– Pauvre femme ! soupira Morosini. Comment a-t-elle pris l’écroulement de son rêve, car je suppose qu’on n’a plus conservé le moindre doute sur l’origine des lettres ? Quelqu’un avait su le triste roman de cette malheureuse et décidé de s’en servir pour la faire sortir de sa cachette. Pour moi, en tout cas, c’est très clair...
– On l’a compris trop tard, hélas ! Grand-mère était épouvantée quand elle a su ce qui s’était passé. C’est alors qu’elle m’a télégraphié à Budapest en me demandant de revenir mais je n’ai fait que m’arrêter à Ischl, et je suis venue ici pour essayer d’apaiser un peu Elsa.
– Elle doit être désespérée ?
– Il est impossible de mesurer son chagrin. Elle n’a plus l’air de vivre. Elle ne parle pas, reste assise près de la fenêtre de sa chambre pendant des heures à contempler le lac et quand elle vous regarde... elle n’a pas l’air de vous voir. Pourtant, moi, elle m’aimait bien et...
Lisa se tut, étranglée par une soudaine montée de larmes. Aldo se laissa glisser à genoux devant elle, emprisonnant ses deux mains dans les siennes. Il pensait jusque-là que Lisa, en s’occupant de la recluse, obéissait à un devoir comme elle savait si bien les accomplir, mais en découvrant qu’elle aimait cette malheureuse, il se sentit bouleversé...
– Lisa, je vous en prie, disposez de moi comme vous l’entendrez ! Dites-moi ce que je peux faire pour vous aider ! Je suis votre ami... et Adalbert aussi, ajouta-t-il, non sans un tout petit effort.
Elle plongea son regard sombre scintillant de larmes dans celui de Morosoni et un instant celui-ci crut y voir une douceur nouvelle, une émotion... Vite effacée :
– Rien hélas ! ... Et relevez-vous, je vous en prie ; cela n’est pas une position convenable dans une église...
– Que fait-on dans une église sinon prier ? Et je vous prie, Lisa, de nous laisser vous aider. Si votre amie est en danger, vous l’êtes aussi et c’est une idée que je ne supporte pas, affirma-t-il, en lui obéissant et en reprenant sa place sur le banc.
– Non. Pas dans l’immédiat ! La maison du lac est notre meilleure sauvegarde. Tout ce que vous pouvez faire, c’est vous éloigner et nous laisser. Vous êtes trop... décoratifs, vous et Adalbert. Votre présence ici ne peut qu’attirer l’attention. Allez-vous-en, je vous en supplie ! ... En revanche, je vous promets de faire l’impossible pour convaincre Elsa de se défaire de son aigle !
– Vous voulez vous débarrasser de moi ? fit-il avec une amertume que sa réponse n’apaisa pas. Ce fut un « oui » très net, plein de force, et, comme 1 gardait un silence peiné, Lisa ajouta :
– Comprenez donc ! En cas de problème, nous pouvons faire appel à tous ceux d’ici ! ...
– Peut-être aussi à votre charmant cousin qui est aussi votre fervent adorateur ? Ce qui m’étonne, c’est de ne pas encore l’avoir vu rappliquer : il a tout du chien courant et flaire votre parfum à des kilomètres !
– Fritz ! Oh, c’est un bon garçon mais assez fatigant ! Rassurez-vous, Grand-mère y a mis bon ordre en le réexpédiant à Vienne pour des achats urgents... et très difficiles ! D’ailleurs, il ignore tout de la maison du lac !
Elle se relevait. Aldo fit de même avec l’impression désagréable d’être devenu soudain aussi encombrant que Fritz. Lorsqu’il offrait une aide sincère, il n’aimait pas du tout qu’on la dédaignât mais apparemment Lisa s’en souciait peu !
– Alors ? dit-elle. Vous partez ?
– Puisqu’il faut obéir ! maugréa-t-il avec un haussement d’épaules. Mais pas avant un jour ou deux. Nous avons claironné que nous venions ici pêcher, peindre et admirer ! D’ailleurs, Adalbert vit en couple avec le professeur Schlumpf ! Je ne me sens pas le courage de les séparer trop brutalement...
– Pauvre Adalbert ! fit-elle en riant. Je connais le Herr Professor ! Il est incapable de vous rencontrer sans vous régaler d’une conférence ! Sur ce chapitre, d’ailleurs, notre ami n’a rien à lui envier : en un petit voyage, il m’a tout appris sur la XVIIIe dynastie pharaonique !
Elle tendit une main qu’Aldo s’empressa de prendre et de retenir :
– Ne me direz-vous pas où je puis vous atteindre au cas où j’aurais quelque chose à vous dire ?
– Mais c’est simple ! Chez ma grand-mère à Vienne ou à Ischl...
– Pourquoi pas ici ? Vous n’allez pas abandonner Elsa du jour au lendemain ?
– En effet, mais ce que je cherche à obtenir d’elle, c’est qu’elle me permette de l’emmener à Zurich. Elle a besoin de soins médicaux. Surtout ceux d’un psychiatre...
– Votre fidélité à la Suisse vous honore, dit
Morosini avec un rien d’insolence, mais je vous rappelle qu’à Vienne vous avez en Sigmund Freud le maître absolu en la matière.
– Aussi ai-je l’intention de faire appel à lui... une fois Elsa bien abritée dans notre meilleure clinique. Le difficile, c’est de l’emmener. Elle est partagée, je crois, entre la terreur que lui a laissée la tentative d’enlèvement et son attachement à une maison qu’elle aime et où elle a rêvé de vivre avec Rudiger. Et moi, je ne peux pas, je ne veux pas la forcer. A présent, laissez-moi partir !
