– Quelle bonne idée ! fit Aldo. Ce sera sûrement plus drôle que le dernier auquel il nous a été donné d’assister, ajouta-t-il en pensant aux épousailles fastueuses mais totalement insensées qui avaient été celles du pauvre Eric Ferrals avec Anielka Solmanska.
– On pourra au moins s’amuser sans arrière-pensées ! renchérit Adalbert. En attendant, on commencera par une partie de pêche demain matin sur le lac, ajouta-t-il en souriant à Maria. Connaîtriez-vous quelqu’un qui nous louerait une barque ?
– Georg, bien sûr, fit l’hôtelière. Nous en avons plusieurs et il en mettra une à votre disposition. Vous verrez cela demain matin ?
– Soyez tranquille ! Pour ce soir, nous avons surtout besoin d’un bon dîner et d’un bon lit...
Ils défirent leurs bagages puis se retrouvèrent dans la grande salle déjà abondamment décorée de guirlandes de sapin et de fleurs en papier. Assis sur des bancs, de part et d’autre d’une table assez grande pour six personnes, ils attaquèrent les assiettées de quenelles et de viande séchée qu’on leur servit arrosées d’un petit vin blanc sec comme pierre à fusil contenu dans un pot ventru, décoré de dessins naïfs :
– Dis donc, fit Morosini sa première faim apaisée, qu’est-ce qui te prend de vouloir aller pêcher dès l’aurore ou presque ? Tu n’oublies pas un peu que tu es archéologue ?
– La civilisation de Hallstatt m’a attendu durant des millénaires ; elle patientera bien encore un peu ? En revanche, je brûle d’envie d’aller voir de plus près certaine tour féodale, ou quelque chose qui y ressemble, que j’ai aperçue tout à l’heure en arrivant. Par le lac, ce doit être assez facile.
Le lendemain matin, après une bonne nuit passée dans les confortables lits paysans de Maria fleurant bon la lessive séchée au grand air, ils prirent possession d’une barque à fond plat, qu’ils choisirent parce qu’elle était la seule à être munie de rames parmi celles qu’on leur proposait, les autres se propulsant à la godille, un exercice qu’ils ne pratiquaient ni l’un ni l’autre. Aldo se mit aux avirons pendant qu’Adalbert préparait les cannes à pêche et il gagna le large pour se conformer aux conseils de Georg qui les avait regardés partir avant de retourner à ses occupations. Le moment était bien choisi, le village ayant fort à faire avec les préparatifs de la fête. Et puis le temps était frais mais calme et le matin pur. Le petit bateau glissait sans effort sur l’eau d’un beau vert sombre, lisse et unie comme un miroir.
Quand il fut assez loin pour espérer n’être plus observé, le rameur piqua droit sur le point que lui indiquait Vidal-Pellicorne à l’aide des jumelles et bientôt ils furent assez près de ce qui avait été un petit château fort mais n’était plus guère qu’une ruine envahie de végétation derrière laquelle on ne voyait pas grand-chose. Pas même le petit filet de fumée révélant la présence de gens éprouvant le besoin de se chauffer et de se nourrir. Seuls une étroite tour découronnée et un pan de mur tombant d’aplomb dans les eaux pouvaient abriter un logis intérieur mais cela paraissait si peu vraisemblable !
– J’aimerais savoir comment s’appelle cette ancienne œuvre d’art ? émit Adalbert. C’est peut-être l’ancien fief de notre comtesse ?
– Hochadlerstein ? Tu rêves ! Il est au ras de l’eau. Beaucoup trop bas pour être appelé Hoch.
D’après ce que j’ai vu, il y a dans les environs plusieurs nobles ruines perchées en altitude. Ce doit être une de celles-là. En attendant, on peut toujours essayer de débarquer ?
– L’abord me paraît difficile à moins que tu ne tiennes à piquer une tête dans le lac. On reviendra en passant par la terre, histoire de voir s’il est possible de visiter... à une heure discrète. En attendant on peut toujours rester aux alentours pour pêcher. Cela nous permettra d’observer si quelque chose bouge.
– Tu espères vraiment prendre quelque chose ? fit Morosini en voyant son ami déployer une longue canne. Autant que tu le saches tout de suite, je ne vaux rien à cet exercice.
– Suis mes conseils et fais semblant ! On ne sait jamais !
A sa grande surprise, Aldo réussit à prendre trois truites au cours de cette journée dont il craignait qu’elle ne fût assommante. Ce fut un agréable moment de calme et de détente bercé par les joyeux carillons de l’église annonçant aux alentours la formation d’un jeune couple, coupé aussi par le copieux pique-nique dont Maria avait pourvu les pêcheurs. Seule l’observation incessante du vieux castel se révéla décevante : si la bâtisse n’était pas abandonnée, cela y ressemblait. 11 allait falloir chercher ailleurs.
