Chapitre 4
Avec habileté, Merwin guida la White Bird entre les têtes hérissées des rocs à fleur d'eau et l'amena sans heurt dans un couloir étroit qui méritait à peine le nom de crique, mais qui se terminait par une petite grève de sable montant en pente vers la forêt. Il sauta dans l'eau jusqu'à mi-corps et guida sa barque jusqu'à ce qu'il sentît la quille frotter contre le sable. Alors, il grimpa aux rochers les plus proches pour y fixer le câble d'amarrage. Tout en agissant rapidement, il faisait signe à ses passagers de sortir de l'embarcation.
– Vite ! vite ! dépêchez-vous. Ne restez pas là, montez vers la forêt, leur cria-t-il.
Lui, savait quels dangers guettent l'homme attardé sur la rive dans les parages de la côte est de l'île Monégan. Dociles, ils se hâtèrent à sa voix et montèrent en courant la plage, portant leurs sacs et les paniers contenant les reliefs du repas.
– Quickly ! more quickly !3 criait Merwin, on ne voyait guère pourquoi. Ce fut à ce moment-là que le drame arriva. Elles sont terribles, les lames de fond qui viennent se heurter aux falaises abruptes de la Tête Noire et de la Tête Blanche, sur la côte est de l'île Monégan.
Elles arrivent sournoisement, et jamais du côté où on les attend, et se précipitent, et se retirent aussitôt, repliées sur leur proie.
Il y eut d'abord une haute torche neigeuse qui éclata sur la droite, presque devant le groupe des femmes et des enfants, et l'on aurait dit un geyser qui aurait brusquement surgi du sol pour leur couper la route. L'eau retomba en pluie sur eux et, comme ils en étaient encore à regarder vers la droite, une autre vague arriva en silence derrière eux, le dos rond, énorme et luisante, et les recouvrit tous. Ils tombèrent à quatre pattes, pêle-mêle, furent traînés sur le sable par le reflux, puis abandonnés soudainement, et la plupart d'entre eux se relevèrent promptement, et, s'accrochant aux rocs, rassemblant leurs affaires flottantes, ils remontèrent en hâte la plage. Certains riaient même de la douche imprévue, mais Angélique, en se retournant, aperçut la tête du petit Sammy qui flottait là-bas, à l'entrée du goulet, dans les remous d'écume. Alors, sans hésiter, elle courut le long de la presqu'île et se jeta à l'eau, au moment où le reflux ramenait l'enfant vers elle. À mi-chemin, elle le rencontra, le saisit. La mer les entraîna aussitôt dans un ballet dément. Regardant vers la côte, Angélique aperçut à l'extrémité rocheuse – pointe qu'elle venait de quitter – la haute silhouette de Merwin. Il était venu promptement se poster à l'endroit qu'il fallait. En un galop forcené, la mer les ramena vers lui.
– Attrapez-le ! cria Angélique, lançant le petit Anglais dans la direction de l'homme.
Le marinier le rattrapa littéralement au vol. De son côté, Angélique avait essayé de s'accrocher à une roche, mais l'aspiration de la mer fut si rapide et si irrésistible que de nouveau elle se retrouva enlevée vers le large, dans la nappe mousseuse des réseaux d'écume, entrelacés. Le creux des vagues l'aspirait comme le fond d'un trou subitement ouvert, puis elle se retrouvait tout à coup à la corne d'une crête moutonnante si élevée qu'il lui semblait qu'elle allait être projetée comme une balle à mi-hauteur de la falaise. Sa jupe, gorgée d'eau, commençait à peser un poids de plomb et elle ne pouvait plus bouger les jambes pour se maintenir en surface. Ainsi qu'une poussée convulsive venue du tréfonds des abîmes, le flot la ramena encore une fois vers la terre. Poussée vers le promontoire où Jack Merwin se tenait, elle le vit se rapprocher à une allure folle. Il était seul maintenant à l'extrémité avancée de la presqu'île, ayant mis en lieu sûr l'enfant sauvé.
Il était seul et gigantesque, et sombre dans le vent qui faisait voler ses longs cheveux noirs, sombre sur le ciel vibrant où flottaient des lambeaux d'écume blanche, et son bonnet rouge ressortait comme une lumière se rapprochant. Elle tendit la main vers lui prête à saisir la sienne. Mais, contre son attente, il ne bougea point, demeura immobile, bras croisés. Il ne lui tendit pas la main. Les doigts d'Angélique se refermèrent sur le vide, s'écorchèrent sur la pierre râpeuse, trop faibles pour s'y agripper et, tandis que la succion monstrueuse l'attirait de nouveau en arrière, elle cria. C'était un cri d'enfant, un cri de pure perte et d'étonnement...
Ah ! S'il m'avait seulement tendu la main, cette fois-ci, j'aurais pu... Il ne m'a pas tendu la main...
L'eau salée lui entra dans la bouche et elle suffoqua. Rassemblant toute son énergie, elle s'évertua au calme afin de pouvoir se maintenir à flot et se laisser porter par le courant qui la ramènerait tôt ou tard vers le rivage. Sa seule chance de salut, c'était ce tourbillon qui revenait sans cesse s'engouffrer dans les cavernes du ressac où le choc des vagues contre les parois éclatait comme un coup de canon sourd et faisait retentir l'écho des falaises. La vague noire l'engloutissait, puis, la portant, la roulait dans une fureur de torrent, et les yeux de Jack Merwin lui apparurent, cette fois, tout proches. Alors elle comprit.