Il la lâcha et s’écarta :
– Partez, mais je persiste à croire que vous avez tort de refuser une aide désintéressée.
– À qui ferez-vous croire ça ? fit-elle, soudain acerbe. Vous m’avez expliqué qu’il vous fallait l’opale à tout prix...
Aldo se sentit pâlir :
– Croyez ce que vous voulez ! fit-il en s’inclinant avec une froide courtoisie. Je pensais que vous me connaissiez mieux.
Il s’éloigna aussitôt et gagna la porte sans se retourner. Il ne vit donc pas que Lisa suivait des yeux sa haute silhouette élégante avec une moue mécontente et, dans le regard, quelque chose qui ressemblait à un regret. Lui se sentait blessé. La dernière phrase de Lisa l’irritait et le décevait. À défaut d’affection, il espérait, après deux ans de collaboration étroite, avoir au moins droit à son estime, peut-être à un peu d’amitié, mais elle venait de le remettre à sa place de commerçant, de le rejeter dans le monde des affaires où l’argent est le seul moteur. C’était un peu dommage !
Adalbert, lui, devint furieux quand son ami lui eut répété son entretien jusqu’à la dernière phrase. Sa belle humeur habituelle, déjà entamée par le fait qu’Aldo était allé seul au rendez-vous, acheva de voler en éclats :
– Ah, c’est comme ça ? rugit-il, sa mèche rebelle plus en bataille que jamais. Elle ne veut pas qu’on l’aide ? Alors, laissons tomber la chevalerie et les grands sentiments !
– Comment l’entends-tu ?
– Le plus simplement du monde. L’histoire de cette Elsa est affreusement triste. On pourrait en faire un roman mais nous avons, nous, d’autres chats à fouetter. Une mission à remplir. Nous savons où est l’opale du Grand Prêtre ?
– Oui mais je ne vois pas de quelle manière nous pourrions nous la procurer, et je ne crois guère à la vague promesse de Lisa. Si sa protégée perd la tête je ne sais pas comment elle pourra la convaincre de nous vendre son cher trésor...
– Non, mais on pourrait peut-être amener Mlle Kledermann à nous prêter l’aigle de diamants pendant quelques jours.
– A quoi penses-tu ? A la faire copier : c’est à peu près impossible, il faudrait retrouver des diamants de la même taille, de la même qualité surtout, une opale identique... et un maître joaillier. Et tout ça en quelques jours ? Tu es fou.
– Pas tant que ça ! Dis-moi plutôt où l’on trouve les plus belles opales sur cette terre déshéritée ?
– En Australie et en Hongrie...
– Laisse tomber l’Australie ! Mais la Hongrie ce n’est pas si loin. Imagine, par exemple, que tu partes demain matin pour Budapest. Le grand expert que tu es devrait bien connaître là-bas un joaillier, un antiquaire, un lapidaire ou Dieu sait quoi susceptible de te procurer une pierre semblable à celle que nous cherchons ?
– Ou...i mais...
– Pas de mais ! Toutes les gemmes du pectoral sont de même forme et de même grosseur et je suppose que tu en as les cotes ? Au moins du saphir ?
Aldo ne répondit pas. Il entrevoyait le plan de Vidal-Pellicorne et commençait à admettre qu’il n’était pas délirant. Trouver une grosse opale, en y mettant le prix, n’avait rien d’impossible. De toutes les pierres manquantes c’était la moins précieuse, et 1 arrivait qu’on en trouve d’énormes, comme celle du Trésor de la Hofburg.
– Admettons que je découvre une opale blanche du même calibre – la Hongrie est surtout célèbre pour ses opales noires, magnifiques d’ailleurs ! – et que je la rapporte. Ce n’est pas toi qui dessertiras celle de l’aigle pour mettre l’autre à la place ?
Adalbert eut un sourire effronté en considérant ses longs doigts minces qu’il faisait jouer avec un plaisir visible :
– Si ! fit-il. Je t’ai déjà dit, je crois, que, si mes pieds me jouaient souvent des tours, j’étais très habile de mes mains. Si tu me rapportes aussi deux ou trois outils que je t’indiquerai, je suis capable de mener l’opération à bonne fin...
– Tu l’as déjà fait ? émit Morosini abasourdi.
– Hon, hon ! ... une fois ou deux ! Dis-toi bien ceci, mon garçon : quand on est archéologue on est amené à pratiquer différents métiers. Ça va du terrassement à la restauration de meubles, de bijoux, de fresques...
Aldo faillit ajouter l’ouverture de coffres-forts et autres menus travaux de cambrioleur, mais le sourire candide d’Adalbert eût désarmé un huissier de justice ou un commissaire de police.
– Et toi, pendant ce temps-là, qu’est-ce que tu feras ?
– Je continuerai à m’ennuyer ferme en compagnie du père Schlumpf que je flatte de façon éhontée mais qui possède chez lui un petit atelier assez bien équipé où l’on peut entrer comme dans un moulin. Et puis, ajouta-t-il plus sérieusement, je m’arrangerai pour rencontrer Lisa et lui faire entendre raison. De toute façon, ce serait une excellente chose pour cette malheureuse si on la débarrassait d’une pierre dont on ne peut pas dire qu’elle lui ait porté bonheur.
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