– Voudriez-vous, en ce cas, expliquer la phrase surprise par Mr. Sutton ? C’était... Il prit un papier posé devant lui et lut : « Si tu veux que je t’aide, il faut d’abord que je sois libre. Aide-moi d’abord, toi le premier... »
– Il n’y a rien à expliquer. Mr. Sutton a inventé ces mots comme il a inventé mes relations adultères avec Ladislas.
– Tout est faux ?
– Tout. Gomment aurais-je pu m’abandonner à un homme qui faisait peser sur moi une terrible menace, qui m’a obligée à lui remettre une partie de mes bijoux et qui, même, m’avait menacée de mort s’il lui arrivait quelque chose de fâcheux pendant ou après son séjour chez nous ? Il parlait de ses compagnons cachés, de leur impitoyable détermination. Il me faisait peur, voilà tout. Ladislas ne se serait pas risqué à cela. J’étais très surveillée et mon époux l’aurait tué sans hésitation. Mr. Sutton a tout inventé et je comprends maintenant pourquoi. Apprendre qu’il est mon beau-fils ne me cause aucune joie, mais à travers ce que nous avons entendu hier, bien des choses concernant la mort de mon mari pourraient s’expliquer, à commencer par la disparition du sachet ayant prétendument contenu de la strychnine...
Le juge, à cet instant, intervint :
– Puis-je vous rappeler, lady Ferrals, que Mr. Sutton a déposé sous la foi du serment ? Tout comme vous-même ?
– Il est évident que l’un des deux ment, se hâta de répondre sir Desmond. Et je sais bien qui. C’est à moi que va revenir l’honneur de confondre celui dont la douleur excessive m’est apparue comme suspecte depuis le début de cette affaire...
– Je proteste, mylord ! s’écria l’avocat de la Couronne. Mon distingué confrère n’a pas le droit...
– J’allais l’en informer moi-même, sir John ! Les dernières paroles de sir Desmond ne seront pas inscrites au rôle et le jury n’a pas à en tenir compte ! Revenons à vous, lady Ferrals ! Vous maintenez que, depuis son arrivée à Grosvenor Square, vous n’avez jamais entretenu de relations... intimes avec Ladislas Wosinski ?
– Jamais, mylord ! Je le répète, il ne restait rien de nos amours passées et c’est seulement par crainte que j’ai accepté de le faire entrer au service de mon mari.
– Bien. Reprenez, sir Desmond !
– Merci, mylord ! Lady Ferrals, si vous nous parliez de ce que Wosinski espérait obtenir en se glissant sous l’habit d’un valet ? Je pense qu’il a dû vous en informer.
– En effet. Il voulait de l’argent mais surtout des armes. Il est bien évident que je ne pouvais lui en fournir, mais il espérait parvenir à surprendre certains renseignements concernant les fournisseurs de mon époux et peut-être certaines filières. Pardonnez-moi, je ne suis guère au courant de ce genre d’affaires... ni d’aucune autre d’ailleurs. Aussi, j’ai espéré obtenir qu’il s’éloigne en lui offrant quelques-uns de mes bijoux. J’en possédais beaucoup, mon époux s’étant toujours montré généreux envers moi...
– Nous voulons bien le croire mais en agissant ainsi, ne preniez-vous pas un risque sérieux ? Gomment auriez-vous expliqué à sir Eric la disparition de ces pièces représentant certainement une grande valeur ?
– Je vous avoue que je n’y songeais pas. J’avais tellement peur ! Ladislas me terrifiait...
– Et Sutton ? Vous n’en aviez pas peur ?
– Non. Je savais le remettre à sa place. Je ne perdais pas l’espoir de m’en débarrasser un jour, puisque j’ignorais qui il était.
– Et si vous l’aviez su, qu’auriez-vous fait ? Les yeux d’Anielka s’emplirent de larmes et elle tordit entre ses mains le mouchoir qu’elle venait de prendre dans sa manche.
– Je n’en ai aucune idée... Peut-être me serais-je enfuie. L’idée m’en était déjà venue. Mon père et mon frère se trouvaient en Amérique. Lorsque mon époux est mort, je songeais à demander la permission de les rejoindre à l’occasion du mariage de mon frère. J’étouffais dans notre maison entre les menaces de Ladislas, les entreprises sournoises de John Sutton et... il faut bien le dire... les exigences incessantes d’un mari qui à certains moments semblait devenir fou.
– Il vous aimait trop ?
– On peut le dire ainsi.
– Aviez-vous fait part à quelqu’un de ce désir d’évasion ?
– Non. Pas même à Wanda qui m’est cependant dévouée. Pourtant, au soir du drame, j’étais décidée à lui en parler à notre retour du Trocadero. J’avais subi un moment auparavant une scène pénible... sur laquelle Mr. Sutton s’est appuyé pour étayer son accusation.
– En effet. Il vous aurait entendu dire : « Il faudra que cela finisse. Je ne vous supporte plus ! ... »
– Je ne vois pas comment il aurait pu m’entendre à moins d’être caché sous mon lit ou derrière les rideaux. Cette scène a eu lieu toutes portes closes et ma chambre est vaste. En outre, je n’ai jamais prononcé cette phrase...
