Walter surgit en caleçon dans ma chambre, dans un état d'effervescence que je ne lui connaissais pas. Il me secoua, me supplia de me lever et de le suivre. J'ai d'abord pensé qu'il avait vu un serpent, mais une telle chose ne s'était jamais produite dans notre maison. Il fallut que je le retienne à mon tour par les épaules pour qu'il consente à me parler.

– Venez, je vous en supplie, vous n'en croirez pas vos yeux.

Je n'avais d'autre choix que de le suivre. Le salon était plongé dans l'obscurité, Walter me guida jusqu'à la fenêtre. Je compris rapidement son émerveillement. Chaque fois qu'un éclair striait le ciel, la mer s'illuminait comme un gigantesque miroir.

– Vous avez bien fait de me tirer du lit. Je dois avouer que le spectacle est de toute beauté.

– Quel spectacle ? me demanda Walter.

– Eh bien, celui-ci, juste devant nous, ce n'est pas pour voir ça que vous m'avez réveillé ?

– Parce que vous dormiez avec un tel raffut ? On dit que Londres est bruyante, mais Hydra sous la pluie n'a rien à lui envier. Non, ce n'est pas pour cela que je vous ai sorti du lit.

La foudre crépitait dans le ciel et je ne trouvais pas très judicieux de rester aussi près des fenêtres, mais Walter insistait pour que je reste là sans bouger. Il prit le pendentif que ma mère avait abandonné sur la console et le présenta devant la fenêtre, le tenant du bout des doigts.

– Maintenant, regardez bien ce qui va se produire, me dit-il toujours plus agité.

Le tonnerre se mit à gronder et, lorsqu'un nouvel éclair fendit le ciel, la lumière vive de la foudre traversa le pendentif. Des millions de petits points lumineux s'imprimèrent sur le mur du salon, de manière si intense qu'il fallut quelques secondes pour que l'image s'efface de nos rétines.

– N'est-ce pas tout simplement stupéfiant ? Je n'arrivais pas à dormir, enchaîna Walter, je me suis approché de la fenêtre, pourquoi ai-je eu envie de tripoter ce collier, je n'en sais rien, mais je l'ai fait. Et alors que je l'étudiais de plus près, le phénomène dont vous venez d'être témoin s'est produit.

J'avais beau examiner à mon tour le pendentif à la clarté d'une lampe que je venais d'allumer, aucun trou n'était visible à l'œil nu.

– De quoi s'agit-il à votre avis ?

– Je n'en ai aucune idée, répondis-je à Walter.

Quant à moi, j'ignorais qu'à cet instant précis, ma mère qui était descendue de sa chambre pour comprendre la cause d'un tel raffut dans son salon, y remontait à pas de loup, après nous avoir vus Walter et moi, en caleçon, devant la fenêtre qui donne sur la mer, s'échangeant à tour de rôle le collier de Keira, à la lumière des éclairs.

Le lendemain, au cours du dîner, maman demanda à Walter ce qu'il pensait des sectes ; et avant même que l'un de nous deux puisse répondre, elle se leva de table et alla ranger sa cuisine.

Assis sur la terrasse qui domine la baie d'Hydra, j'échangeais avec Walter quelques souvenirs d'enfance liés à cette maison. Ce soir-là, le ciel était transparent, la voûte céleste limpide.

– Je ne veux pas dire de bêtise, annonça Walter en regardant au-dessus de nous, mais ce que je vois là ressemble fort à...

– Cassiopée, dis-je en l'interrompant ; et, juste à côté, c'est la galaxie d'Andromède. La Voie lactée où se trouve notre planète est irrémédiablement attirée par Andromède. Il est hélas probable qu'elles entrent en collision dans quelques millions d'années.

– En attendant votre fin du monde, j'allais vous dire...

– Et un peu plus à droite, c'est Persée, et puis bien sûr l'étoile du Nord, et j'espère que vous voyez la magnifique nébuleuse...

– Allez-vous cesser de me couper la parole à la fin ! Si je réussissais à placer deux mots sans que vous me récitiez votre abécédaire des étoiles, je pourrais vous faire remarquer que tout cela me fait sacrément penser à ce que nous avons vu sur le mur, hier soir pendant l'orage.

Nous nous regardâmes tous deux, aussi stupéfaits l'un que l'autre. Ce que venait de dire Walter relevait de la fantaisie, de l'absurde, et pourtant sa constatation était assez troublante. À bien y repenser, ces points, en quantité phénoménale que la lumière intense de la foudre avait projetés au travers du pendentif ressemblaient à s'y méprendre aux étoiles qui brillaient au-dessus de nos têtes.

Mais comment reproduire le phénomène ? J'avais beau approcher le pendentif d'une ampoule, rien ne se passait.

– L'intensité d'une simple lampe est insuffisante, affirma Walter qui devenait soudain plus scientifique que moi.

– Où voulez-vous trouver une source de lumière aussi puissante que celle d'un éclair ?

– Le phare du port, peut-être ! s'exclama Walter.

– Son faisceau est trop large ! Nous ne pourrions pas le diriger vers un mur.

