Enlevés avec beaucoup de soin, le bac et le bol à glaçons furent déposés dans une cuvette que l’on enveloppa de deux ou trois serviettes, après quoi le tout fut emporté à destination du laboratoire de Scotland Yard.

Cela fait, l’assistant préféré de Warren déclara dans un large sourire qui découvrit ses dents de lapin et fit disparaître son menton qu’en ce qui le concernait il ne croyait pas à la présence d’un poison quelconque dans ce qu’il appelait l’ »armoire à glace », puisque sir Eric était le seul à pouvoir l’ouvrir.

– Je ne sais pas ce qu’en pensera le superintendant, conclut-il au moment de se retirer, mais je suis presque certain que ça l’amusera beaucoup.

Le côté amusant de la chose échappait à Morosini. Cependant il reprit un peu espoir quand, le lendemain, il reçut un coup de téléphone le convoquant au siège de la police métropolitaine en général et chez Warren en particulier. Il y courut.

– Curieuse idée que vous avez eue là, déclara celui-ci en lui serrant la main. Comment vous est-elle venue ?

– Elle ne me serait jamais venue si la duchesse de Danvers ne l’avait pas eue avant moi. Il est vrai qu’elle ne songeait pas au poison. Cette espèce de conspiration du silence n’en est pas moins incroyable. On aurait dû songer à parler de tout ce qui était entré dans ce fichu verre. Le plus fort c’est que je me suis demandé hier si votre Pointer ne me prenait pas pour un fou.

– Vous voulez quoi ? Des excuses ? aboya Warren. Il est certain qu’il y a eu négligence. Volontaire peut-être de la part des témoins...

– Permettez-moi de plaider pour lady Danvers. Elle n’a rien prémédité.

– Je ne crois pas que son intelligence lui permettrait de préméditer quoi que ce soit, mais pour en revenir à la négligence, elle est à peine excusable de la part de mes hommes. Je suis assez vexé de vous l’apprendre mais c’est vous qui avez raison : il y avait dans ce machin assez de strychnine pour tuer un cheval. Ou la maison entière si l’on s’était avisé de toucher à la sacro-sainte glace de sir Eric.

S’il n’avait écouté que son tempérament italien, Aldo eût volontiers crié de joie. Il y avait longtemps qu’il n’avait éprouvé une telle allégresse.

– C’est merveilleux ! s’écria-t-il. Vous allez pouvoir relâcher lady Ferrals ? Oh, je vous en prie, accordez-moi d’aller lui porter la bonne nouvelle !

– Je dois d’abord en informer l’avocat de la Couronne et sir Desmond, et je vous demande de vous calmer ! Il ne peut être question de la libérer ; les charges qui pèsent sur elle sont encore trop lourdes.

– Mais vous avez la preuve maintenant que ce n’est pas le fichu sachet d’antalgique qui a tué ?

– Sans doute, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne soit pas la meurtrière ou la complice. D’ailleurs, Mr. Sutton maintient son accusation en la fondant sur la conversation qu’il a surprise.

– Je croyais, fit Aldo amèrement, que d’après votre loi, chaque prévenu était réputé innocent jusqu’à ce que l’on prouve sa culpabilité ?

– Sans doute mais tant que l’on n’aura pas retrouvé le Polonais elle restera à Brixton. Je vous autorise bien volontiers à aller la voir. Tâchez d’obtenir qu’elle en dise un peu plus sur lui. Je suis persuadé, ajouta Warren plus doucement, que c’est lui l’assassin mais tant que nous ne lui aurons pas mis la main dessus...

– Écoutez, c’est injuste, inhumain ! J’ai appris qu’elle était malade, qu’elle supportait de plus en plus mal la prison... et elle n’a pas vingt ans ! Ne pouvez-vous obtenir sa libération sous caution ?

– Ce n’est pas de mon ressort. Voyez cela avec son avocat... et puis faites-lui une visite !

Mais quand Aldo se présenta à Brixton, il lui fut impossible de voir Anielka : elle était souffrante et on l’avait hospitalisée à l’infirmerie de la prison.

Il repartit la mort dans l’âme.


  Chapitre 7 Lisa


Aldo Morosini vécut les trois jours qui suivirent dans un marasme déprimant. Ayant fait tout ce qu’il pouvait pour aider Anielka, il aurait dû s’en remettre, comme le lui avait conseillé Simon Aronov, au talent de Scotland Yard, à la conscience des autorités judiciaires et même à Dieu, mais c’était impossible. Il avait peur pour la jeune femme et, à cette peur, il mesurait le pouvoir qu’elle possédait encore sur lui. Il ne croyait plus à l’amour qu’elle prétendait lui porter puisqu’elle était redevenue la maîtresse de Wosinski, mais il avait assez de hauteur d’âme pour s’estimer satisfait s’il pouvait lui rendre sa liberté. Son esprit, à lui, s’en trouverait allégé d’un grand poids, lui permettant ainsi de mieux seconder Vidal-Pellicorne dans leur tâche commune à la recherche de la Rose. Mais dans l’état actuel de l’affaire c’était impossible : Anielka le hantait et il en était d’autant plus malheureux.

Les deux entretiens qu’il eut avec sir Desmond n’arrangèrent   rien, lui procurant   seulement l’amère satisfaction de parler d’elle, encore que l’avocat se montrât soucieux de l’état d’esprit de sa cliente bien plus que de sa santé. Selon lui, elle se serait beaucoup mieux porté si elle avait mangé davantage.