Il n'était pas là pour la sauver, mais pour la regarder mourir. Car il voulait sa mort.
Cette résolution était inscrite sur sa face impassible où brûlaient deux prunelles de l'au-delà, qui voyaient à travers elle, au delà de ce pauvre corps ballotté et tuméfié, de ce corps de femme que la mer commençait de vouloir déchiqueter et qui n'était déjà plus pour lui qu'une épave indifférente.
Et, le découvrant tel, dans un dernier éclair fou, il lui parut plus démoniaque encore que la nuit dernière. Un cri d'agonie lui jaillit des entrailles :
– Joffrey ! Joffrey !
Elle criait désespérément. Au fond d'elle-même, une voix appelait : « Joffrey ! Au secours ! Au secours ! Les démons, ils veulent ma mort !... Ils sont là !... »
Puis, dans un sursaut de lucidité :
« Salaud d'Anglais !... J'aurais dû me méfier de lui. You a woman, disait-il, et cela le réjouit de me voir mourir, moi, une femme ! »
Elle se débattait avec des gestes véhéments où explosait sa panique et qui l'enfonçaient de plus en plus. Brusquement, elle eut la sensation qu'une poigne féroce l'agrippait par en dessous et la tirait vers le fond du gouffre. Elle lança un coup de pied pour remonter en surface, réalisa avec horreur que sa jupe s'était coincée entre deux rochers, l'eau passait et repassait au-dessus d'elle et la faisait ballotter de droite à gauche, retenue au piège. Ses tempes battaient à éclater. Et, chaque fois que d'un élan forcené elle essayait d'échapper à l'emprise, elle sentait le choc, l'arrêt, l'impossibilité de s'échapper, de remonter à l'air libre. Le monstre des légendes, tapi dans les cavernes marines, la tenait de ses griffes, la gardait à portée de son antre, tandis que, prisonnière, elle tournoyait sous les eaux glauques, parmi les algues qui la ligotaient.
Elle n'en pouvait plus. Elle allait ouvrir la bouche, aspirer, aspirer la mort. Un brusque choc la libéra. Sa jupe se déchirait. Elle retrouva la lumière du jour. Mais elle était sans force, put à peine prendre une gorgée d'air avant de disparaître de nouveau.
L'amère salive des flots la roulait, la malaxait, la dévorait, brisée, impuissante.
– Non ! Non ! Je ne veux pas mourir !... criait-elle, désespérée en elle-même, je ne veux pas mourir noyée... c'est trop horrible. Joffrey, Joffrey, je veux te revoir... je ne veux pas rester seule, loin de toi, au fond des eaux...
Adhémar ne l'avait-il pas vue en songe, cette nuit, errant au fond des eaux, au fond des abîmes verts, avec tous ses cheveux derrière elle comme des algues..., seule... seule... endormie à jamais...
Un choc à la tempe. C'était comme un clou enfoncé brutalement. Une pierre contre laquelle elle se heurtait, et dont le choc l'éveillait, la rejetait pour un bref instant en surface. Vision éblouissante dans le soleil, et toujours la même forme immobile et droite là-bas... puis qui, soudain, s'animait, se détendait, plongeait.
Mirage !...
Elle coulait, coulait, disparaissait à jamais.
Chapitre 5
Quelqu'un la tirait par les cheveux sur la plage. Angélique sentait son propre corps, arraché peu à peu à la viscosité de la mer, prendre la pesanteur du plomb et creuser, en traînant, un sillon profond dans le cailloutis du rivage. Elle était écorchée de partout, sanguinolente, inerte. Jack Merwin, à bout de forces lui aussi, la halait comme on haie une barque, un animal mort. Il ne s'arrêta qu'après la dernière lisière de varech, à l'orée des arbres, là où la mer ne pouvait plus les atteindre. Alors, il tomba à son tour, s'écroula près d'elle. Dans sa demi-inconscience, elle entendait sa respiration sifflante comme celle d'un soufflet de forge. Ç'avait été une lutte atroce, où elle s'accrochait à lui convulsivement, où il avait dû la frapper pour l'étourdir, ou vingt fois la mer les avait entraînés si loin des côtes qu'il leur semblait ne l'apercevoir plus que comme une ombre fantomale, inaccessible, et ils avaient fini par aborder assez loin de leur point de départ.
Les poumons d'Angélique étaient en feu. C'est en vain qu'elle s'efforçait de respirer. À chaque fois, elle avait l'impression que sa poitrine allait se briser. Elle essaya de se dresser sur les poignets et les genoux, comme une bête qui meurt et qui cherche dans un dernier sursaut à se remettre sur ses quatre pattes. Tâtonnant aveuglément, elle s'accrocha à l'homme qui était près d'elle. Une nausée la saisit et elle vomit incoerciblement. Le flot salé parut en passant lui corroder la gorge. Elle retomba sur le côté. Jack Merwin se mit debout. Un moment terrassé par la fatigue, il avait repris sa maîtrise. Il arracha son gilet mouillé et le jeta au loin, puis il ôta sa chemise, qu'il tordit pour en extraire toute l'eau, et ensuite il essora son bonnet rouge. Il remit son bonnet sur sa tête, posa sa chemise roulée en travers de son cou.
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