– C’était plutôt risqué, non ?
– J’ai déjà fait ça plusieurs fois. Si j’avais raté mon coup j’aurais tiré dans les pneus mais c’était encore plus risqué : je ne sais pas combien ils sont dans cette maison et s’ils m’étaient tombés dessus on pouvait y passer l’un et l’autre.
– Moi je n’ai vu que ces deux-là ! Ouille ! Je suis rouillé comme une vieille ferraille... ajouta Aldo en éprouvant l’élasticité de ses bras et de ses jambes.
– Vous allez pouvoir marcher jusqu’à la ville ?
– Il faudra bien. Allons-y !
Soutenu par son sauveur, il entreprit de redescendre vers Eastbourne dont les luxueuses constructions blanches commençaient à se révéler dans le petit jour mais, en arrivant aux premières maisons, la tête d’Aldo lui tournait et il dut s’asseoir sur un muret.
– Vous n’auriez pas, par hasard, quelque chose d’un peu fort dans vos poches ?
– Non, hélas ! Et je le regrette. Même que c’est bien la première fois ! Mais je vais aller frapper à l’une de ces maisons pour obtenir de l’aide.
Il n’avait pas fini de parler que la porte d’un cottage s’ouvrait pour livrer passage à un policeman qui achevait d’ajuster son casque. Il eut vite repéré les deux hommes et les rejoignit.
– Puis-je vous aider, gentlemen ? Vous n’avez pas l’air bien.
– Votre aide sera la bienvenue, soupira Aldo après un bref coup d’œil d’avertissement à Théobald. Hier soir, je me promenais dans ces magnifiques falaises et il m’est arrivé un accident : je suis tombé dans une crevasse. Je m’y suis plus ou moins assommé et j’y suis resté jusqu’à ce que mon secrétaire, inquiet de ne pas me voir rentrer à l’hôtel, se mette à ma recherche et réussisse à me retrouver.
– Sûr que nos falaises sont belles mais c’était une grave imprudence de vous y aventurer, surtout le soir ! fit l’homme d’un ton important qui conforta Morosini dans sa conviction que mieux valait ne rien révéler de son aventure à ce policier local capable de le jeter en prison pour avoir pénétré sans permission dans une riche demeure. Il ajoutait d’ailleurs avec une pointe de soupçon : une drôle d’idée de se promener hier soir ! Faisait pas si beau. Et vous m’avez l’air étranger !
– Je le suis ! Prince Morosini, de Venise, pour vous servir ! Et je suis aussi un incurable romantique ! J’adore les terres du bout du monde au crépuscule. C’est excellent pour les peines de cœur...
Il était certain que le policeman comprendrait ce genre de langage. Effectivement, il embraya :
– Vous n’auriez pas eu dans l’idée de vous suicider ? !
– Dans ce cas, je ne me serais sûrement pas raté. Elles sont parfaites pour ça, vos falaises. Écoutez, sergent, tout ce que je voudrais c’est quelque chose de chaud ou quelque chose de fort, puis rentrer à l’hôtel me changer avant de regagner Londres.
– Bon. Écoutez, vous allez venir chez moi !
Mrs. Potter vous fera un bon thé pendant que j’irai vous chercher une voiture. Vous êtes à quel hôtel ?
– Le Terminus. J’ai pris le premier qui m’est tombé sous la main en sortant de la gare.
– Pour un prince vous auriez pu trouver mieux. Nous avons ici les meilleurs du pays, vous savez : le Cavendish, le Grand, le Burlington...
Pensant qu’il allait avoir droit à la liste de tous les hôtels ainsi qu’à une description détaillée des charmes d’Eastbourne, Aldo fit semblant de se trouver mal. Ce qui lui valut quelques claques avant d’être traîné entre ses deux compagnons jusqu’à la maisonnette du sergent Potter où une jeune femme qui ressemblait à une pomme d’api se fit un plaisir de réconforter un si bel homme possesseur d’une si belle voix et qui s’adressait à elle comme à une lady.
Cependant, et en dépit de son air un peu épais, son époux était peut-être moins bête et surtout plus curieux qu’il n’en avait l’air. Quand la voiture de police qu’il était allé chercher l’emmena vers le Terminus en compagnie de ses rescapés, il posa une nouvelle question traduisant que, dans son esprit, quelque chose n’était pas clair.
– Si j’ai bien compris, vous êtes venu juste pour faire un tour sur les falaises, avec un secrétaire, et maintenant vous repartez ?
– Je sais que ça peut paraître bizarre mais la promenade romantique faisait partie d’un tout. Voyez-vous, je suis étranger mais la vie anglaise me plaît et j’ai beaucoup entendu vanter le charme d’Eastbourne. J’ai voulu constater par moi-même. Il se peut, en effet, que je songe à acheter... ou à louer pour la prochaine saison estivale...
– Je comprends ! Mais vous aimeriez quel genre de maison ? Un cottage comme le mien ?
La voiture roulait sur Grand Parade. Une idée vint à Aldo qui fit un peu traîner sa réponse jusqu’à ce qu’il aperçoive une façade qu’il n’était pas près d’oublier.
– Le vôtre est charmant, dit-il enfin, mais il me faut quelque chose de plus vaste afin de pouvoir inviter des amis. Je compte recevoir beaucoup et je verrais bien... tenez ! Une maison comme celle-là ! Elle serait parfaite.
