Argent et or et... dentiers


Poudre à canon


Corsets


Couleurs pour tissus


Bas


Bas de Paris


Gants de filoselle de Paris


Tabac du Brésil de St-Christophe, de Virginie, de la Barbade


Manteaux de Paris de couleur et sans couleur


Biberons de bébé


Épices


Cuivres, balances de ménage et de commerce


Velours


Tapis d'Écosse, de Chine, de Perse et de Venise


Carrelages, verre à vitres


Aiguilles, lunettes, longues-vues


Hameçons, articles de ménage


Ceintures, cols, gants


Amidon, cire


Tapisseries


Serges


Sucre


Services de table français


Draps et laines


Couteaux


Serrures


Jus de citron en dame-jeanne


Oignons


Papier-parchemin


Olives


Cuirs


Ciseaux


Savon


Outils aratoires et divers


Bracelets, boutons, fils


Brosses, canevas, bagues


Râpes


Voitures à chevaux, carrosses, selles


Poudre d'émeri


Vinaigre

Le colporteur avait coché le secteur des tabacs où il pensait que devraient figurer leur gros tabac noir du Connecticut, très apprécié des marins et des Indiens, et aussi le ridicule manque d'oignons, ce qui ne l'étonnait pas de ces terres pauvres du Massachusetts, tandis que les riches terres des rives du beau fleuve Connecticut, du nom indien quinnehatukqut qui signifie « le long estuaire », pouvaient en produire en abondance et d'excellents.

– Nous avions tout cela à La Rochelle, dit la jeune Séverine, avec humeur. Il n'y a pas de quoi s'ébaudir.

Les derniers incidents de Salem semblaient avoir influé sur son caractère, et c'est en partie parce qu'elle se montrait tour à tour distraite et chagrine que l'on avait choisi pour Honorine des « anges gardiens », car l'enfant risquait d'être délaissée avec tout ce mouvement qu'il y avait autour des jumeaux, ce qui n'était pas sans danger à bord d'un navire.

Honorine était déjà tombée à la mer, lors de la première traversée.

Joffrey de Peyrac lui présenta trois personnages à choisir selon son goût, et Angélique souriait en voyant comment il avait su, connaissant la jeune personne, la mettre dans l'obligation d'accepter d'être surveillée sans que cela lui fût une contrainte insupportable et qu'elle aurait écartée si on la lui avait imposée.

Il y avait un mousse choisi parmi les plus malingres, un homme à cheveux gris qui, à la suite d'une blessure au pied, était condamné à quelques jours d'inaction, ce qui ne l'empêchait pas de marcher, mais en boitant, et un Maltais de belle allure avec lequel Honorine était très amie et qui lui avait déjà décrit plusieurs fois, entre autres histoires, la maison de Ruth et Nômie qu'il avait eu l'heur d'apercevoir lorsqu'il s'y était rendu, escortant le comte de Peyrac.

Il roulait des yeux pleins de promesses de merveilles et décrivait la cabane avec une verve quasi orientale. Il disait que cette cabane, apparue au fond d'une clairière, derrière un cercle de pierres blanches, toute parée de fleurs qui escaladaient son toit de chaume et miroitante de cabochons de verre de couleur incrustés dans le bois des poutres, lui avait rappelé la façon dont, au fond des mers, la pieuvre qui est un animal éclectique et fantaisiste, pare l'entrée de son habitat, accumulant autour morceaux de verre, de jarres, coquillages, corail, et tout ce qu'elle peut récolter de brillant à sa portée.

Honorine l'aurait écouté pendant des heures, mais son cœur tendre ne pouvait écarter le mousse, car elle savait que les mousses ont la vie dure sur les navires, et elle s'en serait voulu d'avoir l'air de dédaigner l'homme aux cheveux gris parce qu'il était blessé, d'autant plus qu'il savait très habilement tailler de son couteau toutes sortes de jouets et de figurines dans le bois.

Il fut décidé que les « quarts » de surveillance se succéderaient, et avec ses trois amis, Honorine ne manquerait pas de distractions, ce qui lui laisserait moins de loisirs pour réfléchir, réflexions qui débouchaient souvent sur des initiatives aussi imprévues qu'extraordinaires.

Chapitre 15

Lorsqu'elle le voyait arriver sur le pont de son pas balancé et assuré – le pas du Rescator – avec son regard sondant chaque point de l'horizon, ce qui ne l'empêchait pas de prêter l'oreille aux propos de lord Cranmer qui l'accompagnait, Angélique sentait son cœur tressaillir de joie, se gonfler d'une chaude et tendre admiration, d'un sentiment de plénitude. Elle s'y abandonnait avec l'intime satisfaction de se dire que, dans l'espace limité d'un navire, il ne pouvait pas lui échapper facilement et que, si elle le voyait disparaître au tournant d'une galerie ou d'un bord à l'autre, il reparaîtrait peu après.

