– Vous cherchez quelque chose, monsieur ? demanda-t-elle avec la gentillesse instinctive des gens de ce pays. Elle était charmante, avec un visage rond et frais qui attirait tout naturellement le sourire.
– Oui et non, madame, dit Morosini en se découvrant, ce qui la fit rosir un peu plus. Il y a fort longtemps que je ne suis venu ici, je ne me retrouve plus tout à fait. Cette maison, c’est bien la villa du baron von Biedermann ? (il avait lancé le premier nom qui lui était venu à l’esprit.)
– Oh non, vous faites erreur. C’était celle du comte Auffenberg. Je dis c’était parce qu’elle vient d’être vendue mais je ne saurais vous donner le nom du nouveau propriétaire.
– C’est sans importance, madame, du moment que ce n’est pas ce que je croyais. Merci de votre obligeance !
Elle le quitta en esquissant une rapide petite révérence et poursuivit son chemin. Aldo en fit autant quand il eut constaté que la maison ne donnait aucun signe de vie. Curieuse demeure, en vérité, où l’on venait passer quelques instants en pleine nuit avant de reprendre une longue route ! Pour rendre visite à un fantôme ? Ou à quelqu’un qui ne tenait pas à ce que l’on sache sa présence ? Décidément, le rôle d’Alexandre devenait de plus en plus trouble.
Avec un rien de mélancolie, Aldo pensa que son propre chemin prenait des allures d’impasse, et c’était une situation qu’il détestait, mais comment faire pour en sortir ? Retourner voir la comtesse pour lui révéler la bizarre conduite d’un homme en qui elle semblait placer toute sa confiance ? Impossible à moins d’avouer que leur entretien avait été espionné par Adalbert et lui. Ce qui l’était encore plus. On imaginait sans peine avec quelle indignation elle recevrait les confidences d’un personnage qu’elle ne portait déjà pas dans son cœur.
L’idée qu’Apfelgrüne saurait peut-être quelque chose ne fit que l’effleurer. Ce garçon s’intéressait à lui-même et à sa chère Lisa. Sans plus !
En désespoir de cause, il se résolut à aller passer un moment dans une brasserie, après quoi il pousserait jusqu’à la Kaiser Villa. Il croyait beaucoup aux atmosphères, et se plonger dans celle de cette résidence estivale de la famille impériale lui apporterait peut-être une idée.
La grande demeure dont la propriétaire actuelle était l’archiduchesse Marie-Valérie, devenue princesse de Toscane par son mariage avec son cousin l’archiduc François-Salvator, pouvait être visitée en partie, pourtant Morosini ne franchit pas le portique de cette construction dont les murs, d’un jaune doux, rappelaient un peu Schônbrunn et mettaient une note ensoleillée au milieu des arbres dépouillés par l’automne. L’intérieur, il l’avait entendu dire, abritait quantité de trophées de chasse, massacres de cerfs, de sangliers et surtout de chamois dont on disait que François-Joseph avait abattu plus de deux milliers. Les exploits cynégétiques n’avaient jamais tenté Morosini et ceux-là moins que tous autres. Et puis, comment chercher la trace d’une femme qui adorait les animaux au milieu d’un mausolée à leur destruction ? Aussi pré-féra-t-il errer dans le parc, monter lentement vers le pavillon de marbre rose que l’impératrice avait fait construire en 1869 pour écrire, rêver, méditer, se donner l’impression d’être une châtelaine comme une autre, libre de laisser errer son regard sur les plantes et les arbres dont s’entourait son refuge et derrière lesquels aucun garde ne se dissimulait.
Appartenant à un peuple que l’Autriche avait tenu captif pendant de trop longues années, le prince Morosini n’éprouvait guère d’affection pour son impériale famille, mais en lui l’homme de cœur ne pouvait refuser l’hommage de son admiration à une souveraine dont la beauté illuminait encore les nombreux portraits, ni celui de sa compassion aux nombreuses blessures dont son cœur avait saigné. Et c’était son ombre douloureuse et fière qu’il cherchait à saisir pour lui ravir peut-être un secret...
Debout près d’un sapin, il contemplait avec une certaine déception la bâtisse composite fortement influencée par le style troubadour qu’il avait toujours détesté quand une voix aimable se fit entendre :
– Je n’ai jamais beaucoup aimé cette construction. On y retrouve un peu trop le goût des princes bavarois pour un Moyen Age dans le style de Richard Wagner. Sans aller jusqu’aux délires du malheureux roi Louis II, cela rappelle un peu que notre Elisabeth était sa cousine et qu’elle l’aimait beaucoup.
Enveloppé d’une cape de loden, un feutre à blaireau enfoncé sur la tête et une canne à la main, M. Lehar considérait son compagnon de voyage avec un sourire malicieux :
– Vous ne m’aviez pas dit, ajouta-t-il, que vous étiez un admirateur de Sissi ?
– Pas vraiment mais, lorsque l’on vient ici, il est presque impossible d’échapper à la magie qui s’attache à son souvenir. Surtout lorsque c’est lui que l’on recherche. Un haut personnage, qui est de mes clients, lui voue une sorte de passion posthume : il m’a chargé de retrouver des objets lui ayant appartenu...