Je n'avais pas envie de me coucher, aussi raccompagnai-je Walter à son hôtel, une promenade à dos d'âne me ferait le plus grand bien et puis je voulais poursuivre cette conversation.

– Procédons avec méthode, dis-je à Walter dont la monture trottinait à quelques mètres derrière moi. Quelle sont les sources de lumière assez puissantes pour nous être utiles, où les trouver ?

– Lequel de nous deux est Sancho Pança et lequel Don Quichotte ? me demanda-t-il alors qu'il rapprochait son âne à hauteur du mien.

– Vous trouvez ça drôle ?

– Ce faisceau vert qui s'élevait dans le ciel de Greenwich, vous vous souvenez, c'est vous qui me l'avez montré, il était plutôt puissant, non ?

– Un laser ! Voilà exactement ce qu'il nous faut !

– Demandez donc à votre mère si elle n'aurait pas un laser dans sa cave, on n'est jamais à l'abri d'un coup de bol.

Je ne relevai pas le sarcasme de mon camarade et donnai un tout petit coup de talon à mon âne qui accéléra le pas.

– Et susceptible en plus ! cria Walter tandis que je m'éloignais de lui.

Je l'attendis dans le virage suivant.

– Il y a bien un laser dans le département de spectroscopie de l'Académie, dit Walter essoufflé en me rejoignant. Mais c'est un très vieux modèle.

– Il s'agit probablement d'un laser à rubis, son faisceau rouge ne nous conviendra pas, j'en ai bien peur. Il nous faudrait un appareil plus puissant.

– Et puis, de toute façon, il se trouve à Londres et même pour percer le mystère de votre pendentif, je ne renoncerais pour rien au monde à mon séjour sur cette île. Réfléchissons encore. Qui utilise des lasers de nos jours ?

– Les chercheurs en physique moléculaire, les médecins et particulièrement les ophtalmos.

– Vous n'auriez pas un ami ophtalmo du côté d'Athènes ?

– Non, pas que je sache.

Walter se gratta le front et proposa de passer quelques appels depuis son hôtel. Il connaissait le responsable de l'unité de physique à l'Académie, celui-ci pourrait peut-être nous aiguiller. Nous nous quittâmes sur ces résolutions.

Le lendemain matin, Walter m'appela pour me demander de le rejoindre au plus vite sur le port. Je le retrouvai à la terrasse d'un café, en pleine conversation avec Elena ; il ne me prêta aucune attention lorsque je m'assis à leur table.

Pendant que ma tante continuait de lui raconter une anecdote sur mon enfance, Walter me tendit négligemment un bout de papier. Je dépliai la feuille et lus :

INSTITUTE OF ELECTRONIC STRUCTURE AND LASER,

FOUNDATION FOR RESEARCH AND TECHNOLOGY – HELLAS,

GR-711 10 HERAKLION, GREECE.

CONTACT DR MAGDALENA KARI.

– Comment avez-vous fait ?

– C'est bien le minimum pour un Sherlock Holmes, non ? Ne prenez pas ce faux air d'innocent, votre tante a tout balancé. J'ai pris la liberté de contacter cette Magdalena auprès de qui nous avons tous deux été recommandés par l'un de mes confrères à l'Académie, annonça triomphalement Walter. Elle nous attend ce soir ou demain et m'a assuré qu'elle ferait de son mieux pour nous aider. Son anglais est parfait, ce qui ne gâche rien.

Héraklion se trouve à deux cent trente kilomètres à vol d'oiseau. À moins de naviguer dix heures, le moyen le plus simple pour y accéder était encore de remonter vers Athènes et, de là, prendre un petit avion qui nous déposerait en Crête. En partant maintenant, nous pourrions arriver en fin d'après-midi.

Walter salua Elena. J'avais juste le temps de remonter à la maison prévenir ma mère que je m'absentais vingt-quatre heures et préparer un sac, avant d'embarquer à bord de la navette.

Maman ne me posa aucune question, elle se contenta de me souhaiter bon voyage, d'un ton un peu pincé. Elle me rappela alors que je me trouvais sur le seuil de la porte et me tendit un panier qui contenait de quoi déjeuner pendant la traversée.

– Ta tante m'avait prévenue de ton départ, il faut bien que ta mère serve encore à quelque chose. File, puisque tu dois t'en aller !

Walter m'attendait sur le quai. La navette quitta le port d'Hydra et mit le cap vers Athènes. Après un quart d'heure de mer, je décidai de sortir de la cabine pour aller prendre l'air, Walter me regarda, amusé.

– Ne me dites pas que vous avez le mal de mer.

– Alors, je ne vous le dis pas ! répondis-je en abandonnant mon fauteuil.

– Vous ne verrez pas d'inconvénient à ce que je finisse les sandwichs de votre mère, ils sont délicieux, ce serait un sacrilège de les laisser !

Au Pirée, un taxi nous conduisit vers l'aéroport. Cette fois, ce fut Walter qui n'en menait pas large pendant que notre chauffeur zigzaguait sur l'autoroute.

Heureusement pour nous, il y avait encore de la place à bord du petit avion qui assurait la liaison avec la Crête. À 18 heures, nous débarquions sur le tarmac d'Héraklion. Walter s'émerveilla en posant le pied sur l'île.