— Je te crois sans peine, cependant il serait plus simple de retourner chez sir Percy et de lui demander tout simplement de revoir son livre.
— Dix contre un qu’on n’y arrivera pas !
— Pari tenu ! On y va cet après-midi une fois le plus gros de la chaleur passé… Inutile de l’indisposer en tombant au milieu de sa sieste !
— Avec le plus vif plaisir… à condition que tu nous trouves une voiture ! Après les galopades de cette nuit, je ne sens plus mes pieds !
— Ça te fera au moins un sujet de conversation avec ce pauvre Clark, fit Morosini féroce.
— Oh bravo ! C’est d’un goût !
Aldo l’admettait volontiers mais la notion des plus élémentaires convenances lui échappait à ce moment où il souhaitait surtout rester seul pour lire et relire encore la lettre, si courte, de Lisa. Uniquement parce qu’elle s’achevait sur un « je t’aime »… De quoi rêver pendant des semaines !
Longuement, il examina le papier, l’enveloppe : tous deux d’un très beau vélin à la forme dont il n’aurait pas désavoué l’usage. L’écriture aussi ferme, nette ne montrant aucun signe révélant une nervosité quelconque. Lisa, très certainement, était en pleine possession d’elle-même. Elle semblait accepter la captivité qu’on lui imposait mais tous deux avaient connu ensemble trop d’aventures pour qu’elle se laisse aller à la panique ou même à la simple inquiétude. En digne continuatrice des princesses Morosini du temps passé, elle faisait face, tout simplement…
La journée parut longue à Aldo, soudain saisi d’un grand besoin d’activité plus fort que sa fatigue, mais il n’y avait rien d’autre à faire que prendre un bon bain, dormir, déjeuner avec « la famille » et errer dans les jardins de l’hôtel en attendant l’heure convenable pour se rendre chez un vieil homme infirme. Enfin, elle vint et à cinq heures pile la voiture fournie par l’hôtel s’arrêtait devant l’entrée de l’ancien couvent byzantin au flanc du mont des Oliviers… mais l’appel de la cloche fit taire en vain le chant des oiseaux dans les arbres : personne ne se montra.
Pendu à l’antique chaîne, Adalbert réitéra son appel encore et encore sans plus de résultat :
— C’est impossible, s’énerva-t-il. Même si le domestique est allé chercher le pain, le lait ou Dieu sait quoi, même si sir Percy est seul, il peut parfaitement venir ouvrir puisque tout est de plain-pied dans sa maison.
— Il est peut-être parti ? N’est-ce pas toi qui, ce matin, me faisait observer qu’un infirme riche garde bien des moyens de se déplacer ?
— Un peu précipité, ce départ ! Et pour aller où ?
— Comment veux-tu que je le sache ? Il n’a parlé de rien hier mais rien ne l’y obligeait : nous ne sommes pas intimes. Maintenant, je peux te proposer une autre hypothèse : il sait que c’est nous, et il n’a aucune envie de nous voir !
— Je pencherais volontiers vers ton idée. Parce qu’elle est tout à fait conforme à ce que je pensais. Souviens-toi que nous avons parié !
— Circonstance fortuite ! grogna Morosini. Alors ? On prend le train pour Dijon ?
— Pas avant d’avoir effectué une dernière tentative. Si sir Percy est vraiment parti, il n’a tout de même pas déménagé sa bibliothèque… et j’ai bien l’intention de m’en assurer. Pas plus tard que cette nuit !
Morosini sursauta :
— Tu n’es pas en train de me dire que tu vas…
L’innocent sourire de Vidal-Pellicorne frisa l’angélisme :
— Visiter ce vieux couvent aux alentours d’une heure du matin ? Mais si, mon bon !
— Tu es fou ?… Comment feras-tu ? Ce vieux couvent est solide et il faut un minimum d’outils pour pratiquer ce genre d’activité…
— Bof ! Un archéologue digne de ce nom emporte toujours avec lui quelques menus objets… une sorte de trousse bien utile… en cas !
— En cas ?… Et si sir Percy est retranché dans son logis, tu vas nous faire pincer et expédier en prison ! Sans compter le ridicule…
— Qui ne risque rien n’a rien ! fit Adalbert sentencieusement. Et puis tu sais très bien que je ne suis pas si maladroit !
C’était le moins qu’on puisse dire ! Aldo n’ignorait rien des talents de cambrioleur de son ami, complétant de si heureuse façon une activité occulte d’agent secret occasionnel. Comment oublier que leur première rencontre avait eu lieu dans le jardin d’un hôtel du parc Monceau à Paris quand Adalbert, qui venait de visiter le bureau d’un célèbre marchand de canons, lui était pratiquement tombé dessus depuis le premier étage ? Et dans la suite de leur quête des quatre pierres précieuses manquant au Pectoral du Grand Prêtre, les doigts si agiles d’Adalbert s’étaient souvent révélés fort utiles, voire déterminants.
— C’est ça ou Dijon ! conclut l’archéologue. On essaie ?
Morosini haussa des épaules désabusées :
— Au point où l’on en est !… Ça a, au moins, l’avantage d’être moins loin !
