– C'est généralement le cas lorsqu'un objet est enfoui dans la terre, me confia-t-elle.

Keira épousseta la coupe.

– Elle ne date pas d'hier, me dit-elle, en la reposant délicatement sur une pierre.

– Tu la laisses ici ?

– Elle ne nous appartient pas, c'est l'histoire des gens de ce village qui s'est écrite ici. Quelqu'un la trouvera et en fera ce que bon lui semble, allez viens, nous avons d'autres bottes de foin à fouiller !

À Linfen, le paysage changea ; la ville était l'une des dix plus polluées du monde et le ciel prit soudain une couleur d'ambre, un nuage nauséabond et toxique obscurcissait le ciel. Je repensais à la clarté des nuits sur le plateau d'Atacama, se pouvait-il que ces deux endroits appartiennent à la même planète ? Quelle folie s'était emparée de l'homme pour qu'il dénature à ce point son environnement ? De ces deux atmosphères, d'Atacama ou de Linfen, laquelle régnerait un jour ? Nous avions fermé les fenêtres, Keira toussait toutes les cinq minutes et devant moi la route me paraissait floue tant les yeux me piquaient.

– C'est infernal cette odeur, s'était plainte Keira, prise d'une nouvelle quinte de toux.

Elle s'était retournée vers la banquette, fouillant son bagage à la recherche d'un vêtement en coton pour nous confectionner des masques de fortune. Elle poussa un petit cri.

– Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je.

– Rien, je me suis piquée avec un truc dans la doublure de mon sac. Sûrement une aiguille ou une agrafe.

– Tu saignes ?

– Un peu, me dit-elle toujours penchée sur son sac.

Je conduisais et la visibilité était trop mauvaise pour que je ne garde pas les deux mains sur le volant.

– Regarde dans la boîte à gants, il y a une trousse de secours, tu trouveras des pansements.

Keira ouvrit le compartiment, prit la trousse de premiers soins et en sortit une petite paire de ciseaux.

– Tu t'es vraiment blessée ?

– Non, je n'ai rien du tout, mais je veux savoir quelle est cette saloperie qui m'a piquée. J'ai payé ce sac une petite fortune !

La voilà maintenant qui se livrait à toute une gymnastique pour fouiller son bagage.

– Je peux savoir ce que tu fais ? demandai-je alors que je venais de recevoir un coup de genou dans les côtes.

– Je découds.

– Tu découds quoi ?

– Cette saleté de doublure, tais-toi et conduis.

J'entendis Keira grommeler :

– Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ?

Il lui fallut gesticuler dans tous les sens pour se rasseoir à sa place. Quand elle y parvint enfin, elle tenait entre ses doigts une petite broche métallique qu'elle me montra triomphalement.

– C'est une sacrée aiguille, me dit-elle.

La chose ressemblait à s'y méprendre à une broche publicitaire, un genre de pin's, sauf que celle-ci était grise et terne et ne comportait aucune inscription.

Keira l'observa de plus près et je la vis blêmir.

– Qu'y a-t-il ?

– Rien, me répondit-elle, alors que son expression prouvait le contraire. C'est probablement un outil de couture oublié dans la doublure du sac.

Keira me fit signe de me taire, puis de me garer sur le bas-côté dès que possible.

Nous nous éloignions de la périphérie de Linfen. La route commençait à former un lacet au fur et à mesure que nous nous élevions le long de la montagne. À trois cents mètres d'altitude, nous laissâmes derrière nous la nappe de pollution, et soudain, comme si nous avions percé un nuage, nous avons retrouvé un semblant de ciel bleu.

À la sortie d'un virage, une petite aire de stationnement me permit de me garer. Keira abandonna la broche sur le tableau de bord, elle sortit de la voiture et m'indiqua de la suivre.

– Tu as vraiment l'air bizarre, lui dis-je en la rejoignant.

– Ce qui est bizarre, c'est d'avoir trouvé un putain de mouchard dans mon sac.

– Un quoi ?

– Ce n'est pas une aiguille à tricoter, je sais de quoi je te parle, c'est un micro.

Je n'avais pas une grande expérience en matière d'espionnage et j'avais du mal à croire ce qu'elle me disait.

– Nous allons retourner dans la voiture, tu le regarderas de plus près et tu constateras par toi-même.

Ce que je fis. Et Keira avait raison, il s'agissait bien d'un petit émetteur. Nous ressortîmes de la voiture pour nous entretenir à l'abri d'oreilles indiscrètes.

– Tu as une idée, demanda Keira, de la raison pour laquelle on a caché un micro dans mon sac ?

– Les autorités chinoises sont avides d'informations concernant les étrangers qui circulent sur leur territoire, c'est peut-être une procédure ordinaire pour tous les touristes ? suggérai-je.

– Il doit y avoir vingt millions de visiteurs qui se rendent chaque année en Chine, tu penses qu'ils s'amusent à poser autant de micros dans leurs bagages ?

– Je n'en sais rien, peut-être qu'ils font cela de façon aléatoire.

