– Peuh ! ... Des incapables ! En ce genre d’affaires, l’enquête devrait être confiée à des femmes. Les bijoux, nous avons un sens particulier pour les dénicher. Nous les... comment dire ? Nous les sentons. Oui, c’est ça, nous les sentons.

– Comme les cochons sentent les truffes ? marmotta Vidal-Pellicorne trop bas pour être entendu.

D’ailleurs, Ava se lançait dans un grand discours sur les étonnantes capacités féminines sans lesquelles ces malheureux hommes ne seraient rien.

– Regardez ma fille ! Elle est toujours en Egypte et je suis certaine que si ce Carter a découvert la tombe de Tou... enfin de ce pharaon, c’est parce qu’Alice était auprès de lui. Le fluide, vous comprenez ?

Seigneur ! pensa Aldo. Si elle le lance sur l’égyptologie, Adal va l’inviter à déjeuner !

Il fut vite rassuré. Tout au contraire, l’archéologue félicita l’heureuse mère de ce jeune génie mais la pria de bien vouloir les excuser : ils étaient attendus pour le lunch.

– Aucune importance ! Nous nous reverrons plus tard ! Mon intention est d’assister au procès jusqu’au bout. Je n’ai encore jamais entendu prononcer une sentence de mort. Ça doit être très excitant...

– Quelle femme impossible ! gronda Morosini lorsqu’ils se furent un peu éloignés. Cette affaire est déjà suffisamment pénible sans qu’il faille encore supporter ces hyènes de salon qui flairent la mort !

– Elle et ses pareilles seront déçues, il faut l’espérer.

– Mais tu n’y crois guère ? Je suis un peu comme toi : les choses ne tournent pas à mon idée...

– C’était seulement la première audience. Rien n’est encore joué.

Pourtant, à mesure que passait le temps, l’espoir alla s’amenuisant. Plusieurs domestiques furent appelés à la barre. Aucun ne chargea Anielka mais à travers leurs témoignages l’atmosphère de mésentente entre les deux époux se faisait plus présente, plus étouffante, en dépit des efforts de sir Desmond qui déployait une extraordinaire énergie. Ce fut pis encore lorsque Sally Penkowski, l’amie d’enfance de Bertram Cootes, fut appelée à témoigner. Aldo comprit alors que les nouvelles charges recueillies contre lady Ferrals, c’était elle qui les apportait.

Ce que Sally avait à dire tenait en peu de mots : une semaine environ avant la mort de sir Eric, elle avait surpris sa maîtresse dans le cabinet de travail. Celle-ci avait ouvert le faux panneau de bibliothèque et se penchait sur la porte de l’armoire frigorifique.

– Était-elle en train de l’ouvrir... ou d’essayer de l’ouvrir ? demanda sir John Dixon.

– C’est ce qu’il m’a semblé mais, quand elle s’est aperçue de ma présence, elle s’est redressée, a refermé le panneau avec un haussement d’épaules et s’est retirée.

– Semblait-elle gênée ?

– Pas vraiment. Elle avait même un petit sourire.

– Miséricorde ! gémit Aldo. Qu’est-ce qu’elle faisait là ?

Sir Desmond, en prenant possession du témoin, se chargea de la réponse.

– Je ne vois pas pourquoi on attache tant d’importance à ce témoignage. Lady Ferrals était chez elle dans toutes les pièces de cette maison et il n’y a rien d’extraordinaire à ce qu’elle ait eu la curiosité d’essayer d’ouvrir ce qui était le jouet préféré de son époux. Sa présence dans le bureau n’a donc rien de surprenant. En revanche, c’est la vôtre, Sally Penkowski, que je trouve curieuse. Vous êtes l’une des femmes de chambre de Grosvenor Square. Comme ce titre l’indique, vous vous occupez des chambres et plus particulièrement du service de lady Ferrals. J’aimerais savoir ce que vous veniez faire dans le cabinet de sir Eric. C’est le département des valets.

Sous la cloche de feutre marron enfoncée jusqu’à ses yeux bleus, Sally – une assez jolie fille d’ailleurs ! – devint très rouge. Elle tordait ses gants entre ses mains, hésitant à répondre.

– Eh bien ? insista l’avocat. Dois-je en conclure que vous espionniez votre maîtresse et, en ce cas, il va falloir nous expliquer pourquoi. Si je m’en tiens au début de votre déposition, elle s’est toujours montrée gentille avec vous ?

– C’est vrai. Et je... je ne l’espionnais pas, je le jure !

– Vous avez déjà juré une fois. Alors que faisiez-vous ?

– Je... je cherchais Stanislas...

– Celui, tout au moins, que vous connaissiez sous ce nom ? Pourquoi ?

Nouvelle hésitation de Sally qui, finalement, se décida :

– Eh bien... j’avoue que j’avais beaucoup de sympathie pour lui... et même de l’amitié...

– Et même un peu plus ?

– Je... je ne sais pas mais il faut comprendre : c’est un Polonais, comme moi...

– Vous n’êtes pas polonaise. Votre mère était galloise.

