– Pour ma part, je suis aussi partisan de garder ces filles ici, déclara-t-il, mais Québec peut prendre ombrage d'un accueil qu'elle se réservait, cette ville. Et les gouvernants verront de notre part une capture. Cela ne risque-t-il pas d'envenimer vos rapports avec la Nouvelle-France, monsieur de Peyrac ?
– J'en fais mon affaire. S'ils se plaignent, je leur ferai remarquer qu'ils n'ont qu'à confier leurs convois à des pilotes qui ne les égarent pas à tous les antipodes. De toute façon, nos rapports avec la Nouvelle-France sont déjà en si difficile posture qu'un incident de plus ou de moins ne peut changer grand-chose à la situation. Tout et à tout instant peut être prétexte pour la guerre, comme pour la paix. Mais il reste un fait. C'est qu'aujourd'hui je ne les crains plus et que c'est à moi de décider ou non de notre bonne entente, et j'estime que si les vents ont poussé cette charmante cargaison vers nous au moment où nous le souhaitions, nous devons agréer ce signe du Ciel. Je partagerai volontiers sur ce sujet l'opinion de vos hommes.
– À propos, reprit Angélique, je voudrais bien que ce Gilles Vaneireick, son Inès et son équipage s'en aillent au diable. Ils nous embrouillent et nous compliquent la vie et s'ils n'ont rien de mieux à faire que se distraire à nos frais... J'ai réussi à les remettre entre les mains des aumôniers. Le temps d'une messe, ils se tiendront peut-être tranquilles, mais ensuite ?... Désolée, capitaine, fit-elle, s'apercevant de la présence du Dunkerquois, je m'en veux d'avoir parlé devant vous sans ambages, mais vous savez aussi bien que moi que vos hommes des Caraïbes ne sont pas des enfants de chœur et ne peuvent être supportés qu'à petites doses dans les pays ordonnés...
– C'est bien ! C'est bien ! gémit le flibustier. Je m'en vais, je suis blessé jusqu'au cœur, ajouta-t-il, une main douloureuse appliquée sur sa poitrine.
– Retournons à terre, conclut Peyrac.
*****
Angélique, montant la plage aux côtés de Vaneireick, essaya d'atténuer l'effet de ses paroles peu amènes.
– En d'autres temps, croyez, monsieur, que je m'enchanterais de votre compagnie car vous êtes fort aimable. Et je n'ignore pas que mon mari vous tient en grande amitié. Vous l'avez assisté jadis en maints combats, et il n'y a guère encore...
– Aux Caraïbes, nous étions frères de la Côte. Cela lie à jamais...
Angélique, en détaillant la silhouette un peu replète quoique fort agile de l'aventurier français, songeait que celui-là encore avait été mêlé à la vie inconnue de Joffrey. Eux avaient toutes sortes de souvenirs communs. Pas elle. Il connaissait aussi Cantor et en parlait souvent avec affection en l'appelant « le petit » ou « le gamin ».
Certes, en d'autres temps, comme elle l'affirmait sincèrement, elle eût aimé s'entretenir avec lui du passé de son mari et de son fils cadet, mais elle n'en pouvait plus. Elle l'avoua spontanément.
– Je suis lasse de soigner tous ces gens. Leur sort me tourmente, et je crains sans cesse que de nouvelles querelles fassent de nouveaux blessés.
Il lui adressa un coup d'œil complice.
– Et puis, dites aussi que votre petit cœur est blessé et que c'est cela qui vous ronge, hein ? Si ! Si ! Comme si cela ne se voyait pas... Tutt ! Tutt ! Je connais les femmes. Dites-moi, belle enfant, ce n'est pas bientôt fini cette fâcherie avec votre seigneur de mari ? Allons ! Allons ! qu'y a-t-il de si grave derrière ces fredaines ? Le Suisse a été trop bavard, j'en conviens ! S'il ne s'était pas trouvé là au mauvais moment, il ne resterait pas plus de tout cela qu'une plume au vent. Pas de quoi fouetter un chat, à, la réflexion. Vous avez donné un petit coup de canif dans le contrat ?... Soit ! La belle affaire !... Vous êtes trop séduisante, jolie dame, pour que cela n'arrive pas de temps à autre, par-ci par-là. Vous devriez aller le trouver et lui expliquer la chose.
– Hélas ! dit Angélique avec amertume, j'aimerais que mon mari partageât votre sérénité en ce domaine des sentiments. Car il est vrai qu'il m'est plus cher que tout au monde. Mais c'est un être secret et à moi-même... parfois, il me fait peur.
– Il est vrai qu'en ce qui vous concerne il est coriace comme un Anglais et jaloux comme un Sarrasin.
« Bien que vous me teniez en suspicion, savez-vous que je suis assez fort votre ami pour essayer de convaincre M. de Peyrac du peu fondé de sa rancune, ou plutôt de ce qu'elle a de déraisonnable lorsqu'il s'agit de vous ? J'essaie de lui faire entendre qu'il y a une certaine catégorie de femmes auxquelles un homme, même d'honneur, doit savoir pardonner. « Tenez, lui dis-je, moi, avec mon Inès... »
– Ah ! Je vous en prie, protesta Angélique avec humeur, ne me mélangez pas avec votre Inès.
