— Et s’ils avaient été mis en vente vous pouvez être certain que j’en eusse été informé.

— Ah oui ?

De toute évidence il n’y croyait guère. Le ton de Morosini se fit plus sec :

— À travers le monde entier j’ai des correspondants ; aucune pièce importante par sa provenance et sa qualité ne saurait m’échapper. Je peux vous assurer qu’aucune salle des ventes n’a vu passer ces joyaux-là. Si la baronne s’en est séparée il faut que ce soit par un don ou par une vente en sous-main.

— Un vol peut-être ?

— Qu’elle n’aurait pas déclaré ? Rien moins que vraisemblable. Et la parure aurait trôné à la une de tous les journaux.

— Cela peut-il s’être fait au moment de sa mort ? Les domestiques héritiers par exemple ?

Morosini prit le collier-de-chien et s’approcha de la fenêtre pour examiner le lacis d’or en son milieu. Il tira de sa poche une loupe de bijoutier qu’il logea dans son orbite afin d’étayer son jugement puis il revint au portrait dirigeant son index sur le joyau peint :

— Regardez ! La croix est reliée au collier par un anneau serti d’un rubis. La détacher sans laisser la moindre trace sur l’or si facile à rayer est un travail minutieux exigeant la main d’un spécialiste et vous pouvez voir par vous-même que le métal est net, ajouta-t-il en offrant la loupe.

Dostel examina longuement le bijou puis avec un soupir le remit dans le coffret :

— Conclusion ?

— Je n’en ai pas à vous offrir dans l’état actuel de la question car je n’en sais pas plus que vous…

À cet instant une jeune femme entra dans la pièce afin de rejoindre les deux hommes ce qui parut indisposer son mari :

— Que venez-vous faire ici, ma chère Violaine ? Nous discutons de choses sérieuses peu adaptées aux cervelles féminines ! Allez plutôt nous faire du… café, tiens !

— À onze heures et demie du matin ? C’est trop tôt ou trop tard, mon ami, répondit-elle d’une voix pleine de douceur qui vint caresser l’oreille sensible d’Aldo.

Elle était charmante en vérité cette jeune dame et en s’inclinant sur la main qu’elle lui tendait, il alluma son plus beau sourire. Joli teint, jolis yeux noisette, jolis cheveux d’un blond léger coiffés en bandeaux et en chignon sage dans lesquels ne passeraient jamais sans doute les ciseaux sacrilèges du coiffeur. Violaine Dostel aurait pu être très séduisante habillée autrement que de cette robe informe, d’un bleu céruléen, le même que celui du vase aux jonquilles. Surtout sans cette crispation nerveuse des lèvres qui auraient peut-être aimé sourire mais qui n’y arrivaient pas et l’étrange expression interrogative de son regard. Elle pouvait avoir une trentaine d’années. Cependant elle ne devait pas manquer entièrement de caractère car, au lieu de se laisser évincer, elle prit le collier d’or et de petites pierres entre ses mains comme elle l’eût fait d’une couronne.

— C’est ravissant, ne trouvez-vous pas ?

— Il le sera plus encore lorsque vous le porterez, Madame.

— J’aimerais beaucoup mais je ne me vois guère d’occasions. Un mariage dans la famille ?…

Dostel renifla de peu gracieuse façon :

— Si le reste ne se retrouve pas, il serait plus sage de vendre tout cela. Nos finances s’en trouveraient mieux, fit-il avec un geste qui englobait coffret et tableau mais immédiatement elle protesta :

— Oh non, mon ami ! Vous ne ferez pas pareille chose ? Nous vivons convenablement il me semble… et je suis tellement heureuse d’avoir enfin des bijoux. Quant à ce portrait, outre qu’il représente notre parente, il illumine notre salon…

Ce n’était pas le terme qu’aurait choisi Aldo mais il était vrai que le décor d’un jaune éteint et les sièges, disparates en dépit du reps jaune et bleu qui les recouvrait – le même que celui des doubles rideaux ! – en recevaient un grand coup d’éclat. Auquel l’héritier n’était guère sensible car il explosa :

— Croyez-vous que j’aie envie de contempler jusqu’à la fin de mes jours cette femme qui nous a bernés de si odieuse façon ? Il fera encore bien mieux à la salle des Ventes puisqu’il doit valoir cher d’après Monsieur Morosini. Quant à celui qui l’achètera si c’est l’un de ses anciens amants, il lui trouvera certainement un cadre approprié.

Aldo pensa que les anciens amants ne devaient plus être de première fraîcheur si l’on en jugeait par l’âge de la dame mais Violaine protestait déjà – timidement ! – contre les affirmations de son seigneur et maître :

— Oh, mon ami ! Ne soyez pas médisant ou même calomniateur. Je n’ai jamais entendu…

— Je sais ce que je dis ! Cette croûte partira la semaine prochaine pour l’Hôtel Drouot, avec les bijoux !

— Mais ils sont à moi ? gémit-elle au bord des larmes.

