Quand la duchesse réussit à acheter l’hôtel Beaujon, elle en éprouve une grande joie et se hâte de le débaptiser : ce sera désormais l’Élysée-Bourbon. Elle va y mener une vie de femme du monde dépourvue d’aventures. La mort du jeune Roquefeuille qui s’est noyé en 1785 dans la rade de Dunkerque l’a dégoûtée de l’amour et lui a laissé un véritable chagrin.

N’ayant plus d’amants, elle se trouve des passions platoniques et se tourne vers les sciences occultes. Le magnétisme, dont le grand prêtre Mesmer attire tout Paris autour de son fameux baquet, trouve une adepte passionnée en la duchesse de Bourbon. Ensuite, elle s’engoue du Philosophe inconnu, Louis-Claude de Saint-Martin, de qui la postérité tiendrait la formule promise à un bel avenir : Liberté, Égalité, Fraternité. Avec lui, des philosophes fumeux, une voyante à moitié folle qui se fait appeler la Mère de Dieu envahissent les salons de l’Élysée et y prennent leurs habitudes jusqu’à ce qu’éclate la Révolution.

Cette Révolution, Louise-Bathilde l’approuve d’autant plus que son frère, le duc Philippe d’Orléans, en est l’un des meneurs. Et, le jour où il s’affuble du sobriquet de citoyen Égalité, sa sœur se hâte de devenir la citoyenne Vérité.

Elle n’en est pas moins obligée de s’enfuir et de gagner son château de Petit-Bourg où elle est tout de même arrêtée et conduite à la prison de la Force. Condamnée à mort, elle ne doit son salut qu’à la chute de Robespierre mais ce n’est qu’en 1797 qu’elle pourra enfin rentrer chez elle et retrouver son petit palais parisien. Et dans quel état !

Dépouillé, ravagé par les invasions populaires, l’Élysée-Bourbon aurait besoin, pour retrouver son aspect d’antan, de beaucoup plus d’argent que n’en possède sa propriétaire. Elle en loue alors le rez-de-chaussée à un couple de commerçants, les Horvyn, qui entreprennent de l’exploiter. De palais quasi royal, l’Élysée devient bal public (il convient de préciser que, durant la Révolution, il avait abrité successivement une imprimerie et une salle des ventes). Et quel bal public ! Grisettes et soldats y côtoient les merveilleuses les plus dévêtues. On y danse, on y boit, on y fait l’amour et, s’il n’y avait pas tant de courants d’air, on pourrait dire que l’Élysée est devenu simplement une maison close.

Il va falloir la lourde main de Napoléon Ier et son goût de l’ordre pour refaire une dignité à l’ancien hôtel d’Évreux. Le 6 août 1805, Joachim Murat, maréchal de France et beau-frère de l’Empereur par son mariage avec sa sœur Caroline, prend possession de… l’Élysée-Napoléon. Percier et Fontaine, les décorateurs de l’Empire, se sont mis à l’œuvre. La demeure retrouve éclat et luxe. Murat et son état-major y étalent leurs plumets et leurs bottes étincelantes. Caroline, elle, y reçoit ses amants durant les absences fréquentes de son époux. Sans trop de discrétion, il faut bien l’avouer.

Ainsi, devenue la maîtresse de Junot, gouverneur de Paris, elle se fait raccompagner par lui après le théâtre et laisse l’équipage du gouverneur stationner toute la nuit dans la cour afin que nul n’ignore où se trouve Junot et à quoi il s’occupe. Un soir, l’épouse de Junot, Laure, se voit oubliée elle aussi dans la voiture. Elle s’en vengera en compagnie de Metternich alors ambassadeur d’Autriche en France et qui, entre parenthèses, a été précédemment l’amant de Caroline.

Les turbulents Murat devenus roi et reine de Naples, Napoléon reprend le palais. Ce sera pour le donner à Joséphine au moment du divorce, mais l’impératrice répudiée ne l’habitera presque pas et ne le gardera que deux ans.

En 1815, après Waterloo, c’est le tsar Alexandre Ier qui s’installe à l’Élysée tandis que ses cosaques campent tout autour.

Intermède de jeunesse et de gaieté quasi familial, le duc de Berry et sa jeune épouse, Marie-Caroline de Naples, la duchesse Vif-Argent, viennent habiter l’Élysée. La duchesse y installe une petite cour aussi joyeuse qu’elle-même et y donne quelques bals mais, en contrepartie, y vivra un effrayant désespoir quand le coup de couteau de Louvel aura fait d’elle une trop jeune veuve. Elle n’y restera plus longtemps.

Autre possesseur fugitif : le prince Louis Napoléon quand il devient le premier président de la IIe République. Il ne restera à l’Élysée que le temps de devenir empereur et partira alors s’installer aux Tuileries.

Après Napoléon III, la République reprend ses droits et ne les cédera plus. Les présidents se succèdent sous les lambris dorés qui deviennent avec le temps un peu poussiéreux. Certains y meurent : Sadi Carnot, assassiné par Caserio, le sévère et intègre Paul Doumer assassiné par Gorgulov et, entre eux, le fameux Président-Soleil, Félix Faure, qui s’éteint entre les bras de sa maîtresse, la belle Mme Steinheil.

