Vu la hauteur du château perché sur son éminence dominant le Maine, chacun put penser que la pauvre femme s’était rompu le cou. Mais « les anges de Dieu veillaient. Ils transportèrent Hildegarde de l’autre côté de la rivière. Elle vint atterrir au pied d’un vieux monastère à demi ruiné bâti sur une ancienne crypte ». En fait, on ne sait trop en quel état Hildegarde se tira de l’aventure. Ce qui est certain, c’est que Foulques – émerveillement ou remords ? – se hâta de reconstruire le couvent et de le combler de ses bienfaits.

Sur la fin de sa vie, ayant eu des démêlés avec son propre fils qu’il châtie durement, Foulques part une fois encore pour la Terre sainte. À Jérusalem, ce vieillard indomptable se fait attacher à un âne et flageller par des moines. Entre les coups, il crie : « Seigneur, Seigneur, ayez pitié du traître et parjure Foulques ! » Dieu pardonna-t-il ? C’est en paix avec lui-même que le terrible comte revient vers ses terres à petites journées et non sans faire un long détour. Il ne reverra pas Angers car, le 22 mai 1040, il meurt à Metz… en passant par la Lorraine.

C’est Saint Louis qui, de 1230 à 1240, fait élever sur les restes de l’ancienne forteresse du Faucon noir l’énorme château aux dix-sept tours noires et blanches que reflète le Maine avant de le donner à son frère Charles. L’Anjou reviendra à la Couronne à la fin des Capétiens et Jean le Bon l’offrira à son fils cadet Louis avec une couronne ducale.

Devenu Louis Ier d’Anjou, c’est lui qui fait tisser par Nicolas Bataille, lissier parisien, la fabuleuse tapisserie de l’Apocalypse qui demeurera le plus précieux trésor des ducs d’Anjou. En même temps, il complète, il aménage le château suivant le goût fastueux de l’époque. Son fils Louis II fera de même mais ne vivra pas assez longtemps pour en jouir vraiment. Angers sera alors le cadre où évoluera sa veuve exemplaire, Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou, celle à qui l’Histoire décerne le joli titre de reine des quatre royaumes : Naples, Sicile, Aragon et Jérusalem. C’est là que Yolande fera venir le dauphin Louis, le futur Charles VII, renié par sa mère Isabeau à qui elle refusera de le rendre : « À femme pourvue d’amants point n’est besoin d’enfants. Le garde mien ! »

C’est là qu’elle l’élèvera, lui donnera sa fille en mariage. C’est là qu’elle préparera la venue de Jeanne d’Arc surgie au duché de Bar qui est terre de son fils. C’est de là enfin qu’elle soutiendra à bout de bras le royaume de France agonisant et s’efforcera de lui rendre le goût du bon combat pour la liberté.

Après elle, son fils, le fameux roi René, donne à Angers des fêtes demeurées célèbres. C’est un homme de goût, un charmant poète, auteur d’un joli livre, Le Cœur d’amour épris, qui partagera son temps entre ses douces terres d’Anjou et ses non moins aimables terres de Provence. Après les horreurs d’une guerre de Cent Ans, René d’Anjou inscrit enfin sur l’Histoire une figure souriante car « il prenait toute joye, laissait douleur, chassait désespération. Dieu lui avait donné ce don ».

Réuni par Louis XI au domaine royal, Angers ne devait plus connaître d’aussi douces heures. Le souvenir du Faucon noir y régnait sans partage.


HORAIRES D’OUVERTURE

Du 2 mai au 4 septembre 9 h 30-18 h 30

Du 5 septembre au 30 avril 10 h-17 h 30

Fermé le 1er janvier, le 1er mai, les 1er et 11 novembre et le 25 décembre.

À l’intérieur du château se trouve la plus grande tapisserie médiévale connue : la tenture de l’Apocalypse.

http://angers.monuments-nationaux.fr

Bagatelle

Des roses… et Duthé !

Où j’ai planté des rosiers

Toujours j’ai moissonné des roses…

Amado NERVO

Il s’est d’abord appelé Babiole quand, en 1720, le maréchal d’Estrées fait construire pour sa jeune et jolie femme une petite maison en lisière du bois de Boulogne, à l’extrémité du parc du château de Madrid. Une toute petite maison en vérité : quatre pièces au rez-de-chaussée, autant à l’étage plus les mansardes. Mais elle coûte tout de même fort cher : plus de cent mille livres, sans d’ailleurs que le maréchal s’en plaigne ; la chose est toute simple : il vient de gagner beaucoup d’argent en spéculant sur le chocolat et le café, sans compter les belles sommes que lui a rapportées le système de Law. Et il est amoureux… Comment ne le serait-on pas quand on a près de trente ans de plus que sa femme ?

En revanche, il n’est pas jaloux du tout. Que sa femme soit jolie, brillante, fêtée, et qu’on la lui envie, c’est tout ce qu’il demande et la charmante maréchale va en profiter largement.

Elle a pour amie sa plus proche voisine, Mlle de Charolais, qui habite, dans les environs immédiats, le Petit-Madrid où elle mène une vie de fête fort peu édifiante. Mlle de Charolais est la fille du duc de Bourbon et de Mlle de Nantes, elle-même fille de Louis XIV et de Mme de Montespan. C’est dire qu’elle a de qui tenir. En fait, c’est tout ce que l’on veut sauf une vertu.