Là encore, pour une amoureuse, résidaient les avantages et les délices de la traversée.

Elle l'avait tout à elle.

Et chaque fois, le temps et la quiétude leur étant donnés, elle découvrait en lui un détail nouveau qui le lui rendait proche, une attitude, un mot, un comportement qui jetaient comme une lueur nouvelle sur les richesses de ce caractère à découvrir sans fin.

Ce qu'elle ramenait aussi de ce voyage de l'été, c'était d'avoir été plus loin dans la connaissance de l'homme qu'elle aimait. Jusqu'alors, son jugement lui paraissait simpliste. Peut-être par crainte, peut-être parce que sollicitée par le combat, bloquée devant une porte close où s'abritaient leurs cœurs, elle ne voyait pas au delà de cette présence :

« Lui ! Qu'il m'aime ! Que je ne le perde plus, que je ne perde pas son amour ! »

Le voyage sur L'arc-en-ciel symbolique lui permettrait de mesurer les lignes et les espaces franchis.

L'extrême popularité de Joffrey de Peyrac en ces régions étrangères lui était apparue ; il était connu, attendu partout.

Il avait instauré de nombreux ports d'attache, lancé en toute direction des activités diverses. Amis sûrs, associés, armateurs ou commerçants, flibustiers ou doctes fondateurs de cités, partout elle aurait vu venir des hommes avec lesquels il avait su lier, par quelque intérêt d'affaires ou affinité d'esprit, de solides et fructueux rapports.

Comme le Rescator de la Méditerranée qui, des chevaliers de Malte aux petits trafiquants du Pinio, des corsaires de Candie au grand vizir de la Sublime Porte, aux pachas d'Alger, au sultan de Marocco, aux contrebandiers des îles espagnoles ou des côtes de Provence, dénombrait ses amis et ses ennemis, et savait les uns se les attacher, les autres les tenir en respect, de même en cet océan Atlantique qui allait devenir la nouvelle mer du monde, il était en passe de s'assurer une place prépondérante.

Elle s'en ébaudissait, enchantée de voir, à chaque escale, des groupes solennels ou enthousiastes venir les accueillir.

Et elle ne pensait pas se tromper en imaginant que jusqu'au cœur des Caraïbes où il avait œuvré et refait sa fortune, à repêcher avec ses équipes de plongeurs maltais l'or des galions espagnols coulés, son renom était aussi répandu, d'îles en archipels, qu'une traînée de poudre, et aussi estimé. Elle ne serait pas plus étonnée d'apprendre qu'il l'était à travers toutes les possessions espagnoles ou portugaises, et jusqu'au Pérou, par les chemins dangereux de l'isthme de Panama, où trottaient les convois de mules des contrebandiers, portant l'or du Pérou où ils partageaient le secret des mines incas, au sommet de montagnes si hautes que leurs pics touchaient le ciel.

Elle qui s'était plu, au « temps du chocolat », à tenir entre ses mains les rênes de divers commerces qui amenaient dans son officine l'écho prestigieux de pays lointains, elle pouvait mesurer ce que cela représentait de la part de son mari, le comte de Peyrac, de génie d'organisation, de flair, d'entregent, d'ingénieuse diplomatie, de science et de compétence, de hardiesse et de maîtrise, d'imagination et d'extrapolation autant que de calculs, de foi en l'homme et de méfiance mesurée.

La force de Joffrey, c'était de se choisir des aides au dévouement sûr. Tous ceux qui se groupaient sous son commandement, ou qui acceptaient de le représenter en divers points du monde, offraient une caractéristique commune : ils s'estimaient à leur place, ayant trouvé à le servir la forme d'indépendance de leur propre vie. Assez intéressés dans ses entreprises pour savoir que leurs activités à son service ne seraient pas vaines et ne les laisseraient pas démunis, assez libres pour mener leurs affaires sans entrave, sachant qu'avec le choix, ils n'auraient pu souhaiter meilleur destin, meilleur but, que ceux qui leur étaient donnés de vivre et de poursuivre pour un temps plus ou moins long, selon le contrat renouvelable chez M. de Peyrac.

Porgani, à Wapassou, Colin à Gouldsboro, Urville, Barrsempuy, Erikson sur les navires, etc., il les considérait tous comme des gentilshommes d'aventures et ne leur promettait rien d'autre que le sort qui s'attache à l'embrassement d'une forme d'existence dont le titre définissait les charges : soit un temps riche d'exploits, de dangers, de travaux et de trafics, d'où ils pourraient se retirer nantis d'un substantiel pécule, voire, si leur habileté et leur ténacité le méritaient, d'une fortune enviable, soit, selon les risques du métier, la mort qui ne cesserait de les guetter comme tout être humain, mais avec une plus quotidienne imminence, vu les chemins dans lesquels ils se trouveraient contraints de s'engager sous sa bannière.