— Nous n’en avons pas besoin, carissima ! C’est à moi que revient le délicieux privilège de vous déshabiller !
Il louvoyait pour s’approcher d’elle par-derrière afin d’atteindre les agrafes de fermeture mais d’une souple glissade elle rétablit la distance entre eux.
— Certainement non ! Vous allez tout déchirer et je veux garder ce costume intact ! Appelez Brownie ! Elle a des doigts de fée !
Ricci parut soudain ulcéré :
— Il est hors de question d’introduire une domestique dans ma nuit de noces ! Et je ne comprends même pas que vous puissiez avoir cette idée ! Si par malheur j’abîme votre robe je vous en ferai faire une identique ! D’ailleurs ajouta-t-il en s’efforçant de sourire, je vous assure que je suis beaucoup plus adroit que vous ne le supposez…
— J’en suis persuadée mais, de toute façon, il faut appeler ma camériste. Ne fût-ce que pour apporter mes vêtements de nuit dont je ne peux pas faire autrement que constater l’absence ! Quand je vous dis que le service est mal fait ici… Je ne suis pas habituée à de tels manquements !
— Ce n’est rien, ma douce. Je vais aller vous les chercher moi-même… si vous y tenez absolument !
— Comment si j’y tiens ? Mais bien sûr ! Un déshabillé si ravissant ! Satin nacré et dentelles de Malines. Faites dire à Brownie qu’elle me les apporte.
— Moi je n’y tiens pas ! fit Ricci avec âme. Satin, dentelles, si beaux qu’ils soient ne sont que barrières insupportables pour l’époux passionné que je suis. Jamais vous ne serez plus belle que nue… et c’est nue que je vous veux !
De son coin, Aldo admira en connaisseur la rougeur qui envahit le visage de la jeune femme. Si elle n’était pas fondamentalement bégueule, c’était une artiste exceptionnelle ! Elle riposta, l’air courroucé :
— Il n’est pas d’usage en Angleterre de jeter des termes aussi vulgaires au visage d’une jeune mariée. Vous pourriez au moins faire preuve d’un semblant de délicatesse et ne pas effaroucher ma pudeur ! Je veux Brownie !
Le soupir de Ricci aurait pu faire tomber le ciel de lit :
— Bon ! Je vais vous dire : j’ai envoyé votre Brownie sur le Médicis où elle est en train de ranger vos affaires afin que demain, quand nous appareillerons, tout soit en ordre. Voyez si j’ai péché c’est par excès de prévenance. Allons, ma douce, ma colombe cessez de vous rebeller. Le temps de nous aimer est venu. Ne résistez plus à l’attirance que nous éprouvons l’un envers l’autre. Moi surtout, évidemment puisque je suis votre aîné… et que vous êtes belle à damner un saint. Laissez-moi vous déshabiller ?
— Et je devrais sans doute vous rendre le même service… ou prétendez-vous faire l’amour en habit ? fit Hilary glaciale. Je me demande où vous avez été élevé ? Un gentleman a recours aux services d’un valet…
En jouant ainsi la pudibonderie offensée, Hilary était impayable et en des circonstances moins dramatiques, Aldo se serait amusé franchement mais la menace qui planait lui ôtait l’envie de rire. D’ailleurs, Ricci commençait visiblement à perdre patience comme en témoignait la dangereuse lueur de son regard. Il devait se sentir ridicule aux yeux de l’observateur attentif qu’il s’était lui-même donné. Il lâcha les vannes de sa colère, jeta bas son habit, arracha sa cravate et le plastron glacé de sa chemise, faisant sauter les boutons de diamants :
— En voilà assez ! cracha-t-il. Je te plais mieux comme ça, espèce de garce ? Alors à ton tour ! Il est temps pour toi d’apprendre qui est le maître ici… Mais d’abord enlève tes bijoux !
La main pâle d’Hilary remonta à sa gorge, se posant sur la croix scintillante :
— Ma foi non ! Je les garde. Ils me vont trop bien ! Je crois même que je ne vous les rendrai jamais…
— Ah tu le crois ?
Chargeant comme un taureau furieux, Ricci se rua sur elle mais à nouveau elle esquiva, cherchant quelque chose dans l’une de ses volumineuses manches et quand elle se retrouva en face de son époux, elle tenait en main un revolver chargé dont elle ôta calmement le cran de sûreté.
— Mais oui je crois, fit-elle avec un sourire moqueur. Et n’imaginez surtout pas que j’hésiterais à tirer sur vous. Je suis très habile à ce jeu. Bien plus qu’à celui que vous prétendez m’imposer. Je ne suis pas la dinde que vous pensez, signor Ricci, et vous voyez je me suis préparée ainsi qu’il convenait à une nuit de noces avec un truand !
La voix lente, sèchement ironique passait visiblement sur les nerfs de Ricci tel un poinçon sur de l’ardoise. D’où il était Aldo pouvait voir sa figure se gonfler de fureur mais il lui restait encore assez d’empire sur soi pour se reprendre en main.
— Tire si ça t’amuse ! Tu ne me survivrais que de quelques secondes ! Qu’est-ce que tu t’imagines faire avec ton joujou dans cette maison pleine d’hommes armés ?
— Pleine d’hommes armés ? Si j’étais vous j’en serais moins persuadé. J’ai les miens aussi et vous avez fait preuve d’une grande naïveté quand vous avez fait embaucher vos extra. Ils sont tous à moi.