– Chez nous ça ne comptait pas ! Seul, le père comptait qui nous avait appris à aimer la Pologne et à parler sa langue. Voyant arriver un compatriote, j’ai été heureuse de pouvoir parler avec lui. Oh, il ne faisait pas très attention à moi. J’ai bien vu qu’il était d’une condition supérieure au travail qu’on lui avait donné... Toujours est-il que je cherchais les occasions de le rencontrer...

– Si c’était pour parler polonais vous aviez aussi Wanda, la femme de chambre particulière de lady Ferrals ?

– Oh, ce n’était pas facile de causer avec elle. Miss Wanda n’aimait pas cela et se montrait plutôt sévère. Stanislas, ce n’était pas pareil...

– On s’en doute : c’était un homme et même un jeune homme. Devons-nous comprendre qu’en pénétrant chez sir Eric, ce jour-là, vous espériez le rencontrer ? C’est pour le moins bizarre.

– Pas du tout ! protesta Sally soudain vexée. Je remontais des cuisines où j’étais allée reporter le plateau de milady... et boire une tasse de thé quand j’ai vu la porte du bureau ouverte ; j’ai entendu du bruit...

– La contemplation d’une porte n’a rien de bruyant.

– Non... mais il m’avait semblé apercevoir la silhouette de Stanislas. Alors je suis entrée... Je n’ai rien de plus à dire !

– Il faudra bien nous en contenter. Je vous remercie.

La jeune Penkowski allait se retirer quand s’éleva la voix calme d’Anielka.

– Cette fille ment ! J’ignore dans quel but, mais elle ne m’a jamais rencontrée dans l’appartement de mon époux.

Le juge prit la parole :

– Vous infirmez cette déclaration ?

– Tout à fait. D’ailleurs l’invraisemblance de ce qu’elle vient de dire devrait être évidente.

– Comment cela ?

– Pour n’importe quelle maîtresse de maison tout au moins. Ainsi, alors que je me trouve dans la bibliothèque, je vois entrer cette fille et je me contente de sortir... comment a-t-elle dit ? ... avec un petit sourire ? En vérité cette histoire est risible : c’est elle qui aurait dû sortir après que je lui aurais demandé ce qu’elle cherchait là où elle n’avait que faire. Ainsi aurait agi n’importe quelle femme de mon rang en face d’une domestique...

Un murmure typiquement féminin mais approbateur parcourut la salle. Le juge le laissa mourir avant de prendre la parole :

– Que s’est-il passé alors ?

– Rien du tout, mylord, puisque ce n’est pas moi qu’elle a vue... mais bien celui qu’elle désirait rencontrer.

– Et qui n’est pas là pour trancher la question ! fit sir John.

– Ce n’est pas ma faute ! dit Anielka.

– En êtes-vous bien certaine ? Depuis votre arrestation, vous n’avez cessé d’assurer que vous croyiez à l’innocence de votre compatriote, même après une fuite cependant suspecte.

– Cet homme possédait de faux papiers. Il est normal qu’il ait eu peur d’un interrogatoire. De toute façon, il ne s’agit pas pour l’instant d’établir sa culpabilité ou la mienne, mais bien de savoir qui Sally Penkowski a vu dans le cabinet de travail. Et ce n’était pas moi !

Avec la permission du juge, la jeune camériste fut remise sur la sellette par sir Desmond, mais il fut impossible de l’amener à changer quoi que ce soit dans son témoignage.

– J’ai juré sur le livre saint, dit-elle, et je ne veux pas aller en enfer pour avoir menti ! Je n’ai dit que la vérité !

Ce fut la dernière audition. Après la sortie de Sally, sir Desmond ayant remarqué l’extrême pâleur de sa cliente, demanda que l’on veuille bien surseoir à la suite des débats. Le juge se rangea volontiers à son avis. On reprendrait le lendemain à dix heures. L’accusée quitta son box pour regagner sa prison tandis que la salle se vidait lentement.

Pensant que l’atmosphère paisible de leur demeure ferait tous les biens du monde à Aldo après cette rude journée, Adalbert voulut l’entraîner mais celui-ci résista.

– Un instant ! J’aimerais dire un mot au jeune Bertram...

– Qu’est-ce que tu espères ?

– Je voudrais qu’il me parle un peu de son amie Sally. C’est bien son amie d’enfance ?

– Oui, mais que veux-tu en tirer ?

– On verra bien !

Il ne fut pas très facile d’arraisonner Cootes qui se ruait hors du tribunal avec l’ardeur d’un voilier qui prend le vent mais, outre une poigne solide, Morosini détenait des arguments plutôt sensibilisants.

– Venez donc dîner avec nous, cher ami, dit-il au journaliste en refermant sur son bras des doigts d’acier. Ensuite, si je suis content de vous, vous pourriez l’être aussi de moi. A moins que la perspective d’une vingtaine de livres dans votre poche ne vous soit indifférente ?

– J’aimerais bien mais... j’ai un papier à téléphoner à mon journal... Vous comprenez, Peter Larke est malade et je le remplace. Une veine !

– Nous avons le téléphone... et de quoi écrire ! Sans compter un vénérable whisky !

– Bon, je vous suis ! « L’espérance d’une joie est presque égale à la joie qu’elle donne... » Richard II, acte... mais si vous me faites rater mon article j’en veux davantage !