– Moi aussi... Vous souvenez-vous de ce jour de printemps, il y aura bientôt deux ans, où vous m’avez couru après pour me remettre une dépêche de Varsovie ?
Elle s’anima d’un seul coup, reprise par la passion qu’elle apportait dans son travail au palais Morosini :
– Émanant du fameux et mystérieux Simon Aronov ? Si je m’en souviens ! C’est à la suite de cette entrevue que vous vous êtes lancé dans cette incroyable aventure au cours de laquelle vous avez retrouvé le saphir volé à votre mère et qu’ensuite vous m’avez chargée de rapporter à Venise...
– Il n’y est plus ! Quelques semaines plus tard, je l’ai remis à Aronov venu me retrouver dans le cimetière de San Michele. Tout comme je lui ai fait parvenir la Rose d’York récupérée en Angleterre dans des circonstances dramatiques...
– La Rose d’York ? Mais... elle vient d’être volée à la Tour de Londres ? ...
– Ce n’est pas la vraie et, je vous en prie, laissez-moi à présent vous expliquer pour quelle raison impérieuse je ne vous ai jamais dit la vérité sur ce que m’a demandé Aronov dans son repaire de Varsovie. Il ne s’agissait pas d’un manque de confiance. J’avais donné ma parole... Si j’y manque aujourd’hui c’est parce que je n’ai plus le choix. Ensuite vous jugerez.... et vous vous dépêcherez d’oublier !
Cette fois, elle ne dit rien.
Alors il raconta son aventure polonaise sans toutefois s’appesantir sur ses rencontres avec la fille du comte Solmanski, se bornant seulement à révéler qu’il l’avait sauvée du suicide et comment il en était venu à s’attacher à ses pas après l’avoir vue débarquer à la gare du Nord avec, au cou, l’Étoile bleue que lui et Aronov cherchaient.
A sa surprise, Lisa ne réagit pas pendant son récit. Au point même qu’il se demanda s’il ne l’avait pas endormie mais comme il se taisait, elle releva sur lui des yeux pleins de vivacité :
– Passons à la Rose d’York puisqu’il s’agit, je pense, de la seconde pierre volée ? dit-elle.
Il s’exécuta, constatant avec joie que son interlocutrice suivait ce nouveau récit avec une attention visible :
– Un vrai roman policier ! fit-elle. Ce serait même assez amusant s’il n’y avait eu tant de vies sacrifiées ! Une question, cependant, si vous le permettez ?
– Mais je vous en prie.
– Croyez-vous vraiment à l’innocence de lady Ferrals ?
Il ne s’y attendait pas et, pour se donner le temps de la réponse, choisit de formuler une question, exactement comme Anielka en avait l’habitude :
– On dirait que vous n’y croyez guère, vous ?
– Pas une minute. J’ai lu, vous devez bien vous en douter, tous les journaux traitant de l’affaire Ferrals et du procès de sa femme. Le coup de théâtre qui l’a clos m’a paru bizarre, trop bien léché, trop bien réglé ! L’amant complice qui se pend après avoir passé des aveux écrits et jusqu’au superintendant qui se hâte d’aller porter la nouvelle ? Non. Non, en vérité, je n’y crois pas !
– Si vous pensez à une quelconque collusion avec la police, vous vous trompez. Je connais bien le superintendant Warren et je peux vous dire qu’il n’a agi que sous l’évidence immédiate mais que, depuis, il se pose beaucoup de questions...
– Et vous ? Car vous ne m’avez pas répondu.
– Je m’en pose aussi, fit Aldo qui ne souhaitait pas s’étendre davantage sur le sujet. Maintenant, il nous faut parler de la troisième pierre : l’opale ! C’est pour elle que nous sommes ici, Adalbert et moi.
– Et vous êtes persuadés que la pierre enchâssée dans l’aigle de diamants est celle que vous cherchez ?
– Simon Aronov le croit et il ne s’est encore jamais trompé jusqu’ici. Il y a d’ailleurs un moyen bien simple de vous convaincre si, comme je le suppose, il vous est possible d’accéder aux bijoux de cette femme mystérieuse que vous gardez si jalousement, votre grand-mère et vous.
– Lequel ?
– Chacune des pierres du pectoral porte, à son envers, une minuscule étoile de Salomon gravée. Il faut une forte loupe pour la voir mais elle existe. Tentez l’expérience !
– J’essaierai mais, en toute honnêteté, je ne vois pas comment vous pourriez obtenir qu’on vous la cède. Ce bijou est celui que notre amie préfère entre tous parce qu’il lui vient d’une grand-mère prestigieuse.
Morosini laissa un silence s’établir entre Lisa et lui, retenant la question qu’il allait poser pour lui laisser le temps de l’examiner puisqu’il était sûr qu’elle devinerait ce qu’elle serait.
– Ne croyez-vous pas qu’il serait temps de mettre un nom sur ce visage voilé qui m’est apparu dans une loge d’Opéra ? Quant à la grand-mère, je crois la connaître puisque je suis à peu près certain d’avoir découvert le père. Elle est, n’est-ce pas, la fille de ce malheureux Rodolphe, le tragique héros de Mayerling ? Pour vous éviter une question, je dirai que je l’ai vue, sous d’autres voiles noirs, déposer des fleurs sur son tombeau quelques heures avant le théâtre...
– Vous connaissez plus de choses que je ne le pensais ! fit Lisa sans chercher à cacher sa surprise.
