– Suffisamment pour avoir des conséquences ? Et comment l’archiduc réagit-il en face de la situation ?
– Selon son caractère : il offrit à la jeune fille de mourir avec lui. Ce n’était pas la première fois, mais le sang belge de celle-ci la rendait hostile aux solutions excessives et la portait plutôt vers les joies de la famille. Elle refusa et s’en alla conter sa peine à l’impératrice. Celle-ci trouva la seule issue acceptable : un mariage rapide. L’époux ne fut guère difficile à trouver : le baron Hulenberg était déjà amoureux de Daisy. De bonne famille, assez fortuné et plutôt bien de sa personne, il faisait un prétendant convenable que la future mère accepta. Et, comme la reine Maria ne pouvait offrir que des bijoux, ce fut Elisabeth qui se chargea de la dot. Elle fit également cadeau de quelques joyaux dont l’aigle de diamants, signe tangible des illustres origines de la jeune fille.
Deux ans après la naissance d’Elsa, sa mère lui fut enlevée par une rapide maladie en face de laquelle les médecins pataugèrent. Hulenberg, quelques mois plus tard, décida de se remarier. Celle qu’il choisit n’avait d’autre qualité que sa jeunesse et sa beauté. Au moral, c’était une créature avide, dépourvue de cœur mais sachant bien cacher son jeu. La présence d’Elsa l’insupporta vite : elle rappelait trop la première épouse !
– Ce fut une parfaite marâtre ?
– Hélas ! Sissi, alors, s’en mêla. En dépit de la terrible douleur causée par la mort de son fils, elle n’abandonnait pas l’enfant. Elle décida de la faire élever dans un couvent des environs de Salzbourg et chargea Grand-mère de veiller sur elle. Ce dont celle-ci s’est acquittée pendant des années et aujourd’hui encore. C’est elle qui eut la garde du petit trésor constitué à Elsa. Et ce fut une bonne chose, parce que le baron Hulenberg mourut après quelques années de remariage. Sa veuve, devenue son héritière par testament, osa réclamer comme faisant partie des biens du défunt les bijoux de Daisy. Sans succès heureusement : l’impératrice avait été assassinée mais François-Joseph, lui, était encore bien vivant. Il était au courant de l’histoire d’Elsa, et sa protection s’étendit sur elle aussi bien que sur Grand-mère, promue tutrice légale. Et tout se passa sans histoire jusqu’à ce qu’Elsa ait quitté son couvent.
– Je suppose que Mme von Adlerstein l’a prise chez elle à ce moment-là ?
– Oui, et d’autant plus volontiers qu’Elsa se plaisait dans ce couvent au point que l’on a pu penser, un temps, qu’elle y ferait profession. Elle en est sortie plus tard que la normale. C’était une jeune fille sérieuse, un peu grave, et tout à fait consciente de la hauteur de ses origines. Son comportement s’en inspirait, bien qu’elle ne les évoquât jamais sinon avec ma grand-mère. Les jeunes gens ne l’intéressaient pas. Sa seule passion était la musique. C’est en grande partie pour en jouir davantage qu’elle est revenue à la vie civile. Peut-être aussi à cause de la nouvelle Mère Supérieure qu’elle n’aimait pas. Elle s’installa chez nous, mais la vie qu’on y menait était trop mondaine et elle ne s’y sentait pas à l’aise. On lui trouva alors une villa un peu retirée aux alentours de Schônbrunn où elle vécut avec un couple de serviteurs hongrois qui lui était tout dévoué : Marietta, à la fois femme de chambre et dame de compagnie, et son mari Mathias, un véritable chien de garde doué d’une force peu commune.
Elle s’y trouvait bien, n’en sortant que pour des promenades ou pour se rendre soit au concert, soit à l’Opéra dans la loge de Grand-mère. Vêtue avec discrétion, elle ne se faisait pas remarquer en dépit d’une ressemblance avec l’impératrice, un peu corrigée par sa blondeur. Et puis, il y a eu cette fichue soirée de 1911 – la première du Chevalier à la rose ! – où elle est apparue, toute vêtue de dentelles blanches, belle comme un ange et portant la rameuse opale. Cet éclat soudain inquiéta un peu Grand-mère mais la salle était somptueuse, l’empereur présent et les plus beaux joyaux y ornaient des femmes ravissantes. Seulement, il y avait là un jeune diplomate qu’un ami est venu lui présenter à l’entracte. Entre Elsa et lui, ce fut le coup de foudre...
Aldo fut près de révéler qu’il connaissait déjà l’histoire mais ne sachant trop comment Lisa apprendrait le récit de leurs exploits, à Adalbert et à lui-même, il prit le sage parti de se taire, ce qui lui permit de laisser sa pensée vagabonder tout en contemplant la conteuse.
En vérité, elle était tout à fait charmante, et il ne parvenait toujours pas à comprendre comment elle avait réussi le tour de force de passer pour un laideron pendant deux grandes années auprès d’un homme qui, en général, savait parfaitement détailler une femme. Là, dans la grisaille de cette église froide, avec son visage lumineux serti dans le cadre sévère du capuchon noir, elle avait l’air d’un Botticelli, à cette différence près qu’il se dégageait d’elle une étonnante impression de chaleur et de vitalité...
Cependant, Lisa était trop fine pour ne pas sentir que l’attention de son auditeur flottait :
– Vous m’écoutez oui ou non ? Si ce que je vous raconte ne vous intéresse pas, je m’en vais...