– Et pourquoi pas ? Je sais ce que je dis : Toute noble dame que vous êtes et toute petite peste qu'elle soit, sortie d'un coquillage des mers chaudes, vous êtes l'une et l'autre de cette race exquise des femmes qui, par leur beauté, leur science de l'amour, et ce je ne sais quoi de mystérieux qu'on appelle le charme, font pardonner au Créateur l'aberration dont il a été victime le jour où Il décida de sortir Eve de la côte d'Adam.
« Or donc, lui dis-je, considérez qu'il y a des femmes auxquelles il faut savoir pardonner certains écarts sous peine d'être plus cruellement puni que la coupable elle-même. Partant du principe que lorsque l'on est favorisé dans le jeu de l'Amour au point d'avoir tiré la carte maîtresse, on ne doit pas négliger de tels avantages et en être reconnaissant aux dieux. Tant d'autres parcourent l'existence sans ne tenir jamais en main qu'un jeu médiocre...
– J'imagine assez bien comment mon irascible époux accueille vos raisonnements spécieux et immoraux, dit Angélique avec un sourire mélancolique.
Tout à l'heure, dans la cabine du Gouldsboro, il avait encore feint de l'ignorer. Par cette attitude, il la frappait chaque fois plus durement qu'il ne l'avait fait. Il suffirait de cette entrevue pour que ses élans de courage retombassent. Et, déjà, elle se sentait comme rompue ; que serait-ce, le soir venu, quand le jour ne lui aurait apporté aucun secours, et que ses terreurs l'assailleraient !
C'était tellement plus grave que ne se l'imaginait le brave Vaneireick. Ce qu'il ne savait pas, c'est qu'elle ne supporterait jamais d'être repoussée par Peyrac. Elle en mourrait. La peur de ce risque retenait ses élans.
– Mais que lui avez-vous donc fait pour qu'il vous ait à ce point dans la peau ? s'écria Vaneireick en la couvrant de son regard charbonneux, soupçonneux, plein d'étincelles. C'est inimaginable !... Je ne l'aurais jamais cru si vulnérable, ce grand pirate pourtant nourri d'expériences, de science, de philosophie et de chance ! Il nous en imposait à tous là-bas aux Caraïbes, en l'île de Tortuga dans la mer du Mexique, et les femmes lui étaient d'autant moins cruelles qu'il n'y attachait aucune importance. Pourtant, à votre vue, je comprends... il a succombé. L'amour avec vous, cela doit être quelque chose... d'inoubliable, de prodigieux, de...
– Capitaine, calmez votre imagination, dit Angélique en riant. Je ne suis qu'une simple mortelle, hélas !
– Trop ! Trop simple mortelle. Juste ce qu'il nous faut à nous autres hommes. Bon ! Je suis parvenu à vous faire rire. Rien n'est perdu. Écoutez alors mes conseils. Ne parlez plus de cette histoire, n'y pensez plus ! Allez à confesse : il est bon de commencer par le pardon de Dieu. Et pour celui de l'époux, glissez-vous dans son lit un soir sans avertir, au bon moment. Je garantis l'absolution.
– Décidément, je crois que vous êtes un véritable ami, convint Angélique, égayée. Ceci dit, mon cher Vaneireick, et, si vous n'avez rien de mieux à faire ici que de réparer les cœurs brisés, je vous réitère ma proposition de mettre à la voile. La brise est belle, le brouillard s'est levé, et j'en ai assez pour ma part de panser du matin au soir des gens qui s'égorgent. Or, si vous ne vous en allez pas très vite dès la prochaine marée, le sang coulera encore avec tous vos diables à têtes chaudes de votre île de la Tortue.
« Les blessés de votre équipage sont pour leur part en bonne voie de guérison et je vous les remets de bon cœur, en bon état pour vos prochaines expéditions. Dame Pétronille Damourt venait vers eux, roulant plus qu'elle ne courait, et toujours échevelée et éplorée.
– Ah ! madame, au secours, les filles sont folles ! Je n'en viens pas à bout. Elles parlent de se sauver d'ici, de partir à travers la forêt, à pied, je ne sais où !
Chapitre 24
– Alors, les filles, on veut aller à la noce ?
La voix tonitruante de Colin et son apparition géante sur le seuil de la porte suspendirent les pleurs et les grincements de dents qui emplissaient la grange. Sans la présence d'Angélique à ses côtés, les plus émotives auraient achevé de mourir de frayeur. Elles se précipitèrent vers elle et se groupèrent autour de sa présence féminine rassurante.
– Eh bien, mes chères enfants, eh bien, mes bonnes filles, que se passe-t-il donc ? Pourquoi ce tumulte ? interrogea Angélique avec son sourire le plus apaisant.
– Racontez-moi tout, décida Colin en frappant sa vaste poitrine. Je suis le gouverneur du lieu. Je vous promets que les méchants qui vous ont effrayées, gentes demoiselles, seront punis.
Aussitôt, elles se lancèrent, parlant toutes à la fois, chacune décrivant ses impressions, qui allaient du « Moi, je n'ai rien entendu, je dormais » à « Cet horrible bonhomme m'a saisie par le poignet et m'a tirée au-dehors... Je ne sais pas ce qu'il me voulait... ».
– Il puait le rhum, compléta avec une grimace de répugnance Delphine Barbier du Rosoy qui, par malchance pour une « demoiselle », avait été la plus malmenée dans cette échauffourée.
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