L'eau ! Les pouvoirs de l'eau pure ! Elle n'avait jamais réfléchi à l'instinct atavique qui menait les paysans de son Poitou natal vers certaines sources de la forêt.
Mais l'eau qui stagnait dans la fontaine de faïence de Mrs Cranmer n'avait peut-être pas les mêmes qualités et pouvoirs, en tout cas elle était exécrable. Les servantes ne devaient pas prendre souvent la peine de nettoyer l'intérieur du récipient. Angélique retint une grimace qui n'échappa pas à l'œil soupçonneux d'Honorine.
– Je vais aller te chercher de l'eau du puits, décida-t-elle en dégringolant prestement de son coffre.
Angélique n'eut que le temps de la retenir au bord de l'escalier. Elle l'imaginait déjà, penchée sur la margelle, préoccupée de lui remonter un seau d'eau bien claire. Elle multiplia protestations et assurances qu'elle n'avait besoin de rien afin de la faire renoncer à son projet.
– Tu vois, j'ai bu. Et maintenant, je le sens, les anges vont descendre et me protégeront.
Attendrie, elle prenait entre ses paumes la ronde frimousse de l'enfant pour mieux la contempler.
– Chère petite créature, murmura-t-elle. Comme tu es bonne pour moi et comme je t'aime !
Quelqu'un rentrait enfin et un bruit de bottes résonna sur les dalles du vestibule.
Cette fois Honorine s'échappa. Elle avait reconnu son père, le comte de Peyrac. Les bras autour de son cou, elle lui chuchota :
– Ma mère est triste et je ne peux pas la consoler.
– Je vais arranger cela, lui promit Joffrey de Peyrac sur le même ton de connivence.
*****
– Jamais je n'ai connu matinée si longue, soupira Angélique quand il la rejoignit.
– Moi non plus. Je vous comprends et vous félicite de vous être retirée. Éprouvante assemblée s'il en fut... Et je m'extasie de constater combien le mâle humain, sûr et confiant en lui-même, ne doute point de l'excellence de ses actes. Comment ne pas admirer, en effet, avec quel juste sens les meilleurs représentants de cette race supérieure à laquelle le créateur m'a fait la grâce d'appartenir, ayant décidé de convier, par extraordinaire, à leur conseil, une femme dont ils estiment les avis, savent choisir le sujet à débattre avec elle.
À son habitude, lorsqu'il voulait la distraire d'un souci, il avait réussi à la faire rire. Déjà sa présence l'allégeait, dissipait son anxiété.
– Ne soyez pas trop sévère pour vos patriarches et vos docteurs puritains, dit-elle. Ils ne m'ont pas caché les raisons pour lesquelles ils souhaitaient ma présence parmi eux. Non seulement je ne leur en veux pas, mais je les absous. J'aimerais que vous les assuriez que j'ai pris en considération ce renouveau de la guerre indienne aux frontières de leurs colonies. J'ai d'ailleurs réfléchi à ce que nous pourrions obtenir par Piksarett.
– Oh ! Laissons là guerres et massacres, fit-il d'un ton léger. C'est un jeu qui, hélas, n'est pas de sitôt près de finir et la raison veut que, tout en y portant attention, nous sachions voler aux heures précieuses du quotidien le soin de veiller sur notre paix à nous. Parlons donc de ce qui vous préoccupe, ma chérie. Je vous vois les traits tirés et un cerne d'ombre autour des yeux, qui vous rend certes fort belle et touchante, mais...
– Shapleigh n'arrive pas, se plaignit-elle.
– J'ai envoyé des émissaires dans toutes les directions. Ils le trouveront. Et nous l'amèneront à Portland, s'il n'a pu se rendre ici avant notre départ vers Gouldsboro.
Il l'avait attirée contre lui et posait des baisers légers sur ses paupières.
– Quelque chose vous effraye, mon amour. Dites-le-moi. Confiez-vous à moi. Je suis là, près de vous désormais, pour vous défendre, écarter de vous tout danger.
– Hélas ! Il s'agit peut-être d'une épreuve qu'il n'est pas entièrement en notre pouvoir d'éloigner, car c'est la nature qui en décidera.
Peut-être n'était-ce qu'une fausse alerte, convint-elle, mais son indisposition du matin lui faisait craindre tout à coup que l'enfant ne vînt au monde de façon prématurée. Il est vrai, se reprit-elle, qu'elle se sentait maintenant tout à fait bien et avait acquis la conviction que cet accouchement, qui hier encore lui paraissait très éloigné, ne pouvait pas être imminent. Cependant, elle ne serait pas étonnée de le voir survenir plus tôt que prévu.
Avec sagesse, Joffrey lui fit remarquer qu'il n'y avait aucune raison apparente pour qu'un changement survînt, car sa santé avait été jusqu'ici parfaite. Mais, d'ores et déjà, il fallait considérer que, si l'enfant venait au monde, la chaleur écrasante qui les éprouvait tous en ce moment sur la côte atlantique, leur serait une alliée pour aider un bébé fragile à passer le cap de trois ou même quatre semaines d'avance.
Elle l'écoutait et le trouvait d'une touchante bonté de rechercher avec le même soin qu'il apportait à toutes choses des arguments précis dans ce domaine bien féminin et qui aurait dû être étranger à un gentilhomme d'aventure, considéré par certains comme un pirate redoutable, en tout cas, un homme de guerre plutôt rude et sans faiblesses. Mais, pour elle, pour la rassurer, la réconforter, il avait toutes les délicatesses.
