– Vous étiez là depuis longtemps ?

– Non. Depuis deux jours. Comme vous le voyez, j’ai peu de bagages, ajouta l’ex-Mina en désignant la valise plate et la mallette en crocodile que l’employé du Danieli venait de sortir du bateau.

– Et vous repartez déjà ? Vous rentrez à Zurich ?

– Oh non ! Je vais à Vienne, passer Noël chez ma grand-mère... et je crois qu’il faut me presser si je ne veux pas être obligée de prendre le train au vol, ajouta-t-elle en consultant sa montre.

– Je vous accompagne ! décida Aldo en s’emparant des bagages, mais elle s’y opposa.

– Jamais de la vie ! C’est très gentil à vous, prince, mais vous devriez vous soucier davantage de vos compagnons... et ne pas trop user la patience de celles qui vous attendent in casa Morosini ! J’espère que vous passerez de bonnes fêtes et que l’année 1923 sera moins agitée que celle-ci !

Elle offrait une petite main gantée qu’il prit et garda dans la sienne.

– Est-ce que... Venise vous reverra ? demanda-t-il d’une voix qui lui parut tout à coup enrouée.

– Je ne sais pas... oh, sans doute ! On ne renonce pas si facilement à ses anciennes amours... Voulez-vous s’il vous plaît me rendre ma main ? Je peux difficilement partir sans elle, fit-elle avec un sourire qui corrigeait un peu la fermeté du ton.

Il fallut bien la lâcher.

– Au revoir... dit-elle en prenant sa trousse de voyage tandis qu’un porteur s’emparait de la valise. Puis, virant sur ses talons, elle se dirigea vers la gare. Aldo, alors, ne put s’empêcher de l’appeler :

– Lisa !

Elle s’arrêta, se retourna et agita sa main libre.

– Je n’ai plus le temps ! Joyeux Noël !

Un instant plus tard, elle avait disparu. Aldo restait figé sur place, l’esprit un peu vague. La voix traînante d’Adalbert le ramena sur terre.

– Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

– Tu n’as pas entendu ? Elle a dit « Joyeux Noël ! ».

– C’est un vœu aimable ! Il faut essayer de l’exaucer...

Pour sa part, Aldo, sans trop savoir pourquoi, en doutait un peu. Il se laissa cependant ramener vers la gondole...


Saint-Mandé, mars 1995.


Prochain épisode : L’OPALE DE SISSI.




[i] Le keep correspond au donjon français

[ii] Fleet Street est, à Londres, la rue où se trouvent tous les grands journaux.

[iii] Le nom Nouvelle Cour d'Ecosse vient d'un palais appartenant jadis aux rois d'Ecosse sur l'emplacement duquel la police s'est installée.

[iv] Ami du roi Edouard VII, William-Waldorf Astor, installé définitivement en Angleterre, avait été anobli par lui en 1916. Il a été la tige de la branche anglaise et le premier vicomte Astor of Hever. Il avait en effet acheté ce château qui vit naître Ann Boleyn. L'époux de Nancy Langhorne Shaw, qui fut en effet la première femme député, était le fils de cet Astor-là.

[v] Jusqu'à ce qu'il devienne le roi George VI, le duc d'York s'est appelé Albert de même que le prince de Galles, futur et temporaire Edouard VIII, s'appelait David.

[vi] Ce fut lady Airlie qui l'emporta : le 26 avril 1923, lady Elizabeth devenait duchesse d'York en épousant le futur George VI. Elle était la mère d’Elizabeth II, autrement dit reine-mère d'Angleterre.