Quand ils revinrent à l’auberge, l’ambiance était des plus chaleureuses. Il y avait de longues tables couvertes de vaisselle à fleurs, de pots en grès où la bière moussait et aussi de verres à pied d’un joli vert tendre pour le vin. Les costumes des convives, ceux des jours de fête, étaient magnifiques : les hommes en culottes de cuir et gilets brodés, les femmes en multiples jupons sous les jupes amples, caracos brodés de fils d’or avec des manches bouffantes, tout ce monde heureux d’être là, riant, chantant et plaisantant les jeunes époux. Charmants d’ailleurs ! Elle rouge de confusion, lui plus rouge encore d’avoir fait honneur à la cuisine de Maria et à la cave de Georg. Déjà installés sur une estrade, deux accordéonistes soutenaient les chœurs en attendant de faire danser la noce. Aldo et Adalbert gagnèrent la cuisine où Maria et ses servantes s’affairaient. Les poissons qu’ils rapportaient leur valurent de chaudes félicitations.
– Venez, dit Maria, je vais vous présenter nos mariés !
– Laissez-nous d’abord nous changer, objecta Aldo.
Ils allaient se retirer quand elle les rappela :
– J’allais oublier ! Nous avons le Herr Professor Schlumpf qui désire vous rencontrer pour parler des fouilles. Il vit ici et s’en est occupé sa vie entière. Je me suis permis de lui dire de venir vous rejoindre ce soir...
– Vous avez bien fait ! dit Adalbert qui n’en pensait pas un mot. Ça va être amusant de parler archéologie sur fond d’accordéon, de tyroliennes et de braillements d’ivrognes ! confia-t-il à Morosini en remontant vers leurs chambres.
– Tu t’y connais dans cette branche-là ?
– Le premier âge du fer ? J’ai des notions mais ce n’est pas ma spécialité, tu le sais bien.
– Alors, sois content ! Si tu dis des bêtises, les flonflons de l’orchestre et l’enthousiasme ambiant couvriront tes paroles !
– Je ne dis jamais de bêtises ! fit Adalbert vexé mais il ajouta : Tu n’as peut-être pas tort, après tout, ça peut servir !
Le professeur Werner Schlumpf, de l’université de Vienne, ressemblait trait pour trait à l’image que le commun des mortels se fait de ses semblables : petit homme nerveux portant moustache, barbiche, lorgnons, et dont les cheveux poivre et sel commençaient à abandonner son front au profit de sa nuque. Le seul trait marquant de sa figure était une cicatrice qui déformait son sourcil gauche, mais ses manières et sa politesse étaient parfaites.
Après avoir échangé avec son confrère un salut protocolaire, il accepta de prendre place à la table où les deux amis en étaient au café et aux cigares, dont un exemplaire fut d’ailleurs offert en même temps que le schnaps servi avec célérité par Georg en personne. Le nouveau venu en avala une solide rasade, l’œil fixé sur Morosini qui semblait l’intéresser au plus haut point depuis qu’il le savait prince :
– Vous n’êtes pas archéologue, je suppose ? La haute aristocratie, en général, n’exerce aucun métier...
– Détrompez-vous ! Je suis antiquaire, spécialisé dans les joyaux anciens.
– Ha, ha ! je commence à comprendre mais j’ai peur que votre séjour ici ne vous déçoive : tous les objets précieux trouvés dans le millier de sépultures préromaines découvert depuis 1846 aux alentours des mines de sel, là-haut dans la montagne, se trouvent à présent au musée d’Histoire naturelle de Vienne. Quelques-uns sont restés ici, dans notre petit musée local mais ce ne sont pas les plus importants. De toute façon, il n’est pas question que vous découvriez quoi que ce soit à acheter...
– Telle n’est pas mon intention, fit Morosini avec son sourire à désarmer une douairière. Je ne m’intéresse qu’aux pierres précieuses et je ne suis ici que pour accompagner mon ami Vidal-Pellicorne.
Du coup le professeur eut l’air vexé :
– Vous auriez tort de mépriser les bijoux de notre période. Ils sont faits de l’or le plus fin et certains d’une grande beauté... Il s’agit d’une civilisation avancée. La tribu fixée ici n’était pas celtique ainsi qu’on l’a conjecturé à l’origine mais plutôt illyrique. Sans doute appartenait-elle à la peuplade commerçante des Sigynnes dont parle Hérodote et qui s’installait aux carrefours des grandes voies de transit pour le fer, le sel et l’ambre. Je vous conseille de monter jusqu’à la tour de Rudolf pour voir la nécropole dont les tombes les plus anciennes attestent qu’on pratiquait à l’origine le rite de l’incinération...
Heureux, de toute évidence, de tomber sur un néophyte, le savant, négligeant son confrère français, se lança dans une véritable conférence dans laquelle Adalbert se révéla incapable de placer un mot en dépit de ses efforts méritoires. Amusé, Aldo jouait le jeu, écoutant le vieux savant avec une attention flatteuse quand, soudain, son regard s’évada : un homme dont la haute taille et la corpulence annonçaient une force redoutable venait d’entrer et s’approchait de Georg Brauner occupé à essuyer des verres à son comptoir.
En dépit de la différence de costume, la mémoire photographique de Morosini lui restitua aussitôt la précédente image qu’il avait eue de ce personnage : dans une loge d’Opéra, escortant la mystérieuse dame masquée de dentelles noires. A cette occasion, il portait une sorte de livrée à la hongroise, avec brandebourgs noirs et soutaches d’argent, mais c’était bien le même visage. Cependant, la voix mécontente de Schlumpf le ramena à l’heure présente :
"L’Opale de Sissi" отзывы
Отзывы читателей о книге "L’Opale de Sissi". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "L’Opale de Sissi" друзьям в соцсетях.