Elle s'écarta de lui afin de lui sourire. Mais ses grands yeux verts, comme pâlis, demeuraient dilatés et fixes.
– Il y a autre chose, murmura-t-elle d'un ton coupable.
Alors, elle lui avoua ce qui doublait son inquiétude. Double était bien le mot. Deux enfants, cela pouvait annoncer un double bonheur, mais cela rendrait précaire leur survivance, si jamais elle ne pouvait porter « l'enfant » tant rêvé jusqu'à terme.
Il vit qu'elle était réellement effrayée, anxieuse et angoissée.
Et soudain, par son expression terrifiée et la fragilité qui se dégageait d'elle, Angélique lui rappela l'enfant-fée surgie des forêts poitevines, l'exquise apparition qui s'était dressée devant lui, dans le soleil, sur la route de Toulouse, et qui avait fait basculer sa vie à lui, le grand seigneur libertin qui croyait avoir tout connu des plaisirs du monde, dans les tourments, les déchirements, et les transports inexprimables d'un véritable amour.
Et parce qu'elle était toujours là, qu'il pouvait se dire qu'elle n'avait jamais cessé de l'habiter, qu'elle avait su préserver les sources mystérieuses de ce charme, si prompt à s'évaporer chez tant de femmes au souffle aride ou médiocre de l'existence, et parce qu'il en recevait la révélation en même temps que l'annonce éblouissante, mirifique, un peu extravagante de ce don de ces deux enfants qu'elle s'apprêtait à lui faire, il se demanda, non sans effroi, s'il n'était pas en train de connaître la plus grande joie de sa vie d'homme. Au point que des larmes lui vinrent aux yeux. Et pour les lui cacher, il la reprit dans ses bras.
La serrant contre lui, sa main caressant ses cheveux, effleurant son corps, il commença à lui parler tout bas, lui disant que tout allait bien, qu'il ne fallait rien craindre, qu'il était le plus heureux des hommes, que leurs enfants, annoncés par trop d'heureux présages, naîtraient beaux et vigoureux, car la vie ne fait jamais autant de mal qu'elle le pourrait, surtout envers ceux qui l'aiment et le lui prouvent sans lésiner, et il lui répétait qu'elle n'était pas seule, qu'il était là, que les dieux étaient avec eux, et qu'il ne fallait pas oublier enfin, qu'en toute épreuve, il existe un suprême recours : le ciel.
Et il ajouta avec ce sourire qui paraissait à la fois railler et défier un monde incrédule et pusillanime, qu'il se faisait fort si leur salut l'exigeait d'envoyer aussi des émissaires jusque-là, réclamer le secours du Tout-Puissant.
*****
Désireux de l'aider à se rétablir et voyant qu'elle souffrait moins de fatigue que d'oppression, le comte de Peyrac eut l'idée heureuse de lui proposer de se rendre sur L'arc-en-ciel, leur vaisseau qui était en rade, pour y prendre le repas de midi.
Un peu de brise marine soufflerait sur le pont du navire et, de toute façon, on y respirerait mieux qu'à terre.
Séverine et Honorine iraient se restaurer, accompagnées de Kouassi-Bâ, en quelque lieu gourmand de la ville qu'elles paraissaient déjà bien connaître.
Il tenait à être seul avec elle et qu'elle se reposât loin des préoccupations urbaines. Rien n'était meilleur pour envisager l'avenir et l'inconnu que de prendre un peu de distance.
Cette diversion vint à point pour redonner force et courage à Angélique.
Sur le pont de L'arc-en-ciel, protégés du soleil qui rayonnait comme de l'acier chauffé à blanc par une grande toile tendue à l'avant du deuxième pont, ils furent servis par M. Tissot, leur maître d'hôtel qui, lorsqu'on faisait escale, se préoccupait surtout de faire monter à bord les vivres frais et les marchandises dont on pouvait se pourvoir en ces lieux : vin, rhum, café, thé et, bien entendu ici à Salem, des caques de morue séchée en quantité impressionnante. La réputation de qualité des produits que fournissait la plus ancienne des sécheries de la côte, établie par les premiers immigrants, n'était plus à faire. Mais le maître d'hôtel se gardait d'en servir à Mme de Peyrac, comprenant qu'elle n'apprécierait pas aujourd'hui ce mets rustique dont l'abondance dans les parages, génératrice de grosse fortune, l'avait fait surnommer « l'or vert ». Encore aurait-il pu plaider qu'on pouvait en élaborer de délicates préparations culinaires.
Malgré l'imprévu de leur visite, il ne fut pas pris au dépourvu. Il présenta des légumes frais et fondants, des salades, des viandes retournées sur la braise.
Et, veillant à tout, il avait, en réserve, quantité de boissons fraîches, préservées dans de la glace, et des sorbets de fruits.
Angélique comprit qu'elle était partie le matin à ce malencontreux conseil l'estomac trop légèrement garni, le bol de bouillie d'avoine, nommé porridge, que les servantes de Mrs Cranmer lui avaient présenté ne l'ayant guère inspirée, bien qu'elles l'aient encouragée à y ajouter de la crème et de la mélasse.
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