– Et Maupertuis ? Son fils ? Où sont-ils ?
– Je pense qu'on les a ramenés de force en Canada.
Le comte explosa :
– Cette fois, c'est la guerre, s'écria-t-il. C'en est assez de la lutte sournoise ! J'irai mettre mes vaisseaux sous Québec !
– Non, ne faites pas cela ! Nous y perdrions nos forces, et plus que jamais je serais accusée de répandre le malheur. Mais ne nous séparons pas ! Ne les laissons pas prévaloir contre nous en nous déchirant, nous meurtrissant... Joffrey, mon amour, vous savez bien que vous êtes tout pour moi... Ne me rejetez pas, sinon je mourrais de douleur. Aujourd'hui, désormais, je ne suis rien sans vous ! Plus rien !
Elle tend les bras vers lui comme une enfant perdue.
Elle est dans ses bras et il la serre à la briser. Il ne pardonne pas encore, mais il ne veut pas qu'on la lui prenne. Il ne veut pas qu'on la menace, qu'on attente à sa vie. Sa précieuse et irremplaçable vie.
Son étreinte de fer la broie, et elle tremble, inondée de joie, sa joue contre sa joue dure. Le ciel vacille, éblouissant.
– Miracle ! Miracle ! crie une voix lointaine à travers les espaces. Miracle ! Miracle !
Les voix au-dehors résonnent, de plus en plus fort.
– Miracle ! Miracle ! Monseigneur, où êtes-vous ? Venez vite. Un vrai miracle.
C'est la voix de Yann Le Couennec. Dans la cour, sous la fenêtre. Le comte de Peyrac relâche son étreinte, il écarte Angélique. Comme s'il regrettait le geste impulsif qui lui a fait lui ouvrir les bras.
Il va à la fenêtre.
– Qu'advient-il ?
– Un vrai miracle, monseigneur ! La bienfaitrice... La noble dame qui protégeait les Filles du roi et qu'on croyait noyée... Eh bien ! elle ne l'est pas. Des morutiers de Saint-Malo l'ont recueillie sur un îlot de la baie avec son secrétaire et un matelot et un enfant qu'elle a sauvé. Une barque les amène... Ils entrent dans le port.
Chapitre 27
– Avez-vous entendu ? interroge Peyrac en se tournant vers Angélique, la bienfaitrice ! Il faut croire que l'océan a trouvé trop indigestes l'honorable duchesse et son plumitif.
Son regard se posait sur elle, hésitant, perplexe.
– Nous nous reverrons plus tard, fit-il en détournant les yeux avec hésitation. Je crois de mon devoir d'aller au-devant de cette pauvre femme sauvée des eaux et rejetée tel Jonas par la baleine sur nos rivages de forbans. M'accompagnez-vous, madame ?
– Le temps de ranger ces armes et je vous rejoins au port.
Il s'éloigna.
Angélique frappa du pied.
Décidément, c'était la Julienne qui avait raison. Cette bienfaitrice était une emmerdeuse sans pareille. Noyée trois jours, elle aurait bien pu attendre encore quelques heures de plus, avant de refaire surface au lieu de se présenter à l'instant même où Joffrey de Peyrac ouvrait ses bras à Angélique. Toutes les défenses de ce cœur ombrageux n'étaient pas tombées. Elle avait senti l'élan de son inquiétude pour elle, mais aussi son orgueil braqué. Et le sort soudain paraissait se prononcer contre elle.
Malgré le souvenir de son étreinte trop brève, un froid mortel se glisse dans les veines d'Angélique, accable son esprit.
Elle ressent l'envie de s'élancer sur les pas de Joffrey, de l'appeler, de le supplier. Ses pieds sont lourds et se meuvent avec peine comme dans les cauchemars. Contre le chambranle de la porte, elle chancelle et défaille. Au ras du sol, un démon, les crocs luisants et les yeux flamboyants, la regarde.
Sa chair se hérisse. Une nausée la tord.
– Ah ! Mais c'est toi, Wolverines ! Tu m'as fait peur.
Le glouton n'a pas suivi Cantor au Kennebec. Il furète partout à travers le village avec son lourd corps, souple et serpentin, de géante fouine.
Il est là. Il la regarde.
– Va-t'en ! Va-t'en ! lui chuchote-t-elle en frissonnant, va-t'en. Retourne dans les bois.
Mais une ombre velue, énorme, a bougé à travers la moire verte d'un arbre. De nouveau, ce n'est qu'un mirage du danger qui menace ; ce n'est que l'ours, mister Willoagby, qui se dandine, flaire des senteurs de fruits dans le vent mou et tiède. Il retourne une pierre de sa griffe, découvre des fourmis que sa langue condamne prestement. Angélique marcha vers la plage d'un pas d'automate. Une rumeur lointaine la guidait, qui semblait s'éloigner à mesure qu'elle avançait. Le timbre étouffé d'un fantôme blanc la héla au passage.
– Madame de Peyrac ! Madame de Peyrac !
– Que faites-vous là, Marie-la-Douce ? Ah ! Prenez garde ! Vous n'auriez pas dû vous lever, avec vos blessures...
– Soutenez-moi, je vous prie, chère dame, que je puisse aller vers ma bienfaitrice.
Angélique soutient la taille flexible et fragile de l'enfant, au visage illuminé. Ses pieds s'avancent malgré elle. De temps à autre, elle se retourne, et elle les voit qui la suivent, l'ours et le glouton, et elle leur fait des signes véhéments.
– Allez-vous-en ! Allez-vous-en, horribles bêtes !
Chapitre 28
Ils sont tous rassemblés sur la plage. La plage ! L'amphithéâtre qui s'ouvre pour eux sur la scène chaque jour enrichie de nouveaux spectacles : la baie. Une barque aujourd'hui s'y avance. Par-dessus la houle des têtes, Angélique entend les appels, les sanglots, les cris de joie et de dévotion.