— Tu bluffes ! C’est impossible !
— Ah vraiment ?
Sans le quitter des yeux, elle recula vers la porte qu’elle ouvrit de sa main libre :
— Entrez, vous autres !
Mais personne n’entra. En revanche des coups de feu éclatèrent dans divers endroits avec parfois des cris étouffés. Hilary blêmit cependant que Ricci se mettait à rire :
— Ta petite entreprise ne semble pas marcher très fort, ironisa-t-il. Ce n’est pas aux vieux singes qu’on apprend à faire des grimaces, ma belle !
Pourtant la voix de la jeune femme ne tremblait pas quand elle remarqua :
— On va aller voir de plus près. Avancez ! ordonna-t-elle en accompagnant sa parole d’un mouvement de son arme. Et les bras en l’air s’il vous plaît !
Devinant à la tension de sa voix qu’elle n’hésiterait pas à tirer, Ricci obéit mais au moment où il allait passer la porte Crespo s’y encadra tenant un pistolet encore fumant :
— Ils ont bien failli nous avoir ! fit-il avec satisfaction.
Instantanément il vit ce qui se passait, leva son arme mais Hilary fut plus rapide que lui et il s’écroula, frappé en plein milieu du front avec une précision diabolique. Cependant l’attention de la jeune femme s’étant écartée de lui une fraction de seconde, Ricci en profita avec une rapidité inattendue chez un homme de ce poids : il bondit sur elle. Un moment ils luttèrent pour la possession du revolver… La partie était trop inégale et cette fois l’encombrement de sa robe ne put rien contre la charge d’un homme furieux. Il l’empoigna, la jeta sur le lit, arrachant le turban au passage et maîtrisant ses deux mains réunies dans l’une des siennes, se mit à la gifler méthodiquement une joue après l’autre. Elle cria de douleur mais il continua jusqu’à ce qu’elle soit étourdie. Alors il la lâcha sans oublier de récupérer au passage la croix et les pendants d’oreilles qu’il glissa dans la poche de son pantalon :
— Il est temps que tu apprennes qui commande. Tu as voulu jouer au plus fin avec moi, tu vas en payer le prix. Et comme je tiens à ce que tu apprécies l’étendue de ton bonheur…
Il se redressa, alla ouvrir une armoire dissimulée dans un mur, y prit une bouteille de grappa dont il s’adjugea une rasade avant de revenir au lit où Hilary reprenait ses esprits, lui mit le goulot dans la bouche et lui en fit avaler. Ranimée, elle s’étrangla, toussa mais se releva avec la rapidité d’un cobra pour se jeter sur Ricci toutes griffes dehors. Il s’attendait à l’attaque et la repoussa brutalement sur le lit. Et cette fois elle n’eut pas le temps de revenir à la charge : tombant soudain du baldaquin, un filet aux mailles dorées s’abattit sur elle.
Se sentant prise au piège, elle se débattit furieusement mais ne fit que s’entortiller plus étroitement tandis que son bourreau, les mains aux hanches, riait à gorge déployée :
— Tu as compris ? articula-t-il enfin en retrouvant un peu de calme. Maintenant c’est là qu’on se quitte, ma belle… mais rassure-toi, tu vas l’avoir, ta nuit de noces ! Et une belle !… Moins longue que d’habitude hélas mais on ne peut pas tout avoir…
Sous les yeux incrédules d’Aldo qui recommençait ses efforts pour se libérer, Ricci appuya sur une feuille d’acanthe de la muraille. Un déclic puis un léger ronronnement se firent entendre et le lit séparé de sa tête baroque et de son baldaquin s’enfonça lentement dans le sol…
En le sentant céder sous elle, Hilary poussa un cri auquel fit écho le rire de l’assassin.
— Adieu la belle ! lança-t-il penché sur le trou spectaculaire qui se dessinait. J’ai bien peur qu’à présent on ne se revoie plus…
Cela dit, il ramassa son habit, tira par les pieds le cadavre de Crespo qui barrait le seuil, sortit. Il riait encore en refermant la porte derrière lui. Il y eut un moment de silence mais bref. La gorge nouée, trempé de sueur, Aldo entendit alors monter des entrailles du palais un hurlement d’épouvante… La malheureuse venait sans doute de découvrir le monstre auquel on venait de la livrer. Il y en eut un autre puis plus rien… que le ronron du lit qui remontait.
Le prisonnier était au bord de l’évanouissement quand un bruit se produisit près de lui. Quelqu’un était en train d’escalader la fenêtre. À la lumière des nombreuses bougies il vit surgir un homme entièrement vêtu et cagoulé de noir qui avançait à pas prudents. Arrivé au centre de la pièce, il vira sur lui-même pour s’assurer de ses arrières. Aldo reconnut Adalbert.
Rassemblant ce qui pouvait lui rester de force, il réussit en dépit du bâillon à émettre une sorte de grondement désespéré. L’instant suivant les rideaux s’écartaient.
— Nom de Dieu ! émit sobrement l’archéologue.
Il ne perdit pas de temps en vains commentaires. Tirant d’une gaine accrochée à sa ceinture avec une petite trousse à outils, un couteau il trancha le bâillon avec précautions puis, plus fermement, trancha les cordes qui immobilisaient son ami :
"Les Joyaux de la sorcière" отзывы
Отзывы читателей о книге "Les Joyaux de la sorcière". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Les Joyaux de la sorcière" друзьям в соцсетях.