Elle se levait déjà. Il la retint par un pan de sa cape :
– Qu’est-ce qui peut vous faire croire que je ne vous écoute pas ?
– C’est l’évidence même. Je vous livre une histoire triste et vous me regardez avec un sourire béat ?
Son caractère, hélas, ne s’arrangeait pas. Aldo choisit de plaider coupable :
– J’avoue un petit instant d’inattention, fit-il, en allumant pleins feux son sourire le plus ravageur. C’est votre faute, aussi : je vous regardais !
– Vous m’avez vue pendant deux ans ; cela devrait vous suffire !
– Ne dites pas de sottises ! Ce que j’ai vu, ce n’était pas vous mais... une sorte de caricature ! Un vrai péché, si vous voulez la vérité, une espèce de...
– Écoutez, nous n’allons pas revenir là-dessus ! Il va falloir que je rentre. Où en étions-nous ?
– A... à ces lettres reçues après la guerre alors que l’on croyait ce Rudiger disparu ? proposa Morosini après une légère hésitation.
Mais la chance était avec lui ou bien son oreille avait enregistré sans qu’il s’en rendît compte. Il tombait pile.
– Ah oui ! fit Lisa. Je vous présente mes excuses : tous écoutiez mieux que je ne pensais. Je disais donc qu’à l’arrivée de la première lettre Elsa a failli mourir de joie et grand-mère d’inquiétude parce qu’à cette époque il avait fallu l’emmener hors de Vienne où elle n’était plus en sécurité.
– Que s’est-il passé ?
– Trois accidents bizarres. J’irai même jusqu’à dire trois attentats, qui ont eu heu après la guerre. Le premier dans le parc de Schonbrunn où Elsa se promenait avec Marietta. Un homme s’est jeté sur elle un couteau à la main. Heureusement, un garde était à proximité. Il a désarmé l’assassin qui s’est enfui. Une autre fois, elle a échappé à une voiture attelée de deux chevaux emballés : c’est miracle qu’elle n’ait pas été assommée par les sabots. Enfin, quelque temps après, sa maison a brûlé. Mathias a réussi à l’arracher au brasier mais elle a été atteinte. La police, bien sûr, n’a jamais rien trouvé. Après la guerre, la confusion était grande dans les services, la révolution couvait. Ceux qui voulaient abattre
Elsa avaient la part trop belle. Grand-mère, sur le conseil de mon père, a laissé courir le bruit de sa mort, le temps de lui trouver un refuge et de l’y conduire. Le bourgmestre de Hallstatt est l’un de ses vieux amis et la maison du lac lui appartenait : il la lui a cédée. Mathias et Marietta s’y sont installés avec Elsa, cachée sous le nom de Fraulein Staubing.
– Et cette arrivée, dans le plus grand secret, j’imagine, n’a pas suscité de curiosité ?
– Le bourgmestre est un homme intelligent. Il a fait courir le bruit qu’il donnait asile à un couple de vieux amis dont la fille, blessée dans un attentat en Hongrie, avait perdu en partie la raison et se prenait pour une altesse. Les gens d’ici aiment les belles histoires et ils sont généreux. Le village s’est refermé comme un poing sur les réfugiés.
– Mais quand la première lettre est arrivée : ce n’était tout de même pas ici ?
– Non, à Ischl, aux soins de ma grand-mère.
– Et elle ne l’a pas empêchée de commettre cette folie de se montrer au théâtre ?
– Il n’y a pas eu moyen de faire autrement m’a-t-on dit. Elsa était, cette fois, presque folle de bonheur et Grand-mère s’est laissée attendrir. On a déployé un luxe de précautions et, au soir de la reprise du Rosenkavalier, à la saison dernière, elle était dans la loge vêtue comme vous l’avez vue...
– Mais pourquoi en noir ? Lors de sa rencontre avec ce Rudiger, vous m’avez bien dit qu’elle était en blanc ?
– Elle a trente-cinq ans maintenant et, en outre, elle ne quitte plus le deuil de son père et de ses grands-parents.
– Et pourquoi cacher son visage ? Elle ne voulait pas être reconnue ?
– En partie, la rose d’argent devait servir de signe distinctif. Seulement, l’amoureux n’était pas au rendez-vous. Vous pouvez imaginer la déception d’Elsa. Cependant, une autre lettre est arrivée : elle disait que Franz avait présumé de ses forces, qu’il demandait pardon et qu’il était très malheureux. Elle disait aussi qu’il valait mieux attendre encore quelques mois, jusqu’à la première représentation de la saison suivante...
– Ce n’était pas un peu long comme délai ?
– Non, si l’on considère qu’il s’agissait d’un malade. La seconde rencontre était donc fixée au mois dernier, lorsque vous-même étiez à l’Opéra.
– Et il ne s’est rien passé. Du moins je n’ai rien vu..
– Si. On a tenté d’enlever Elsa quand elle est sortie du théâtre. Deux hommes s’étaient rendus maîtres de la voiture qui l’attendait et, après avoir renversé Mathias, ils sont partis à bride abattue à travers Vienne. Grâce à Dieu, Mathias a pu les poursuivre et se débarrasser des agresseurs, après quoi il a ramené Elsa, mais l’alerte avait été chaude. On prit juste le temps de changer de vêtements et de boucler les valises avant de regagner Hallstatt en toute hâte...
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