– C’est entendu. Mais... avant que je m’en aille, ne me le montrerez-vous pas une fois encore ?
– Le diamant ?
– Il me semble que cela stimulerait mon courage !
– Pourquoi pas ? Il n’est jamais loin de moi. Dans le couloir, Aldo tourna la tête. Son regard rencontra celui de son ami. La même pensée venait de leur traverser l’esprit : pourquoi ne pas profiter de l’occasion ? Faire irruption dans la pièce, s’emparer de la pierre après avoir neutralisé le Chinois et sa visiteuse semblait incroyablement facile ! Et aurait l’avantage de mettre tout le monde d’accord.
Aldo sortait déjà son arme et allait poser la main sur la poignée de cuivre quand Adalbert le retint, fit non de la tête et indiqua qu’il était temps de s’éloigner. Des pas, en effet, se faisaient entendre et se rapprochaient. Ils repartirent discrètement en prenant soin de refermer derrière eux le gros vantail de bois. Un instant plus tard, ils retrouvaient Bertram, aplati au fond de la barque pour éviter d’être vu si d’aventure un bateau était passé près de lui. Il accueillit leur retour avec un énorme soupir de soulagement mais ne dit rien. On embarqua sans souffler mot puis, tirant vigoureusement sur les avirons pour lutter contre la marée descendante, on se hâta de mettre une assez large distance entre la barque et le Chrysanthème rouge. Toujours en silence, le journaliste grillait de curiosité.
– Vous en avez mis du temps ! lâcha-t-il enfin en se frottant les mains pour les réchauffer. Je commençais à m’inquiéter. Est-ce qu’au moins vous avez découvert quelque chose ?
– Disons que cette visite en valait la peine, dit Morosini. Nous avons pu surprendre une conversation entre Yuan Chang et un personnage inconnu qui nous a donné la certitude que le diamant est bien en possession du Chinois. Yuan Chang l’a même montré à son visiteur...
– ... et nous avons eu toutes les peines du monde à ne pas faire irruption chez le Chinois pour lui reprendre la pierre, compléta Vidal-Pellicorne.
– Seigneur ! Vous avez bien fait de vous retenir car vous n’auriez rien repris du tout et à cette heure vous seriez peut-être en train de barboter dans la Tamise. Si j’en crois ce qu’on murmure sur les maisons du Chinois, elles seraient munies de trappes qui lui permettent de se débarrasser de façon simple et commode des visiteurs indiscrets ou indésirables.
– N’exagérons rien ! grogna Morosini. Il doit bien y avoir une part de légende là-dedans.
– Avec les Asiatiques, les pires légendes sont souvent en dessous de la vérité, fit Bertram d’une voix mal assurée. Et j’en ai entendu pas mal sur Yuan Chang. C’est peut-être pour ça que j’ai si peur de lui et de ce qui l’entoure. Puis, changeant soudain de ton : Que comptez-vous faire maintenant ? Aller raconter ça au superintendant Warren ?
– On va y réfléchir.
– Vaudrait mieux, sans ça il va me tomber dessus si je fais seulement allusion à la chose dans mon journal.
– Vous ne faites allusion à rien du tout, mon bonhomme ! Tout au moins pour le moment, protesta Adalbert. Je croyais que nous étions d’accord. Vous vous tenez tranquille en vous contentant de nous donner un coup de main. En échange, vous aurez l’exclusivité de l’histoire. Ça ne vous va plus ?
– Si... oh si ! Seulement la patience n’est pas ma vertu dominante.
– C’est un grave défaut chez un journaliste ! La patience, mon cher, c’est l’art d’espérer. Ce n’est pas Shakespeare qui l’a écrit mais un Français nommé Vauvenargues. Ce n’en est pas plus mauvais pour autant et je vous conseille de le méditer.
Le coup de sirène d’un paquebot qui descendait le fleuve en l’illuminant de ses feux coupa court à la discussion pour privilégier la stabilité de l’esquif secoué par le puissant sillage. Aldo, quant à lui, se désintéressait du bavardage de ses compagnons. En bon Italien facilement tenté par la mise sur piédestal de toute jolie femme, il éprouvait quelque peine à se remettre de leur récente découverte. À savoir que lady Mary se trouvait à l’origine d’un crime affreux et que, sans doute, elle y avait participé. Une phrase entendue tout à l’heure l’obsédait surtout : « Après ce que j’ai fait je n’ai aucun intérêt à mettre Scotland Yard au courant de nos affaires... » Quel rôle avait-elle donc joué dans l’assassinat de Harrison, cette ravissante créature dont le visage d’ange couvrait une âme si noire ?
Soudain, la vérité lui apparut évidente, éclatante même ! Pourquoi pas celui de la vieille lady Buckingham dont il avait la certitude qu’elle n’avait pu se rendre dans le magasin d’Old Bond Street ? Évidemment, il y avait la voiture et la femme qui était censée la soutenir. Peut-être l’infirmière de la vieille dame, celle qui avait refusé à Warren l’accès de sa chambre en la proclamant trop choquée pour répondre à des questions. Fallait-il supposer que lady Mary s’était assuré sa complicité ? Cette version expliquerait tant de choses...