– Ou pas ! Si tel était le cas, nous ne serions pas les premiers à le découvrir, la presse occidentale se serait fait l'écho de ces pratiques.

– C'est peut-être tout récent ?

J'avais dit cela pour la rassurer, mais en mon for intérieur je trouvais cette situation aussi étrange que dérangeante. J'essayai de me remémorer les conversations que nous avions tenues à bord de la voiture et ne me souvins de rien qui aurait pu nous mettre dans une situation embarrassante, hormis peut-être les considérations de Keira sur la saleté et la puanteur qui régnaient dans les villes industrielles que nous avions traversées, et celles sur la nourriture douteuse consommée à midi.

– Eh bien maintenant que l'on a trouvé cette chose, nous allons l'abandonner ici et reprendre la route tranquillement, proposai-je.

– Non, gardons-le avec nous, il suffira de dire le contraire de ce que nous pensons, de mentir sur la direction que nous prenons et, ainsi, c'est nous qui manipulerons ceux qui nous espionnent.

– Et notre intimité là-dedans ?

– Adrian, ce n'est pas le moment de faire ton Anglais, ce soir nous inspecterons aussi ton sac, s'ils ont plombé le mien, je ne vois pas pourquoi ils t'auraient épargné.

Je retournai d'un pas pressé vers la voiture, déversai le maigre contenu de mon bagage directement dans le coffre, je le jetai ensuite au loin, il ferait certainement le bonheur du premier passant. Puis je repris ma place derrière le volant et balançai le mouchard par la fenêtre.

– Si j'ai envie de te dire que j'aime tes seins, je ne tiens pas à ce qu'un fonctionnaire lubrique de la Stasi chinoise en profite !

Je redémarrai avant que Keira ait eu le temps de répondre quoi que ce soit.

– Tu avais l'intention de me dire que tu aimais mes seins ?

– Absolument !

Les cinquante kilomètres suivants furent parcourus dans le plus grand silence.

– Et si un jour on devait m'en enlever un, ou les deux ?

– Eh bien je fantasmerai sur ton nombril, je n'ai pas dit que je n'aimais que tes seins !

Les cinquante autres kilomètres se poursuivirent dans le même silence.

– Tu peux me faire une liste de ce que tu aimes chez moi ? reprit Keira.

– Oui, mais pas maintenant.

– Quand ?

– Le moment venu.

– Et ce sera quand, le moment venu ?

– Quand je te ferai la liste de ce que j'aime en toi !

La nuit commençait à tomber, et je sentais la fatigue me gagner. L'appareil de navigation indiquait qu'il restait un peu plus de cent cinquante kilomètres à parcourir avant d'arriver à Xi'an. Mes paupières étaient lourdes et je peinais à garder les yeux ouverts. Keira n'était pas en meilleure forme, sa tête contre la vitre, elle dormait d'un profond sommeil. Dans un virage, la voiture fit une légère embardée. Il suffit d'une seconde d'inattention pour foutre sa vie en l'air, je tenais suffisamment à celle de ma passagère pour ne prendre aucun risque. Quoi que nous soyons partis chercher, cela pourrait bien attendre une nuit de plus. Je me garai à l'orée d'un petit chemin qui croisait notre route, coupai le moteur et je m'endormis aussitôt.

*

*     *


Londres

La Jaguar bleu marine traversa le pont de Westminster, contourna la place du Parlement, longea le bâtiment du Trésor public et bifurqua vers St. James Park. Le chauffeur se rangea le long d'une allée cavalière, son passager descendit et marcha vers le parc.

Sir Ashton s'installa sur un banc près d'un lac où s'abreuvait un pélican. Un jeune homme se dirigeait vers lui, il vint s'asseoir à son côté.

– Quelles sont les nouvelles ? demanda Sir Ashton.

– Ils ont passé une première nuit à Pékin et se trouvent maintenant à cent cinquante kilomètres de Xi'an, où ils semblent se diriger. Lorsque j'ai quitté le bureau pour venir vous rejoindre, ils devaient dormir, la voiture n'a pas bougé depuis plus de deux heures.

– Il est 17 heures chez nous, 22 heures pour eux, c'est probable. Avez-vous appris ce qu'ils vont faire à Xi'an ?

– Nous n'en savons rien pour l'instant. Ils ont parlé une ou deux fois d'une pyramide blanche.

– Cela explique pourquoi ils sont dans cette province, mais je doute qu'ils la découvrent.

– De quoi s'agit-il ?

– D'une fantaisie inventée par un pilote américain, nos satellites n'ont jamais repéré la pyramide en question. Avez-vous d'autres choses à me dire ?

– Les Chinois ont perdu deux émetteurs.

– Comment ça perdu ?

– Ils ont cessé de fonctionner.

– Vous pensez qu'ils ont été découverts ?

– C'est une possibilité, monsieur, mais notre contact sur place croit plutôt à une panne matérielle. J'espère avoir d'autres informations demain.