– ... Quand à l’aigle impériale de diamants, elle a complété après la naissance de Rodolphe la parure d’opales offerte par l’archiduchesse Sophie à sa future belle-fille, quelques jours avant son mariage avec François-Joseph. Cette parure, Sophie elle-même la portait au jour de son mariage et elle souhaitait qu’Elisabeth en fasse autant. J’ajoute que l’ensemble, amputé de la broche, a été vendu à Genève avec d’autres joyaux privés de la famille, il y a quelques années...
L’étonnement fit place à une admiration amusée.
– Quelle sotte je suis ! Comment ai-je pu oublier votre passion des joyaux historiques et des belles pierres, sans compter votre insatiable curiosité... et le fait que vous êtes peut-être le plus grand expert européen en la matière.
– Merci ! A présent, ne croyez-vous pas qu’il est temps de me faire confiance ? Voilà un bon moment que vous dérobez comme un pur-sang devant l’inévitable bride. Je veux son nom... et son histoire ! Allons, Mina ! Rappelez-vous comme nous travaillions bien ensemble ! Pourquoi ne pas continuer ? Ma cause est noble : elle vaut qu’on se batte pour elle.
– Au prix d’un surcroît de souffrance pour une innocente ?
– Et si c’était au prix de sa délivrance ? Comme les autres pierres, l’opale est maudite. Peut-être puis-je vous aider à sauver votre amie ? ... Allez-vous parler à la fin ?
– ... Elle s’appelle Elsa Hulenberg et elle n’est pas seulement la petite-fille de l’impératrice Elisabeth mais aussi de sa sœur Maria, la dernière reine de Naples... C’est par elle que je dois commencer. En... 1859, Maria, troisième fille du duc Maximilien « en » Bavière et de son épouse Ludovica, épousait le prince de Calabre, héritier du trône de Naples. Elle avait dix-huit ans, il en avait vingt-trois et l’on pouvait supposer ce mariage assorti, bien que les deux époux ne se soient jamais vus...
– Un instant, Lisa ! Ne me faites pas un cours d’histoire, surtout italienne. N’oubliez pas que je suis vénitien. Je connais donc les événements de Naples : la mort du roi Ferdinand II quelques semaines après le mariage, la montée au trône du jeune couple au moment où Garibaldi et ses Chemises rouges entreprenaient leur marche vers l’indépendance. Dix-huit mois de règne puis la fuite à Gaète où l’on s’enferma dans la forteresse et où la jeune reine Maria se conduisit en héroïne en portant ses soins aux blessés sous une grêle de balles et d’obus. Elle eut droit à l’admiration de l’Europe entière mais cela ne sauva pas son trône. Elle et son époux se réfugièrent à Rome sous la protection du pape et l’on n’entendit plus guère parler du mari... mais j’ai l’impression que vous en savez plus que tout le monde, vous, une Suissesse ?
– Eh oui, parce que mon histoire à moi commence là où finit la grande Histoire. Après les jours pleins de périls mais exaltants qu’elle venait de vivre, notre petite reine détrônée d’à peine vingt ans s’aperçut du grand vide de son existence... et du peu d’intérêt que présentait son époux maintenant qu’il n’avait plus rien à faire, d’autant que son caractère s’était assombri et que sa santé suivait le même chemin. Or, Sa Sainteté Pie LX faisait garder le palais Farnèse, alors résidence des souverains en exil[viii], par ses zouaves pontificaux. Maria tomba amoureuse de l’un d’eux, un bel officier belge. Tellement même qu’un beau jour il fallut se rendre à l’évidence : il était urgent de mettre quelque distance entre elle et son époux. Prétextant que le climat de Rome ne convenait pas à ses poumons fragiles, elle partit « se reposer » en Bavière, dans le cher Possenhofen où elle ne resta que peu de temps avant d’aller s’enfermer chez les ursulines d’Augsbourg où, son heure venue, elle donna le jour à une petite fille, Marguerite. C’est elle, la mère d’Elsa.
– Ah ! fit Aldo suffoqué. C’est incroyable ! Je n’ai jamais entendu parler d’une séparation entre la reine Maria et le roi François II ?
– Ils se sont réconciliés très vite et, installés à Paris, sont même devenus le meilleur des ménages...
– Et l’impératrice Elisabeth dans tout ça ? Et Rodolphe ?
– J’y arrive. Sissi aimait beaucoup sa sœur cadette qui était fort jolie elle aussi. En outre, avec sa passion du romantisme, elle admirait l’héroïne de Gaète presque autant que son cousin Louis II de Bavière. Elle s’occupa beaucoup de cette petite fille que Maria faisait élever dans un domaine aux environs de Paris sous un nom que je ne révélerai pas. Et quand Marguerite, que l’on appelait Daisy, devint une belle jeune fille, elle l’invita à plusieurs reprises mais surtout en Hongrie, dans son château de Gôdôllô où de grandes chasses se donnaient à l’automne. C’est là que l’archiduc Rodolphe la rencontra. Il était mal marié avec Stéphanie de Belgique qu’il trompait abondamment et il se prit, pour Daisy, d’une de ces flambées de passion dont il était coutumier. Un feu de paille qui ne dura guère...
"L’Opale de Sissi" отзывы
Отзывы читателей о книге "L’Opale de Sissi". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "L’Opale de Sissi" друзьям в соцсетях.