— Ils sont à nous puisque nous sommes mariés sous le régime de la communauté. En outre ils n’ont que trop tendance à vous tourner la tête ! Je vous ai toujours connue raisonnable. Alors tâchez de le rester ! Vous me ferez plaisir et…

Morosini décida qu’il était temps pour lui d’intervenir. Le visible chagrin de la jeune femme le touchait et s’il brûlait d’envie d’administrer une correction à un béotien osant traiter un Boldini de croûte, il opta néanmoins pour la voie diplomatique :

— Vous auriez tort d’agir ainsi, émit-il. D’abord parce qu’il serait prématuré de mettre ce portrait aux enchères. Vous en tireriez quelque argent sans doute mais bien davantage quand le peintre ne sera plus de ce monde. Et il a plus de quatre-vingts ans…

Il avait horreur de dire cela mais avec un butor comme ce type il fallait employer un langage qu’il pût entendre et, en effet, Dostel devint tout à coup attentif.

— … en outre, poursuivit-il, l’apparition publique de ces joyaux fera sensation chez les amateurs éclairés. J’en sais plus d’un qui se lancera sur la piste.

— Vous devez le savoir puisque à entendre notre cousine Plan-Crépin vous êtes une sommité en la matière ? C’est la raison pour laquelle vous êtes ici : retrouvez-moi tout ça !

Soudain fébrile, Dostel avait asséné son exigence d’un ton si autoritaire que Morosini eut quelque peine à s’empêcher de le gifler. Ce fut seulement par égard pour sa femme qu’il se contenta de hausser les épaules avec un petit rire sec, nettement méprisant :

— Tout simplement ? Vous vous trompez d’adresse je ne suis pas un prestidigitateur et je croyais que vous le saviez ! Madame… mes hommages !

Il tournait déjà les talons quand elle l’arrêta :

— Oh non, je vous en prie ! Ne m’… nous abandonnez pas !

C’était plus qu’une supplication : un cri de douleur. Un regard dans les beaux yeux où montaient des larmes fit comprendre à Aldo que Violaine risquait de faire les frais de son mouvement d’humeur. Le mari d’ailleurs marmottait de vagues excuses :

— Désolé !… conçu de grands espoirs !… recommandation notre cousine… Dépassé ma pensée !

Visiblement très déçu surtout et Aldo décida de lui accorder une chance uniquement pour que s’apaise l’angoisse de la jeune femme mais sans leur laisser tout de même trop d’espoirs.

— L’amitié de Mademoiselle du Plan-Crépin a toujours eu tendance à exagérer mes talents. Je veux bien essayer de chercher au moins une trace de ces joyaux dès que je les aurai identifiés à coup sûr.

— Vous avez une idée ? demanda Dostel.

— Peut-être. Il faut que je vérifie. Si c’est ce que je pense, il me paraît incroyable que des pièces aussi illustres eussent appartenu à quelqu’un d’autre qu’un musée, la cassette d’une très haute maison ou le coffre d’un grand collectionneur.

— Et notre tante n’entre dans aucune de ces catégories. Vous oubliez qu’une femme belle et astucieuse peut posséder assez d’envergure pour se faire offrir n’importe quoi par un imbécile amoureux ?

— C’est en effet une hypothèse. Si c’est le cas, la parure a pu être volée puis bien cachée pour attendre que les remous s’apaisent chez vous ou encore remise discrètement à un amateur aussi riche que peu délicat contre une lessiveuse de billets de banque. L’appartement de votre tante a-t-il été soigneusement visité ?

— Sur ma plainte, le notaire s’en est chargé et je dois dire que les nouveaux propriétaires ont laissé faire par crainte sans doute de la police…

— Ne dites pas cela, Evrard ! plaida son épouse. D’après Maître Bernardeau, ils ont montré beaucoup de bonne volonté au contraire tant ils étaient désolés qu’on pût les prendre pour des voleurs alors que notre tante s’est montrée si généreuse. Et sa demeure a été fouillée de fond en comble par le notaire et ses clercs. Il nous l’a dit.

— Oh vous, ma chère, vous êtes assez sotte pour croire le premier chien coiffé qui pleurniche !

— Maître Bernardeau est moins sensible et il a dit être persuadé de leur sincérité.

— Il est peut-être comparse ! Cessez donc de dire des âneries…

Peu désireux d’assister à un nouveau chapitre de « la triste vie de Madame Dostel », Morosini coupa court :

— Donnez-moi donc son adresse pour commencer ! J’ai l’intention de lui rendre visite…

— Pour quoi faire ? s’insurgea le mari. Je ne vois pas ce qu’il pourrait vous apprendre que nous ne sachions déjà ?

— Les relations avec les notaires font partie de ma profession. Aussi, en ayant une longue habitude, je sais poser les bonnes questions.

— Comme vous voudrez ! Et… vous pensez aboutir rapidement ?

Cette fois Morosini ne put s’empêcher de rire :

— Qui peut savoir ? Des années ou quelques jours selon que la chance est avec ou contre moi. La quête de ce genre d’objets s’avère délicate la plupart du temps…

— Et… cela va me coûter cher ?

Le sourire d’Aldo se fit dédaigneux :

— Un pourcentage sur la vente des joyaux car je suppose qu’il n’entre pas dans vos projets de les garder ? Je ne suis pas détective privé et n’ai pas l’intention d’interrompre mes affaires pour vous consacrer tout mon temps. Il vous faudra être patient…