L’exposition rassemblait d’abord de nombreuses effigies de la Reine : peintures, sculptures ou simples dessins. En marbre, en bronze, en albâtre ou sur toile, partout l’on rencontrait le beau visage altier. Des meubles aussi, appartenant au château ou prêtés par des collectionneurs. Des livres aux armes ou au monogramme de Marie-Antoinette étaient revenus dans la pièce qui avait été la bibliothèque, et sur les murs provisoirement tendus de soie quelques billets écrits de sa main et encadrés d’or voisinaient avec trois aquarelles peintes par elle. Dans les vitrines des éventails, des flacons, des mouchoirs et un objet très émouvant, le livre supportant les échantillons de tissus de toutes ses robes, ce registre qu’elle avait mille fois feuilleté et qu’apportait chaque matin la dame d’atour. D’habiles ouvrières avaient réussi à reconstituer, à partir de ce livre, deux des toilettes de la Reine exposées sur des mannequins avec des gants brodés et des souliers de satin. Des jouets d’enfants et des timbales évoquaient la mère. Des miroirs, des brosses, des peignes, des flacons et de petits pots de Sèvres, de vermeil ou d’argent, la femme coquette, et plus loin un nécessaire de voyage qui n’avait guère servi puisque, au contraire de toutes les reines de France, Marie-Antoinette n’avait jamais quitté Versailles ni surtout Trianon.

Laissant la foule piétiner sur les pas du conservateur qui lui délivrait une conférence itinérante et Vauxbrun, complètement détaché du sujet, se consacrer à Léonora, Aldo rejoignit l’appartement de la Reine par le chemin qui lui avait permis, tout à l’heure, d’éviter la cohue. Il se composait de trois « petites » pièces entresolées où chacune des précieuses vitrines avait été disposée. Il n’y restait que peu de meubles. Encore les avait-on retirés au bénéfice de torchères dont les lumières mettaient les joyaux en valeur. Une vitrine par salon permettait une circulation réduite sans doute mais assurant une meilleure surveillance.

C’était surtout le boudoir de Marie-Antoinette qui attirait Aldo. Là étaient les bijoux les plus précieux et il voulait examiner d’aussi près que possible la « larme » de diamant que l’on y avait installée auprès de ses girandoles et des bracelets de son beau-père.

Arrivé la veille seulement de Venise, il avait eu juste le temps de remettre l’écrin au prince de Polignac, membre illustre du Comité et compositeur mondain descendu pour une fois de ses rêves musicaux. Il était chargé de recevoir les dépôts en présence de policiers armés. Visiblement dépassé par une responsabilité due au fait qu’il était le chef de nom et d’armes d’une famille que Marie-Antoinette avait portée au pinacle, il assumait là une corvée évidente dont il avait hâte de se débarrasser. Morosini, qui avait compté sur la présence du fameux joaillier Chaumet chargé de l’organisation des vitrines ou d’un de ses représentants, n’avait donc pu visiter comme il le souhaitait. Aussi espérait-il disposer d’un temps appréciable avant de voir arriver les invités.

Ainsi qu’il le pensait, le boudoir était vide à l’exception des deux policiers, en perruque poudrée, qui montaient la garde. C’était l’endroit le mieux protégé du château grâce à un caprice de la Reine : en choisissant l’ancienne « pièce du café » de Louis XV et pour qu’il devienne son refuge intime, elle avait fait installer un système de miroirs sortant du parquet pour venir obturer les fenêtres, s’assurant de la sorte une tranquillité absolue puisqu’il n’était plus possible de voir quoi que ce soit depuis les jardins. On avait réussi à remettre en marche le mécanisme et le boudoir isolé devait son éclairage à la seule lumière électrique.

En y pénétrant, Aldo se crut le jouet d’un rêve : la Reine était là ! En grand habit de satin et dentelles, blanches comme le piquet de plumes d’autruche fixé par une agrafe de diamants dans sa haute coiffure poudrée, un éventail à la main, elle semblait fascinée par le scintillement des pierres sur leur lit de velours noir. Cette femme était élancée, mince, imposante et gracieuse à la fois et Morosini la salua d’un mouvement irréfléchi :

— Votre Majesté !

« Marie-Antoinette » sursauta, se retourna et sourit :

— Dieu, que vous m’avez fait peur !

— Vous m’en voyez désolé, madame mais je pourrais presque vous en dire autant. L’illusion est parfaite…

Quand elle s’était retournée, en effet, il avait reconnu ce visage dont il avait pu voir nombre de photographies : celui de la comédienne Marcelle Chantal qui venait d’incarner la souveraine quelques mois plus tôt dans l’un des deux premiers films parlants tournés en France, Le Collier de la Reine. Le sourire de la jeune femme s’accentua :

— Merci. Puis-je vous demander qui vous êtes ? Je ne connais pas tous les membres du Comité, ajouta-t-elle, les yeux sur la cocarde bleue et blanche au revers du veston.

— Je ne suis arrivé qu’hier… avec ceci, continua-t-il en désignant les girandoles rosées, et…

— Oh ! Le magicien de Venise, je présume ? Prince Morosini ?

— Extrêmement flatté d’être connu de… Votre Majesté, fit-il en s’inclinant sur la main gantée qu’on lui offrait.