Le 12 août 1721, on pend la crémaillère avec un grand souper que président le Régent et sa nouvelle maîtresse Mme d’Averne. C’est placer d’emblée la maison sous le signe de la galanterie élégante à laquelle elle restera longtemps fidèle. Ce Bagatelle qui a coûté si cher va être, pour sa maîtresse d’abord et pour certains des amis de celle-ci, une retraite charmante vouée tout entière à l’Amour et à ses plaisirs.

La maréchale d’Estrées y reçoit ses amants : le beau Marsilly, le marquis de Chauvelin, le chancelier d’Aguesseau, le président Hénault, le comte de Roussillon, sans que son époux s’en soucie le moins du monde. Quand celui-ci meurt, en 1737, ce n’est pas accablé sous le poids d’une ramure qui ne l’a jamais beaucoup gêné. Sa femme le pleure juste le temps qu’il faut, puis reprend l’aimable vie qui est la sienne, pour le plus grand bénéfice du jeune Louis XV. Le roi viendra plusieurs fois rencontrer l’une ou l’autre de ces jolies sœurs de Nesle que Mlle de Charolais avait quelque peu poussées dans son lit. En bref, les deux amies, toutes grandes dames qu’elles soient, se comportent en vulgaires entremetteuses… Il est vrai que c’est pour le roi !

Il semblerait d’ailleurs, si l’on en croit d’Argenson, que le bois de Boulogne et ses environs sont alors regardés comme une assez bonne imitation du paradis : « On dîne à Madrid chez Mademoiselle ; on soupe à La Muette ; dans l’après-midi à Bagatelle chez la maréchale d’Estrées, on passe joyeusement le temps, on y fait l’amour si l’on veut, tout est très bien réglé… »

La mort de la maréchale viendra en 1745 déranger ces plaisirs si bien réglés. Sa petite maison passera ainsi par plusieurs usagers dont une certaine Mme de Mauconseil qui, afin de ménager à Louis XV d’autres rendez-vous galants, obtiendra de lui qu’il nomme son époux gouverneur de Colmar puis de Huningue. Après quoi, reconnaissante, elle accueillera les amours du roi et de la princesse de Robecq et poussera le dévouement jusqu’à donner, en l’honneur du roi Stanislas, beau-père de Louis XV, des fêtes si somptueuses qu’elles la ruineront à peu près totalement. Les lampions et les feux de Bengale s’éteignent, les fleurs se fanent, les parfums s’évaporent, Bagatelle s’endort pendant quelques années : celles que Mme de Mauconseil y vit assez solitaire, avant de quitter ce monde en 1770. La petite maison, qui passe par trois propriétaires en quatre ans, s’abîme…

Elle se dégradera même au point qu’en 1777 on la rasera pour faire place aux élégants pavillons que nous connaissons. Un prince de vingt ans va, pour le plus grand plaisir d’une reine, se changer en magicien…

Ce prince, c’est le comte d’Artois. En 1775, il a acheté la Babiole de Mme d’Estrées mais n’en a pas fait grand-chose jusqu’à ce jour où sa belle-sœur, la reine Marie-Antoinette, le met au défi de construire un petit palais à la place de l’ancien rendez-vous galant du roi Louis XV. Et de le construire en un peu plus de deux mois : soixante-quatre jours exactement.

Quand on a vingt ans, on ne recule devant rien. Artois relève le défi et va mettre sur l’heure au travail l’architecte Bélanger. Enjeu du pari : cent mille livres. Exactement ce que Babiole avait coûté au maréchal d’Estrées mais cette fois il s’agit de faire beaucoup mieux… Et c’est peu de chose, car le prince prévoit de dépenser six fois plus.

En fait, pour reconstruire Bagatelle avec ses « jardins, ses dépendances, ses grottes, ses eaux et ses plantations de fleurs » il en faudra douze fois plus. Neuf cents ouvriers vont travailler jour et nuit cependant que les gardes du comte d’Artois détournent au profit du chantier tous les charrois de pierres, de plâtre ou de chaux qui passent aux environs. En même temps, on rassemble les meubles, les bronzes, les porcelaines, les cristaux, les panneaux que peint Hubert Robert, les boiseries, les soieries de tenture, tout ce qui doit faire de Bagatelle le plus charmant des nids princiers. Ce sera une folie, mais combien ravissante ! Et, au jour dit, Marie-Antoinette traversera un jardin de roses si foisonnantes qu’elles semblent avoir été plantées là de toute éternité. La reine a perdu son pari mais gagne une fête mémorable au cours de laquelle, s’adonnant à sa passion pour le théâtre, elle interprète le principal rôle de Rose et Colas avec le maître de céans et Mme de Polignac pour lui donner la réplique. On dit que Louis XVI, trouvant la pièce ennuyeuse, la siffla, s’attirant les reproches d’une épouse en qui la comédienne se trouvait froissée. Ce qui était grave ! La jeune reine, néanmoins, se plut tant à Bagatelle qu’elle y revint plusieurs fois pour souper aux violons et aux flûtes et pour danser…