– Sir Desmond, intervint le juge, ne pensez-vous pas qu’il serait bon d’entendre à nouveau Mr. Sutton ? Il semble que nous nous engagions dans un chemin de plus en plus obscur tant il est difficile de trancher entre lady Ferrals et son accusateur.
– Je ne demande pas mieux, mylord. Encore que je voie mal ce que nous pourrions obtenir en fait d’éclaircissement...
– Si sir John est d’accord, je pencherais volontiers... allons, que se passe-t-il encore ?
L’un des shérifs d’Old Bailey venait d’entrer avec une évidente agitation. Il se dirigeait vers l’avocat de la Couronne mais, s’entendant interpeller, il s’immobilisa au milieu de la salle.
– Avec votre permission, mylord, le chef superintendant Warren demande à être entendu par la Cour. Sur-le-champ !
Le juge réussit l’exploit de hausser un sourcil plus haut que l’autre.
– Sur-le-champ ? Peste ! Il doit y avoir urgence... Priez donc le chef superintendant de venir jusqu’ici !
Warren, plus ptérodactyle que jamais avec sa mine des mauvais jours, fit une entrée quasi sensationnelle qui mit debout la moitié de la salle et la totalité des galeries. Il commença par prier la Cour de bien vouloir excuser une intrusion aussi peu protocolaire, mais l’information qu’il apportait lui semblait de nature à ne souffrir aucun délai.
– La police de Whitechapel vient de nous avertir qu’alertée par un coup de téléphone anonyme, elle a découvert le corps de Ladislas Wosinski qui s’est donné la mort par pendaison.
La rumeur soudaine du public fut dominée par un cri de femme :
– Non ! Oh non ! Ce n’est pas possible !
On dut emporter Sally Penkowski, prise d’une véritable crise de nerfs, ce qui ajouta à l’émotion générale. Sur le rappel à l’ordre énergique du juge, un profond silence s’ensuivit. Dans le box des témoins, Anielka, plus pâle que jamais, ressemblait à une statue de cire. Chacun retenait son souffle. Ce fut sir Edward Collins qui reprit l’initiative :
– Un suicide ?
– Il semble bien, mylord. On a trouvé cette lettre sur la table de la chambre. Elle est adressée à Scotland Yard.
– Puis-je en prendre connaissance ?
Le juge chaussa ses lunettes et parcourut le message au milieu d’un nouveau silence. Il déclara :
– Mesdames et messieurs du jury, je vais vous donner connaissance de cette lettre qui apporte à ce procès un élément d’une grande importance. Écoutez plutôt : elle est rédigée en anglais.
« Avant de quitter ce monde où j’ai failli à tous mes devoirs envers celle que j’aime comme envers mes frères d’armes, je tiens à déclarer que la mort de sir Eric Ferrals, survenue au soir du 15 septembre dernier, n’est imputable qu’à moi seul. C’est moi qui ai versé la strychnine dans le récipient où se forme la glace dans l’armoire frigorifique dont j’ai pu, sans difficulté, faire exécuter une clef d’après un moulage à la cire. Pris à mon propre piège, je me suis aperçu que je ne supportais plus de voir souffrir lady Ferrals du fait de son époux et du fait de mes insistances personnelles. Je ne regrette pas d’avoir tué sir Éric – l’homme ne méritait pas de vivre – et pas davantage de quitter une vie qui ne me fut guère favorable. J’emporte au moins la certitude de mettre un terme au cauchemar que vit ma bien-aimée. Que Dieu et elle veuillent bien me pardonner ! »
Sa lecture achevée, le juge agita un instant la lettre en s’adressant à Warren :
– Auriez-vous une raison de croire que cette lettre ne soit pas de la main du défunt ?
– Aucune, mylord ! Nous avons trouvé quelques papiers écrits en polonais et que nous faisons traduire en ce moment. Ils sont bien de la même main...
– Rien non plus permettant de croire que l’on ait pu... aider cet homme à se suicider ?
– Le corps ne porte aucune trace de violence.
– Dans ce cas...
– Eh bien ! murmura Vidal-Pellicorne, voilà de la belle littérature ! Qu’en penses-tu ?
– Rien ! Je suis désorienté : cela ressemble assez peu à l’homme que j’ai rencontré l’autre soir. Qu’a-t-il pu se passer pour amener une si tragique volte-face ?
– On pourrait dire que les voies de Dieu sont impénétrables. Le comte Solmanski va sûrement attribuer ce miracle à ses prières. Il doit être en ce moment en pleine action de grâce !
– Il n’en a pas l’air, dit Morosini. Tu peux le voir d’ici : il est au quatrième rang sur notre gauche.
– Il est là ? Je ne l’ai pas vu arriver.
– Moi si. C’était pendant l’espèce de confusion qui a précédé l’arrivée de Warren...
Le comte se tenait très droit sur son banc, ses yeux trop pâles fixés sur sa fille qui pleurait sans retenue. Sur l’ordre du juge, l’une des gardiennes vint la chercher et la ramena dans son box où sa collègue et elle-même s’efforcèrent de la réconforter.
La fin de l’audience fut ce qu’elle devait être. Sir Desmond demanda que l’accusation abandonne la cause. A quoi sir John Dixon consentit avec grâce après consultation du jury dont le chef se rangea à l’avis général.
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