D’abord suffoqué, le sergent Potter éclata d’un bon gros rire :
– Ah ben en effet ! Vous n’êtes pas difficile, dites donc ? Seulement, celle-là, elle n’est ni à vendre ni à louer.
– Vous êtes sûr ? fit Morosini jouant les naïfs incrédules. Peut-être en y mettant le prix ?
– Vous pourriez offrir des millions, c’est impossible ! Sachez, sir, ajouta-t-il en prenant un air de tête superbe, que cette villa appartient à Sa Grâce la duchesse de Danvers...
– Hum, hum ! évidemment ! fit Aldo en se raclant la gorge pour cacher sa surprise. Dans ces conditions, il vaudra mieux que je cherche ailleurs.
Quelques heures plus tard, assis auprès du feu dans l’un des deux grands fauteuils de cuir noir de leur salon à Chelsea, Adalbert écoutait son ami affalé dans l’autre lui faire le récit de son étonnante odyssée sans songer un instant à dissimuler son étonnement.
– La maison de la duchesse servant d’asile à l’assassin supposé de Ferrals dont on sait qu’elle l’aimait beaucoup mais surtout qu’il l’aidait à conserver un train de vie normal pour son rang ? C’est une histoire de fous !
– J’ai retourné la question dans tous les sens pendant mon voyage de retour et j’en suis venu à penser que ce n’est peut-être pas insensé. Si j’ai bien compris les propos des deux hommes qui ont failli me tuer, Ladislas attendait un bateau pour s’embarquer à destination de la Pologne avec une livraison d’armes. Tu me suis ?
– Pas à pas. Il est certain qu’une aussi aristocratique demeure est une planque idéale pour un trafic clandestin, même si ça paraît un peu difficile à avaler.
– Ce n’est pas mon avis. Sir Eric vendait des armes au grand jour. Du moins en principe. C’était, si j’ose dire, la partie visible de l’iceberg mais je suis persuadé qu’une grande partie de ses affaires se traitait sous le manteau, que la duchesse l’y aidait – consciemment ou non d’ailleurs...
– Que veux-tu dire ?
– Qu’elle me paraît un peu trop sotte pour mener à bien des affaires aussi délicates. En revanche, quelque chose m’est revenu à la mémoire quand les deux hommes ont parlé d’un certain Simpson qu’il convenait de consulter au plus vite.
– Tu le connais ?
– Disons que je l’ai déjà vu : chez lady Danvers justement. C’est son maître d’hôtel...
Armé du plateau de café, Théobald, aussi frais que s’il avait passé une bonne nuit dans son lit au lieu de courir les falaises, fit son entrée et entendit la fin de la phrase.
– Si je peux me permettre, dit-il, et d’après ce que monsieur le prince a bien voulu m’apprendre dans le train, je serais tenté de penser que Sa Grâce n’est au courant de rien et qu’elle ignore tout de ce qui se passe chez elle...
– Ça ne te paraît pas un peu gros ? émit Vidal-Pellicorne en s’emparant de sa tasse fumante pour la promener sous son nez avec gourmandise. L’argent qu’elle recevait, elle devait bien savoir d’où il venait ?
– Jusqu’à présent, sans doute. Mais... pourquoi ce Simpson n’aurait-il pas jugé bon de poursuivre un commerce fort lucratif, maintenant que sir Eric Ferrals a disparu ? dit Théobald.
– Je serais un peu de l’avis de Théobald, reprit Morosini. Resterait à savoir à qui nos clandestins s’adressent pour se fournir.
– Ça, il n’y a guère que Sutton qui pourrait le dire. Et encore ! Tu penses bien que les rouages d’une affaire comme celle-là doivent être infiniment complexes et délicats... En tout cas, conclut Adalbert, une chose est certaine : il faut que tu ailles tout raconter à Warren !
– Je sais. J’y pense depuis ce matin mais je n’en ai pas le droit. J’ai promis à Anielka de ne pas prévenir la police.
– Ça, c’est la meilleure ! Et qu’est-ce que tu en aurais fait de ton Ladislas si tu avais réussi à l’extraire de la villa et à l’emmener avec toi ?
– Il dit qu’il n’est pour rien dans le meurtre.
– C’est peut-être vrai. Reste à savoir qui tu veux croire, lui ou elle, et surtout qui tu désires sauver. Anielka elle-même, à moins d’être devenue stupide, doit savoir que si tu réussissais à attraper ce garçon, il te faudrait bien le livrer.
– Oui, mais à condition que ce soit moi qui le prenne et pas une escouade de policiers.
– Afin qu’il n’ait pas l’air d’avoir été dénoncé par elle ? Subtile distinction ! grogna Adalbert. Seulement maintenant, avec l’entrée en scène de la duchesse, les choses vont trop loin ! Songe qu’en gardant le silence tu risques la complicité dans une affaire de trafic d’armes dont tu ne sais pas où elle pourra te mener. Quelques dizaines d’années à Pentonville ou à Dartmoor, ça te plairait ?
Aldo réfléchit un instant puis essaya de changer le sujet de la conversation afin de se donner encore un peu de temps.
– Au fait et toi ? Ton excursion à Whitechapel a-t-elle donné des résultats ?
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