JULIETTE BENZONI
En dépit de son habituelle maîtrise Aldo Morosini venait de lâcher une exclamation de stupeur devant ce qu’une porte ouverte lui permettait de découvrir au beau milieu d’un modeste salon écrasé par sa splendeur : un grand portrait de femme dont il identifia l’auteur au premier coup d’œil, le merveilleux Giovanni Boldini dont le pinceau fulgurant faisait exploser la beauté des dames les plus illustres et les plus fascinantes de la haute société depuis la fin du siècle précédent. Or, non seulement Morosini ne connaissait pas cette admirable toile bien qu’il entretînt depuis longtemps des relations d’amitié avec le peintre mais en outre il s’agissait d’une femme âgée. Une particularité qui n’avait jamais attiré Boldini, amoureux fou de créatures de rêve dans tout l’éclat de leur splendeur. Il est vrai qu’en dépit des années le modèle était exceptionnel.
Avançant de deux pas dans la pièce, Morosini admira sans réserve la longue et maigre silhouette enveloppée d’une brume de dentelle noire détachée sur un fond qui eût été obscur sans les ors esquissés et les reflets d’une console Régence surmontée d’un miroir. Toutes ces ombres servaient d’écrin à un visage magnifique malgré la griffe du temps avec de profonds yeux noirs, de hautes pommettes et une mâchoire encore nettement dessinée. Sous le diadème de cheveux d’un blanc argenté l’expression en était à la fois hautaine et ironique et il n’y avait pas à se tromper sur la lueur de défi animant les sombres prunelles. Cette inconnue dont la beauté avait dû être saisissante et qui en gardait de si belles traces aurait pu être une reine et Morosini qui les connaissait à peu près toutes fouillait sa mémoire, infaillible d’habitude, pour découvrir d’où elle pouvait bien sortir car, s’il ne pensait pas avoir jamais vu cette personne, les fabuleux bijoux parant le long cou altier lui semblaient curieusement familiers encore que noyés dans la profondeur du temps, avec la certitude d’une faute de goût qui ne correspondait pas avec le personnage. En effet si le large collier-de-chien d’or serti d’un semis de perles, de petits diamants et rubis signait une pièce des premières années 1900, la fabuleuse croix qu’il soutenait proclamait pour lui l’art et le faste d’un XVIe siècle incontestablement italien. Les pierres et les perles qui la composaient étaient d’une exceptionnelle qualité et d’un calibre impressionnant. Bien trop gros d’ailleurs pour un joyau de gorge, ce genre de parure se portait en devant de corsage, sous le décolleté où il s’agrafait. Celui-ci couvrait la peau blanche depuis le cou jusqu’au creux des seins peu renflés et voilés de mousseline. En outre, des pendants d’oreilles assortis à la croix achevaient de faire de cette femme le vivant écrin d’une parure fascinante dans sa splendeur excessive. À l’exception d’un énorme rubis à l’annulaire droit, l’étrange femme dont les longues mains jouaient avec un éventail en plumes d’autruche noires ne portait aucun autre bijou…
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