cousine comptait donner au message des ravisseurs.
Mme von Adlerstein tressaillit comme s’il l’éveillait mais le regard qu’elle lui lança était plein de fureur :
– Quelle question stupide ! Que puis-je faire sinon obéir, et vous devriez savoir que je déteste ce mot-là ! Je vais donc attendre une autre communication puis... Les bijoux ont été récupérés par Josef dans leur cachette et rapportés ici en même temps que Lisa.
– Un instant, Grand-mère ! fit Lisa. Avant de donner à ces gens le prix de leur crime, il me semble que la moindre des choses est d’obtenir la certitude qu’Elsa est toujours vivante. C’est un peu trop facile d’exiger puis, une fois en possession du butin, on se débarrasse d’un témoin gênant... en admettant que ce ne soit pas déjà fait. Nous avons affaire à des gens pour qui la vie humaine ne compte pas : un mort de plus ou de moins est sans importance pour eux.
– Que proposes-tu ?
– Je n’en ai aucune idée encore mais une chose est certaine : nous ne devons rien dire à la police. D’ailleurs, elle me paraît un peu débordée par l’ampleur de la tâche et je suppose qu’elle va demander du secours à Vienne. À ce propos, ajouta-t-elle en se tournant vers Golozieny, et puisque vous allez sans doute regagner demain la capitale, j’espère que vous allez vous aussi garder le silence et ne pas vous précipiter chez vos « hautes relations » pour les mettre en mouvement ?
Offusqué, le menton du comte releva sa barbiche jusqu’à former un angle droit avec son cou maigre.
– Ne me prenez pas pour un imbécile, Lisa ! Je ne ferai rien qui puisse vous gêner. D’ailleurs, j’ai l’intention de prolonger mon séjour. La seule idée de vous laisser toutes deux seules aux prises avec un si grave problème est de nature à me faire changer mes plans. J’entends veiller sur vous... si vous le permettez ? ajouta-t-il avec un regard engageant à l’adresse de sa cousine.
Celle-ci lui répondit par un sourire un peu las mais affectueux :
– C’est gentil ! fit-elle. Vous pouvez rester, bien sûr, autant que vous le voudrez. Votre dévouement nous émeut, Lisa et moi...
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