On resta encore un moment comme si l’on hésitait à repartir dans l’espoir qu’une présence quelconque se manifesterait mais, en réalité, Adalbert observait attentivement la maison et ses alentours :
— Je passerai par le jardin et la terrasse, murmura-t-il. Pas question de s’attaquer au porche !
— Tu crois que la grande baie sera plus facile à ouvrir ? Il y a peut-être des volets ? Surtout si le maître est parti !
— Il n’y en a pas. Vois-tu, quand je visite la maison d’un confrère, j’ai la manie d’observer toujours un tas de détails : la fermeture des portes, les protections, les accès au toit… Ça peut toujours servir, ajouta-t-il suave…
— Heureusement qu’ils ne sont pas tous comme toi, observa Morosini.
Le soir venu on dîna comme convenu avec les compagnons d’aventures de la nuit précédente. Un dîner agréable, sans plus. Aldo et Douglas Mac Intyre pensaient à Lisa, quant à Marie-Angéline, si elle montra une vive reconnaissance des peines que l’on avait prise pour elle… il lui était impossible d’oublier qu’il allait lui falloir quitter un pays aussi passionnant pour retrouver le train-train de la rue Alfred-de-Vigny en hiver avec les potins du quartier et la messe de six heures à Saint-Augustin.
— On se retrouvera peut-être tous à Venise pour Noël ? lui dit Aldo pour la consoler et, de toute façon, je vous promets de vous appeler ou d’aller vous voir si nous avons besoin de vous !
Elle lui offrit un regard désolé :
— J’espérais tant pouvoir vous suivre jusqu’au bout !
— Nous ne savons pas où il est, le bout, mais soyez sûre que nous allons tout faire pour que Lisa me soit rendue le plus vite possible…
Il était environ une heure du matin quand Aldo arrêta le moteur de la voiture à l’abri d’un vieil olivier d’où il pourrait surveiller les abords de la maison et éteignit les phares. Il avait été convenu qu’il ferait la guet tandis qu’Adalbert s’introduirait dans la place. Silencieusement, celui-ci ôta sa veste de smoking pour la remplacer par un chandail noir à col roulé, échangea ses souliers vernis contre une paire de chaussures à semelles de caoutchouc, enfila des gants noirs et cacha sa toison couleur paille sous une casquette enfoncée jusqu’aux sourcils. Muni d’un petit sac en peau contenant ses outils, il fit à son ami un signe d’adieu et courut vers l’ancien couvent sans faire plus de bruit qu’un chat. Aldo le vit escalader le mur du jardin et disparaître enfin de l’autre côté. L’attente commençait qui lui parut interminable. Tapi dans l’ombre de la voiture dont la capote était relevée, il fumait cigarette sur cigarette, détestant ce rôle de guetteur et l’idée qu’Adalbert affrontait seul l’inconnu de cette maison qui, à présent, lui semblait hostile. La cinquième cigarette éteinte, il n’y put tenir, sortit de la voiture et refermant la portière sans la faire claquer, s’avança de quelques pas. Rien ne bougeait, tout était tranquille. Le silence était si complet qu’on pouvait se croire sur une planète éteinte. C’était au point que Morosini accueillit avec un vague soulagement la cloche d’un couvent sonnant matines sur la route de Béthanie et de Jéricho.
Assis sous un olivier en face du mur du jardin, Aldo chercha une nouvelle cigarette mais ses doigts ne rencontrèrent que le vide. Il en fut si contrarié que, dans sa nervosité, il faillit jeter avec colère le précieux étui d’or gravé à ses armes, se retint à temps en jurant à voix basse…
Enfin la noire silhouette qu’il espérait se laissa tomber du mur d’en face et un énorme poids s’envola. Aldo courut vers son ami.
— Tu en as mis du temps !
— Si tu veux que je te donne des leçons sur l’art d’entrer chez les gens sans y être invité, tu verras que, si l’on veut faire les choses proprement, ça demande du soin, donc du temps !
— D’accord, mais selon moi tu as pris celui de lire le livre en entier.
— Il aurait fallu que je le trouve.
— Il n’y est plus ?
— Non. J’avais pourtant bien repéré l’endroit de la bibliothèque où il a sa place mais impossible de mettre la main dessus. J’ai cherché un peu partout, tu penses bien !… même dans la chambre de sir Percy en pensant que peut-être il l’avait à son chevet…
— Tu as osé ?
— Pourquoi pas ? La maison est vide comme ma main. Allez ! On rentre !
Sans plus parler, les deux hommes rejoignirent leur voiture. Aldo se réinstalla au volant, effectua une rapide marche arrière et reprit le chemin de l’hôtel.
Le lendemain matin, Mme de Sommières, Marie-Angéline, Morosini et Vidal-Pellicorne quittaient Jérusalem en voiture pour rejoindre Jaffa et le bateau de Louis de Rothschild qui allait remonter sur Tripoli afin de laisser les deux hommes à la gare du Taurus-Express avant de ramener les deux dames à Nice où la marquise venait de décider de faire une halte :
— Ce sera moins triste ! dit-elle. Après tout ce soleil, je n’ai aucune envie de regarder pleurer les arbres du parc Monceau…
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