– Elle ne fait pas la grève de la faim ? s’inquiéta Morosini.

– Pas tout à fait, mais c’est chez elle une attitude délibérée. Elle cherche à s’affaiblir pour avoir la paix. Tant qu’elle est à l’infirmerie, personne n’est autorisé à la visiter, sauf moi pour les besoins de sa défense. Je peux vous dire qu’elle se referme comme une huître au seul nom de Ladislas.

– Elle l’aime à ce point ?

– Je croirais plutôt qu’elle a peur. Sa gardienne a trouvé dans son lit un billet rédigé en polonais la menaçant de mort si elle parlait.

– Et le père ? Que fait-il ? Que dit-il ?

– Il ne décolère pas. C’est surtout à cause de lui, je crois, qu’elle a choisi d’être malade et de faire ainsi interdire les visites. Dès qu’il la voyait c’était pour la passer au gril. Il est persuadé qu’elle sait où se cache Wosinski et il la harcèle.

– Et vous ? Qu’en pensez-vous ?

– Que Solmanski n’a pas tort et qu’elle cache quelque chose.

C’était aussi l’avis d’Adalbert, avec cette nuance qu’il estimait inutile de tarabuster la jeune femme. On pouvait faire confiance à Scotland Yard et à Warren, bien déterminé à mettre la main sur le Polonais.

– S’il pouvait même s’emparer du groupe qui terrorise ta petite amie, ce n’en serait que mieux : elle pourrait au moins respirer ! Mais je te déconseille de te lancer dans cette chasse en solitaire.

L’archéologue avait fait amende honorable pour l’histoire de l’armoire frigorifique et, depuis, il considérait son ami avec un respect nouveau. Cela n’était pas pour déplaire à Morosini qui, relevant un nez arrogant et couvrant Adalbert d’un œil bleu étincelant, susurra :

– Tu n’aurais pas le cœur de m’abandonner ? J’ai toujours cru que nous étions plus ou moins associés.

– Dans l’affaire du diamant, mais moi je ne me suis jamais enrôlé dans le corps des chevaliers servants de la ravissante Anielka.

– Je veux bien admettre que je t’ai un peu laissé tomber ces jours-ci, mais, je ne sais pas pourquoi, il me semble que ces deux affaires sont liées. A propos, où en es-tu ?

– J’avance, j’avance ! Je crois que Simon a raison en prétendant que la Rose n’a jamais quitté l’Angleterre. Le duc de Saint Albans l’a bien héritée de sa mère mais ne l’a pas transmise à son descendant. Par une sorte de miracle dû à mon ami Barclay, l’archéologue, j’ai relevé sa piste au début du XIXe siècle. Elle aurait été offerte en toute innocence par le prince Régent à sa maîtresse favorite, Mrs. Fitzherbert. Après, c’est de nouveau le noir complet. Mais ce résultat m’a mis en appétit et je ne désespère pas de percer ce nouveau mystère. Curieux comme ce joyau royal semble avoir pris plaisir à élire domicile chez les « reines de la main gauche » ! Et à propos de domicile, que penserais-tu de déménager ? J’en ai un peu assez de la vie d’hôtel. Sans compter qu’étant donné nos activités plus ou moins... régulières nous aurions davantage les coudées franches.

La proposition n’enchanta pas Morosini. Outre qu’il avait toujours aimé l’atmosphère impeccable des hôtels de Cesar Ritz, il ne voyait pas de raison valable à un emménagement dans un domicile inconnu et peu à son goût, avec l’obligation de trouver du personnel et tous les petits inconvénients que cela présentait.

– Ce serait valable si nous devions rester des mois en Angleterre mais en ce qui me concerne, il faudra que je me résigne à regagner Venise. J’ai une maison de commerce à faire marcher. Quant à l’affaire du faux diamant, Warren en fait son affaire personnelle et c’est normal. Nous l’avons prévenu : à lui de protéger lord Desmond et de mettre la jolie Mary et Yuan Chang hors d’état de nuire. Après tout, nous cherchons le vrai diamant. Pas le faux.

– Tu n’as pas l’intention de partir avant le procès ? Tu seras peut-être témoin, tu sais ?

– Je n’ai pas envie de m’éloigner. A ton avis, on va juger dans combien de temps ?

– Peut-être pas avant janvier. Je me suis renseigné. Encore faut-il s’estimer satisfait : s’il s’agissait d’une pairesse d’Angleterre cela demanderait beaucoup plus de temps parce qu’il faudrait réunir le Parlement, mais pour l’épouse d’un simple baronnet, même célèbre, on va un peu plus vite. Quant aux recherches pour retrouver la Rose, j’ai peur qu’il n’y en ait pour un moment puisque le pétard préparé par Simon nous a explosé à la figure. Alors, moi, je cherche un logis, je fais venir mon fidèle Théobald flanqué au besoin de son jumeau et je serai comme un coq en pâte. Sans compter qu’à eux deux, ils représentent une force non négligeable en cas de problème.

Aldo retourna l’idée pendant quelques instants. Elle n’était pas si mauvaise puisqu’elle présentait l’avantage de diminuer leurs dépenses tout en protégeant davantage leur liberté.