– Il est certain que dans ce domaine il y en a beaucoup mais je serais fort étonné qu’on accepte de vous en vendre seulement un.
– Telle n’est pas non plus mon espérance. Encore que l’on ne puisse jamais savoir. Non, ce que j’aimerais rencontrer, ce sont d’anciens fidèles...
– Plus ou moins dans le besoin ? Ça c’est tout à fait possible et ils sont assez nombreux à hanter ce parc. Tenez, en voici une, ajouta le musicien en désignant discrètement une dame vêtue de velours noir qui venait de sortir du château de marbre et se tenait debout, les mains au fond de son manchon, sous la petite véranda où s’accrochait une vigne vierge d’un beau rouge profond dont les feuilles commençaient à joncher la terre.
– Elle n’a pas l’air dans le besoin, remarqua
Morosini qui avait reconnu la comtesse von Adlerstein.
– Elle ne l’est pas, en effet, et elle cherche même à soulager bien des misères mais elle vous sera peut-être utile. Venez, je vais vous présenter !
Il était déjà parti. Force fut à Aldo de le suivre après une brève hésitation. Après tout, il serait peut-être intéressant de voir comment on allait le recevoir ?
Le compositeur, lui, le fut à merveille. La vieille dame l’accueillit d’un franc sourire. Et qui s’effaça lorsque Morosini fut à portée de regard. Il jugea nécessaire de prendre les devants :
– Vous êtes trop impétueux, mon cher maître, dit-il en s’inclinant devant la comtesse d’une façon qui eût satisfait une reine. J’ai déjà eu l’honneur d’être présenté à Mme von Adlerstein... et je ne suis pas certain qu’une nouvelle rencontre lui agrée ?
– Pourquoi pas, dès l’instant où vous ne demandez pas l’impossible, prince ? Après votre départ, j’ai éprouvé quelques remords mais j’étais nerveuse ce jour-là. Vous en avez fait les frais. Je le regrette.
– Il ne faut jamais rien regretter, madame. Surtout pas un élan généreux. Vous voulez protéger votre amie mais, sur mon honneur, je ne lui veux aucun mal, bien au contraire.
– Je me serai donc trompée du tout au tout, dit-elle en tirant de son manchon un fin mouchoir dont elle effleura son nez d’un geste désinvolte qui ôtait à ses paroles toute notion de repentir. Elle ajouta aussitôt : Vous pensez rester ici quelque temps ? Je vous croyais reparti avec votre ami archéologue...
Décidément, elle a très envie d’être débarrassée de toi ! pensa Morosini qui répondit néanmoins avec bonne humeur :
– C’est justement parce qu’il est archéologue que nous sommes encore ici : il se passionne pour l’antique civilisation dite de Hallstatt et, comme je ne l’ai pas vu depuis longtemps, je vais demeurer quelque temps en sa compagnie.
Il aurait juré qu’au nom de Hallstatt Mme von Adlerstein avait tressailli. Ce n’était peut-être qu’une impression, mais une chose était certaine, sa nervosité revenait :
– D’où vient que vous ne soyez pas ensemble alors ?
– Parce qu’il m’a abandonné, comtesse ! fit-il avec une amabilité accrue. Nous avons eu le plaisir de faire mieux connaissance avec votre petit-neveu, hier à l’hôtel. M. von Apfelgrüne a insisté pour faire les honneurs du site à mon ami et, comme il n’y a que deux places dans sa voiture, j’en suis réduit à errer dans Ischl. Avec un certain bonheur, je l’avoue.
– Seigneur ! Où allons-nous si cet hurluberlu se mêle à présent d’archéologie ! Il n’est même pas capable de faire la différence entre un fossile et une pierre de taille ! J’espère avoir, un de ces jours, le plaisir de vous revoir, prince, et vous, mon cher maître, venez à Rudolfskrone quand vous en aurez le loisir !
– Je profiterai bientôt de la permission, se hâta de dire le musicien un peu vexé de s’être trouvé mis à l’écart avec tant de légèreté. Je compte vous donner de bonnes nouvelles de votre parent, le comte Golozieny. Nous nous sommes trouvés ensemble à Bruxelles et...
Mais elle descendait déjà le chemin en pente menant à la Kaiser Villa. Cependant, elle se retourna :
– Alexandre ? Je l’ai vu il y a peu mais venez m’en parler tout de même autour d’une tasse de thé !
La comtesse reprit sa route et, cette fois, ne se retourna plus :
– Quelle attitude bizarre ? fit Lehar décontenancé. Une femme qui est toujours la grâce en personne !
– Tout est de ma faute, mon cher maître ! J’ai le malheur de lui déplaire, voilà tout ! Vous auriez dû me laisser dans mon coin. Mais vous venez de prononcer un nom qui ne m’est pas inconnu. Le comte...
– Golozieny ? compléta le compositeur sans se faire prier. Que vous l’ayez déjà rencontré ne m’étonne pas. Il est quelque chose dans le gouvernement actuel mais cela ne l’empêche pas de voyager beaucoup à l’étranger. Il aime Paris, Londres, Rome... et les jolies femmes ! Qui, je crois, lui coûtent fort cher mais n’en dites rien ! Surtout à la comtesse : il est hongrois comme elle et c’est son cousin...
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