– Mais comment peut-on être grec et s'exiler en Angleterre ? Vous aimez donc la pluie à ce point ?

– Je vous rappelle que, ces dernières années, je me trouvais plutôt sous les latitudes chiliennes, je suis un homme de tous les pays, chaque nation a ses attraits.

– Oui, enfin il y a quand même trente-cinq degrés de différence entre ici et là-bas !

– Peut-être pas autant, mais il est vrai que le climat...

– Je parlais du taux d'alcool entre notre bière anglaise et cet ouzo que votre tante m'a fait goûter tout à l'heure, dit Walter en me coupant la parole.

Il héla un taxi, me fit signe de monter le premier et donna l'adresse au chauffeur. Pas une seconde je n'aurais imaginé jusqu'où ce voyage me conduirait.

Le Dr Magdalena Kari nous accueillit derrière les grilles de l'institut où un vigile nous avait demandé de bien vouloir patienter.

– Pardonnez-nous, ces mesures de sécurité sont bien inamicales, dit Magdalena en faisant signe au gardien de nous laisser entrer. Nous sommes obligés de prendre toutes les mesures nécessaires, le matériel dont nous disposons ici est classé sensible.

Magdalena nous guida à travers le parc qui entourait l'imposant bâtiment en béton. Une fois dans l'immeuble, nous dûmes nous plier à de nouvelles contraintes sécuritaires. On échangea nos papiers d'identité contre deux badges où figurait la mention « visiteur » en gros caractères ; Magdalena signa une main courante et nous entraîna vers son bureau. Je pris la parole le premier ; je ne sais pas quel instinct me poussa à ne pas tout lui raconter, à minimiser le but de notre déplacement et le pourquoi de l'expérimentation que nous souhaitions mener. Magdalena écouta avec beaucoup d'attention l'exposé, pourtant décousu, que je lui faisais. Walter était perdu dans ses pensées. Peut-être à cause de la ressemblance entre notre hôtesse et Miss Jenkins, qui me surprit aussi.

– Nous avons plusieurs lasers, dit-elle, hélas, il m'est impossible d'en mettre un à votre disposition sans autorisation préalable ; cela va prendre du temps.

– Nous avons fait un long voyage et nous devons repartir dès demain, supplia Walter, sorti de sa rêverie.

– Je vais voir ce que je peux faire, mais je ne peux rien vous promettre, s'excusa Magdalena en nous demandant d'attendre quelques instants.

Elle nous laissa seuls dans son bureau, nous priant de n'en sortir sous aucun prétexte. Il nous était interdit de circuler dans l'enceinte de l'établissement sans être accompagnés.

L'attente dura quinze bonnes minutes. Magdalena revint accompagnée du Pr Dimitri Mikalas, qui se présenta à nous en qualité de directeur du centre de recherches. Il s'installa dans le fauteuil de Magdalena et nous pria courtoisement de lui expliquer ce que nous attendions de lui. Cette fois, Walter prit la parole. Je ne l'avais jamais vu aussi peu loquace. Était-il mû par le même instinct que moi un peu plus tôt ? Il se contenta de se recommander de plusieurs collègues de l'Académie, chacun avait un titre impressionnant mais je n'avais jamais entendu parler de la plupart d'entre eux.

– Nous entretenons d'excellents rapports avec l'Académie des sciences britannique, et je serais très embarrassé de ne pas pouvoir répondre favorablement à la demande de deux de ses éminents membres. Surtout quand ces derniers ont de pareils appuis. Je dois faire quelques contrôles d'usage, dès que vos identités me seront confirmées, je vous donnerai accès à l'un de nos lasers, afin que vous puissiez procéder à vos expérimentations. Nous en avons justement un qui sort de maintenance. Il ne devait être opérationnel que demain. Vous pourrez en disposer à votre guise toute la nuit. Magdalena restera avec vous pour en assurer le bon fonctionnement.

Nous avons remercié chaleureusement le professeur pour la générosité de son accueil, ainsi que Magdalena qui acceptait de nous consacrer sa soirée. Ils nous abandonnèrent, le temps d'aller faire leurs vérifications.

– Croisons les doigts pour qu'ils ne contrôlent pas tous les noms que je leur ai donnés, me chuchota Walter à l'oreille, la moitié de la liste est bidon.

Un peu plus tard, Magdalena revint nous chercher et nous escorta jusqu'à la salle où se trouvait le laser que nous convoitions.

Je n'aurais jamais imaginé pouvoir utiliser un appareil aussi magnifique que celui que nous découvrîmes en pénétrant dans ce sous-sol. Je pouvais voir dans le regard quasi maternel que Magdalena posait sur ce laser, combien elle était fière de le manipuler. Elle s'installa derrière le pupitre de commandes et actionna plusieurs interrupteurs.

– Bien, me dit-elle, si nous laissions maintenant les courtoisies de rigueur et que vous me disiez enfin ce que vous attendez vraiment de ce petit bijou de technologie. Tout à l'heure dans mon bureau, je n'ai pas cru une seconde à vos explications aussi décousues qu'incompréhensibles, et le Pr Mikalas doit être bien préoccupé en ce moment, pour ne pas vous avoir tout simplement congédiés.