– Vivante ! répète Marie-la-Douce en larmes. Que Dieu et tous les saints du Paradis soient bénis !
Angélique restait un peu en retrait, se tenant à l'endroit où le sol commençait à s'incliner vers l'eau. Elle pouvait ainsi mieux distinguer ce qui se passait. Elle vit très bien la barque parvenir aux abords du rivage, et Yann entrer dans l'eau pour la guider et éviter le choc à l'instant où l'étrave heurterait le fond.
Presque aussitôt, les Filles du roi se jetèrent à leur tour au-devant de l'embarcation dans un pépiement hystérique.
Au milieu de ces remous, Angélique ne parvenait pas à apercevoir la silhouette de la duchesse. En revanche, son regard était attiré par la présence insolite d'une très jeune femme dont la toilette voyante et somptueuse accrochait une note colorée à l'avant de la barque. Malgré la distance, Angélique discernait que cette jeune femme ou jeune fille devait être extraordinairement ravissante. En contraste avec une chevelure sombre, l'éclat de son teint retenait le regard comme une lampe, ou plutôt comme une de ces fleurs exotiques – camélia ou magnolia – brillant dans l'ombre d'une délicatesse de pétale parfumé, blanc pur touché de rosé.
Une fleur. Ou un oiseau, si l'on considérait le bariolage de son ajustement. Il comportait toutes les audaces de la mode et pourtant l'association de son manteau-de-robe bleu canard, qui se retroussait sur une courte jupe de satin jaune et que surmontait un corsage d'un bleu plus pâle ouvert sur un plastron rouge, formait un ensemble d'une surprenante élégance et qui lui allait à ravir.
Unique détail qui ne lui convenait point : l'enfant misérable qu'elle tenait sur les bras.
– Vous avez sauvé mon enfant ! Soyez bénie ! cria la voix tremblante de Jeanne Michaud s'élevant de la bousculade.
Ses bras tendus de mère saisirent le petit Pierre.
Libérée, la femme aux atours étincelants posa sa main sur une main d'homme qui se présentait et sauta légèrement à terre, retenant haut la jupe de satin jaune pour éviter le contact de l'eau.
À cet instant, ce qu'Angélique remarqua devait rester gravé longtemps en sa mémoire, y prenant une importance démesurée, incompréhensible en fait, jusqu'au jour où, hantée par des souvenirs qu'elle enregistrait inconsciemment, elle finirait par y trouver la clé de bien des mystères.
Elle remarqua les bas rouge écarlate qui gainaient les jambes de la jeune femme, et les petits souliers-sabots qu'elle portait, en velours tiers-poil carmin, et applications de cuir blanc découpé, qu'agrémentait une rosette de satin d'or.
Angélique s'entendit demander à voix haute :
– Mais... qui est donc cette femme ?
– ELLE, répondit Marie-la-Douce dans un sanglot. Elle, notre bienfaitrice ! Mme de Maudribourg !... Voyez-la ! N'est-elle pas belle ? Parée de toutes les vertus et de toutes les grâces !...
Échappant aux bras qui la soutenaient, la jeune fille, rassemblant ses forces, marcha vers la nouvelle venue et s'écroula à ses genoux.
– Ah ! Bien-aimée dame !... Vous ! Vivante !
– Marie, ma chère enfant ! dit une voix au timbre doux et profond – un contraste émouvant – tandis que la duchesse s'inclinait vers Marie pour la baiser au front.
Un homme vêtu de sombre, un peu corpulent, le nez chaussé de bésicles, était parvenu à descendre de la barque sans que personne se souciât de lui et s'efforçait en vain à ramener de l'ordre dans les effusions des retrouvailles.
– Allons, mesdames, allons, s'empressait-il. Je vous en prie, mesdames. Permettez enfin à la duchesse de recevoir les hommages du seigneur de ces lieux.
Un peu plus haut, Joffrey de Peyrac attendait, son grand manteau broché flottant au vent, et s'il avait lui aussi éprouvé une surprise devant l'aspect inattendu de la duchesse-bienfaitrice, elle ne se trahissait que par une légère ironie de son sourire en coin.
– Écartez-vous, mesdames, insistait l'homme aux lunettes, prenez pitié de la fatigue de Mme la duchesse.
– Monsieur Armand ! s'exclamèrent les demoiselles et Filles du roi, se décidant enfin à le reconnaître, lui aussi.
Elles l'entourèrent amicalement, et Mme de Maudribourg put faire quelques pas en direction du comte de Peyrac.
L'apercevant de plus près, Angélique vit alors que les vêtements de la duchesse étaient souillés par l'eau de mer et déchirés par endroits, et que ses pieds, chaussés des mignons souliers de cuir blanc et de velours, paraissaient se poser avec une peine infinie sur le sable dont la fluidité ajoutait à la difficulté de leur marche, et, malgré leur grâce, la finesse de la cheville que soulignait une baguette de fil d'or, ils semblaient lourds et pesants comme ceux d'Angélique tout à l'heure lorsqu'elle s'était avancée vers le port. Or, ces pieds mentaient effrontément. Ou bien alors c'était le visage qui mentait. Il était moins jeune qu'elle ne l'avait cru en l'apercevant de loin, mais plus beau encore. En fait, la duchesse Ambroisine de Maudribourg devait avoir une trentaine d'années. Elle possédait toute l'aisance, l'assurance, l'élan de jeunesse à la fois animal et raffiné de cet âge splendide. Pourtant, il devenait de plus en plus visible aux yeux avertis d'Angélique que cette éclatante personne qui gravissait hardiment la côte était en train de défaillir. Épuisement ? Peur ?...
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