— Ne faites donc pas le modeste ! Vous savez fort bien que vous faites rêver toutes les femmes de goût ! Sans doute aussi les autres et j’aimerais infiniment bavarder un moment avec vous mais j’entends la horde qui arrive et je dois rejoindre mon poste. Je suis la « surprise » du jour ! ajouta-t-elle en riant.

Elle glissa à la rencontre des invités, Aldo revenant à la vitrine, se pencha pour approcher au plus près la pièce qui l’intriguait et tira de sa poche la loupe de joaillier qui ne le quittait jamais. Aussitôt, l’un des gardiens voulut s’interposer :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Ni une clef ni une matraque : une simple loupe…

Il s’interrompit : même à cette distance, le puissant verre grossissant confirmait le soupçon qui lui venait. À savoir que la ravissante pièce devait être fausse. Et c’était bien la seule parmi celles qui l’entouraient. En outre, on lui avait donné la place d’honneur ! Un comble !

Replaçant le petit outil dans sa poche, il voulut se mettre à la recherche de Chaumet qu’il avait vu arriver pour avoir une explication. Impossible que l’un des plus grands joailliers du monde se fût laissé prendre ! Il devait y avoir une raison ! Seulement il fallait attendre : les pas nombreux approchaient à la suite de la voix cultivée et précise de M. Pératé. Ils arrivaient à l’appartement de la Reine ainsi que l’en convainquirent les exclamations de surprise en découvrant, au seuil, la somptueuse évocation qui les accueillait d’une révérence. Des bravos éclatèrent orchestrés par le président du Conseil : la très belle Marcelle était en train de remplacer la non moins belle mais plus imposante encore Mary Marquet, de la Comédie-Française, dans le cœur de l’inflammable Tardieu !

Il vint lui baiser la main avec un enthousiasme communicatif. Cela mit de l’animation dans la conférence, créant une sorte de tohu-bohu, un bouchon à l’entrée de l’appartement, que les organisateurs eurent quelque peine à rendre fluide pour amener, cinq par cinq, les invités devant les vitrines. Ce que voyant, Aldo repartit par où il était venu afin de prendre la foule à revers et chercher Chaumet. Et ne le trouva pas.

— Il vient de partir, le renseigna Mme de La Begassière. On l’a appelé au téléphone et il avait l’air dans tous ses états.

— Et il n’a rien dit ?

— Ma foi, non. Je ne lui ai d’ailleurs rien demandé. Par pitié, mon cher prince, laissez-moi savourer cet instant de paix, ajouta-t-elle en agitant l’une des invitations en guise d’éventail. Songez que dans un petit moment il va falloir emmener cette joyeuse compagnie « bâfrer » au champagne dans le Jardin anglais. Et comme nous n’avions pas prévu une telle cohue, je crains qu’il n’y en ait pas pour tout le monde !

— Bah ! Vous avez les Polignac sous la main et qui dit Polignac dit champagne Pommery. Demandez-leur quelques caisses en urgence ! Quant aux petits fours…

— Marie-Angéline s’en occupe ! Elle s’est précipitée chez le pâtissier pour réclamer du supplément ! Une vraie perle, cette sainte fille ! Je ne remercierai jamais assez Mme de Sommières de nous l’avoir prêtée.

— Et vous aurez raison, approuva Morosini pensant avec amusement que l’aimable dame eût été fort surprise d’apprendre de quoi était capable la sainte fille en question lorsqu’elle était sur le sentier de la guerre. En attendant il alla fumer une cigarette dans le Jardin anglais où, en effet, une vaste tente rayée bleu et blanc avait été dressée pour abriter le buffet d’éventuelles intempéries.

Balayant momentanément l’affaire de la fausse larme qu’il jugeait offensante pour ceux qui, comme lui-même, s’étaient séparés héroïquement de véritables trésors destinés à leur seule contemplation, il laissa son esprit s’envoler vers son palais vénitien où, un mois plus tôt, sa Lisa avait donné le jour à un petit Marco avec une facilité confondante : à peine une demi-heure de douleurs et l’enfant était là, déjà potelé, braillant et gigotant sous une crête de cheveux roux laissant espérer une ressemblance avec sa mère au contraire des aînés, Antonio et Amelia, les jumeaux, bruns comme des châtaignes et résolument Morosini. Il était si mignon que tout le monde entra en extase. Aldo le premier quand la main minuscule du bébé se referma autour de son index et s’y cramponna.

Mais le miracle, ce fut la soudaine sagesse des jumeaux habitués depuis qu’ils se tenaient debout à emplir le palais paternel de leurs galopades, de leurs jeux, de leurs cris, de leurs initiatives pas toujours appréciées et, depuis qu’ils savaient parler, de leurs joutes oratoires. À quatre ans, ils constituaient la paire la mieux soudée et la plus inventive de tout le pays, sinon de l’Europe entière. Or, le jour où la chambre de leur mère se referma sur les mystères de l’enfantement, ils se calmèrent net : plus de vacarme ! Ils ne se déplacèrent plus que sur la pointe des pieds et, une fois mis en présence du bébé, ils l’observèrent gravement, après quoi Antonio déclara :