– Je ne sais pas ce que nous cherchons exactement, repris-je aussitôt, sinon à reproduire un phénomène dont nous avons été témoins. Quelle est la puissance de ce petit bijou ? demandai-je à Magdalena.

– 2,2 mégawatts, répondit-elle la voix pleine d'orgueil.

– Sacrée ampoule ! Presque trente-sept mille fois la puissance de celles qui se trouvent dans le salon de votre mère, me susurra Walter, ravi de la promptitude de son calcul.

Magdalena arpenta la pièce ; en repassant devant la console elle appuya sur un nouvel interrupteur et l'appareil se mit à bourdonner. L'énergie fournie par les électrons du courant électrique commençait à stimuler les atomes de gaz contenus dans le tube en verre. Les photons ne tarderaient pas à entrer en résonnance entre les deux miroirs situés à chaque extrémité du tube, permettant au processus de s'amplifier ; dans quelques instants le faisceau serait assez puissant pour traverser la paroi semi-transparente du miroir.

– Il est presque opérationnel, placez donc l'objet que vous voulez analyser devant la sortie du faisceau et laissez-moi terminer mes réglages, nous tirerons des conclusions plus tard, dit-elle.

Je sortis le pendentif de ma poche, le positionnai en bonne place sur un socle et attendis.

Magdalena avait bridé la puissance de l'instrument, elle libéra le rayon qui ricocha sur le pendentif, comme si la surface de ce dernier lui était totalement imperméable. Je profitai de ce qu'elle était en train de vérifier les paramètres qui défilaient sur son écran de contrôle, pour tourner la molette et amplifier l'intensité du laser. Magdalena se retourna vers moi et me fustigea du regard.

– Qui vous a autorisé à faire cela ? me dit-elle en repoussant ma main.

J'attrapai la sienne et la suppliai de me laisser faire. Alors que j'amplifiais la puissance du faisceau, je vis la stupéfaction dans le regard de Magdalena. Sur le mur venait de s'imprimer la même série impressionnante de points que celle que nous avions vue par une nuit d'orage.

– Qu'est-ce que c'est que ça ? murmura Magdalena stupéfaite.

Walter éteignit la lumière et les points sur le mur se mirent à scintiller.

– On dirait bien que cela ressemble à des étoiles, dit-il d'une voix qui trahissait sa joie.

Tout comme nous, Magdalena n'en croyait pas ses yeux. Walter plongea la main dans sa poche et en sortit un petit appareil photo numérique.

– Les vertus du tourisme ! dit-il en appuyant sur le déclencheur. Il prit une bonne dizaine de photos. Magdalena coupa le faisceau et se tourna vers moi.

– Quelle est la fonction de cet objet ?

Mais avant que je tente de lui fournir une quelconque explication, Walter ralluma la lumière.

– Vous en savez autant que nous. Nous avons juste constaté ce phénomène et voulions le reproduire, voilà tout.

Walter avait discrètement rangé son appareil photo dans sa poche. Le Pr Dimitri Mikalas entra dans la pièce et referma la porte derrière lui.

– Phénoménal ! dit-il en me souriant.

Il avança près du socle où le pendentif était posé et s'en empara.

– Il y a une coursive d'observation, me dit-il en désignant les vitrages que je n'avais pas vus en haut de la pièce. Je n'ai pas pu résister à l'envie de regarder ce que vous faisiez.

Le professeur fit tourner le pendentif dans le creux de sa main et l'approcha de son œil pour essayer de voir au travers. Il se retourna vers moi.

– Vous ne voyez pas d'objection à ce que j'étudie cet étrange objet cette nuit ? Bien entendu, je vous le restituerai à la première heure demain matin.

Était-ce l'arrivée inopinée d'un gardien de la sécurité ou le ton qu'avait emprunté le Pr Mikalas qui fit réagir ainsi Walter ? Je ne le saurai jamais ; mais ce dernier fit un pas vers le professeur et lui allongea une droite stupéfiante. Dimitri Mikalas s'étala de tout son long et je n'eus d'autre choix que de m'occuper du garde qui avait sorti sa matraque et s'apprêtait à assener un mauvais coup à Walter. Magdalena poussa un hurlement, Walter se pencha vers Mikalas qui se tordait de douleur et lui reprit l'objet ; quant à moi, mon uppercut n'avait pas été suffisant pour assommer le gardien, et nous roulions sur le sol, comme deux gosses qui se chamaillent en cherchant à prendre le dessus. Walter mit un terme à la bagarre. Il attrapa le gardien par l'oreille et le souleva avec une force inouïe. Ce dernier lâcha prise en hurlant tandis que Walter me regardait furieux.

– Rendez-vous utile et passez-lui les menottes qui pendent à sa ceinture, je ne vais quand même pas lui arracher le lobe !

Je m'exécutai et attachai le gardien ainsi que Walter me l'avait demandé.

– Vous ne savez pas ce que vous faites, gémit le professeur.