D’autres y apportèrent leur bonhomie, leur sagesse, leur talent d’homme d’État… ou leur insignifiance…

Avec l’épouse de Vincent Auriol, premier président de la IVe République s’ouvrit l’ère des maîtresses de maison. Mme Auriol apportait avec elle son goût très sûr, son élégance et une certaine autorité. Elle commença par débarrasser l’Élysée d’une hideuse verrière qui encombrait la moitié de la cour d’honneur et défigurait la façade, redonnant au petit palais sa grâce d’origine. L’intérieur suivit et les réceptions officielles cessèrent d’être des corvées pour devenir d’élégantes réunions mondaines. L’y aidait sa belle-fille Jacqueline, ravissante jeune femme passionnée d’aviation qu’un grave accident défigura sans réussir à abattre son courage : après plusieurs interventions chirurgicales, elle reprit les commandes et apporta à la France plusieurs trophées inscrivant le nom de Jacqueline Auriol au palmarès des grandes aviatrices.

Vinrent la Ve République et le règne du Général ! Sous les rayons de sa puissante personnalité, son épouse, née Yvonne Vendroux et devenue « tante Yvonne » pour la France entière, géra avec discrétion mais non sans fermeté la vie quotidienne de la demeure présidentielle que l’on quittait chaque semaine pour regagner la chère demeure de Colombey-les-Deux-Églises…

Georges Pompidou, normalien lettré, passionné d’art contemporain et de poésie française – il en écrivit une anthologie –, gardait bien évidentes ses racines terriennes, les joignant à son sens de l’État et à ses talents de financier qui laissaient prévoir un grand septennat, peut-être deux. Sa mort priva la France d’un grand président !

Avec Valéry Giscard d’Estaing, brillant financier, la vie à l’Élysée prit une tournure inattendue : le Président y invitait ses éboueurs à prendre leur petit-déjeuner avec lui. Par ailleurs, il s’invitait de temps à autre à dîner chez un couple de Français modestes en prenant soin de se faire précéder par un traiteur de bon aloi…

Avec François Mitterrand, l’Élysée, tout en gardant son lustre présidentiel, aborda le temps des secrets. Danielle, son épouse, s’intéressait davantage aux révolutionnaires sud-américains qu’aux réceptions d’une demeure où du reste elle ne vivait pas. Un conseiller du Président, François de Grossouvre s’y suicida mais on y vit fleurir, un beau jour, la jeune Mazarine, la fille cachée du Président. Aussi bien que la maladie qu’il se refusait à révéler…

Avec Jacques Chirac, grand cœur, grande gueule – à tous les sens du terme – et vitalité garantie, le petit palais vécut à cent à l’heure… mais bénéficia des talents de maîtresse de maison qu’apportait avec elle Bernadette Chirac, parfaite épouse, femme de tête, mère déchirée… et conseiller général de Corrèze qui, tout en gardant à son mari un amour intact, sut se tailler sa propre popularité avec des œuvres caritatives aussi originales – les pièces jaunes ! – que bienvenues… Une grande Première Dame !

Tout change de nouveau avec Nicolas Sarkozy que l’on a pu voir, à peine élu, faire des efforts pathétiques pour retenir son épouse Cécilia que la fonction ne tentait absolument pas ! Divorce suivi presque aussitôt d’un remariage avec une fort jolie femme, Carla Bruni, chanteuse et ancien top-modèle. Avec elle, la guitare et le monde du spectacle sont entrés en familiers à l’Élysée mais leur éclat tapageur vient de faire silence pour l’événement le plus joli qui se soit produit sous les plafonds dorés de la République : la naissance d’une petite Giulia…

Quant à la suite… Qui vivra verra !


Le palais de l’Élysée est ouvert uniquement durant les Journées du patrimoine.

http://www.elysee.fr

Amboise

Les larmes des Marguerites

Moi, Marguerite, de toutes fleurs le choix

Fus jadis mise en grand jardin françois

Pour demeurer auprès des fleurs de lys.

Là, ai vu joutes, et danses, et tournois

Et maintenant, je vois et je cognois

Que ces grands biens me sont pris et faillis.

Ce n’est pas un poète illustre mais une fillette de douze ans qui écrit ces jolis vers mélancoliques au moment de quitter une demeure où elle espérait pourtant passer toute sa vie. On la chasse, ou presque, elle qui est peut-être la plus grande princesse d’Europe. Son nom ? Marguerite d’Autriche. Elle est fille de l’empereur Maximilien, petite-fille de Charles le Téméraire, le fabuleux grand-duc d’Occident, et de Marguerite d’York. Et pourtant, le jeune roi de France, Charles VIII, qu’elle aime depuis toujours et auquel on l’a autrefois fiancée – autant dire mariée pour l’époque –, auprès de qui et pour qui elle a été élevée selon la coutume royale, Charles VIII en a épousé une autre. Une autre qui exige son départ…

Tout a commencé neuf ans plus tôt, au soir du 22 juin 1483, vers cinq heures, près du pont qui enjambe la Loire. Il y a là grande assemblée de seigneurs et de dames menés par Mme Anne de France, fille aînée du roi Louis XI, et son époux Pierre de Beaujeu. Tout ce monde attend l’arrivée d’un cortège impérial escortant une voyageuse.