Tout à l’heure, Adalbert et lui-même débarrassés des oreilles curieuses du journaliste auraient tout le loisir de débattre la question qui s’imposait : mettre ou ne pas mettre la police au courant. La première solution serait la plus sage, et la meilleure manière de protéger lord Desmond dont la vie lui devenait chère puisque, dans l’état actuel des événements, son talent seul allait se dresser entre Anielka et la potence. D’autre part, s’il se trouvait pris dans le tourbillon d’un affreux scandale, l’avocat n’aurait peut-être plus le droit de défendre sa jeune cliente. Au fond, le mieux serait d’attendre encore un peu puisque l’attaque prévue contre les jades d’Exton Manor n’était pas pour tout de suite.
Seulement, il était écrit que ce soir-là le pouvoir de décision serait ôté à Aldo.
Au moment où leur bateau reprenait sa place au quai du Dock Sainte-Catherine, une silhouette trop reconnaissable se dressa en haut de l’escalier près duquel il s’amarrait.
– Alors, messieurs ? Bonne promenade ? La nuit est un peu fraîche mais il y a tellement d’étoiles que vous avez sans doute voulu les contempler ?
La voix goguenarde du ptérodactyle était lourde de menaces qui ne parvinrent pas, cependant, à venir à bout de l’inusable bonne humeur de Vidal-Pellicorne.
– Superbe ! C’est si rare d’en voir ici que nous n’avons pas pu résister. Vous, les Anglais, ne connaissez le soleil que par les écrits de vos anciens. Alors, les étoiles !
– Toujours la mauvaise foi des Français ! Et où êtes-vous allés, comme ça ?
– Ici et là ! Nous nous sommes laissé guider par notre fantaisie...
– Jusqu’aux rives enchantées de Limehouse ? Je vous comprends : c’est tellement exaltant pour l’esprit, ce coin pourri ! ... Mais trêve de plaisanterie, messieurs ! Je crois que nous allons avoir, vous et moi, une conversation à cœur ouvert des plus passionnantes ! Si vous voulez bien me suivre.
– Vous nous arrêtez ? protesta Morosini. Il n’y a aucune raison pour ça !
– Aucune en effet ! Je vous invite à venir boire un café ou un grog dans mon bureau du Yard. Vous devez avoir grand besoin de quelque chose de chaud...
– Peut-être, mais nous détestons l’idée de vous déranger.
– Du tout, du tout ! Je tiens beaucoup à bavarder avec vous deux, fit Warren en pointant un doigt autoritaire sur Aldo et son ami. Ne m’obligez pas à demander une escorte. Faisons les choses simplement.
– Je ne suis pas invité, moi ? émit Bertram partagé entre le soulagement et la vexation.
– Non. Vous pouvez filer mais pas trop loin ! Je vous convoquerai plus tard.
– Mais vous... vous n’allez pas les arrêter ?
Aldo crut que l’oiseau préhistorique allait s’envoler tant les ailes de son macfarlane battaient furieusement.
– Et si vous vous mêliez de ce qui vous regarde ? aboya-t-il, réalisant ainsi une assez jolie performance zoologique. Foutez-moi le camp ou je vous passe les menottes ! Et tâchez de venir quand on vous appellera !
Ainsi houspillé, Bertram Cootes se fondit dans la nuit avec la soudaineté d’un génie de conte oriental, laissant ses compagnons en conversation avec le grand chef. On quitta les lieux aussitôt.
Dans la journée les bureaux de Scotland Yard n’étaient pas accueillants, mais la nuit c’était franchement sinistre, les grands classeurs d’un brun presque noir et les lampes à abat-jour en opaline vert pomme ne contribuant guère à une atmosphère détendue. Les visiteurs forcés y reçurent l’accueil de deux chaises tandis que le superintendant rejoignait un fauteuil de cuir après avoir, comme promis, fait servir des grogs fumants par le policier de garde. Heureusement, l’odeur du rhum et du citron emplit la pièce.
– Bien ! soupira Warren après avoir absorbé la moitié de son verre. Qui de vous deux va parler ? Mais d’abord une question : Cootes a-t-il participé à votre discrète visite des entrailles du Chrysanthème rouge ?
– Non, fit Aldo qui venait de décider, après un coup d’œil échangé avec Adalbert, d’être aussi franc que possible. Il a une peur bleue des Chinois et nous l’avons laissé dans la barque pour faire le guet.
– Pourquoi l’avoir emmené alors ?
– Pour nous aider à nous repérer sur le fleuve ! Avant de poursuivre, j’aimerais savoir comment vous êtes si au courant de nos faits et gestes. Nous n’avons vu personne.
– Il n’y pas de mystère. À peu près persuadé que vous ne tiendriez aucun compte de ma mise en garde de l’autre jour, je vous ai fait suivre. Quand on vous a vus prendre un bateau aux Docks, votre destination était claire. Et maintenant, racontez-moi tout ! Si j’en juge par la mine soucieuse que vous arborez depuis que vous m’avez vu, il a dû se passer quelque chose que vous n’étiez guère disposé à me confier.
Comme il ne leur avait pas été possible de se concerter, Vidal-Pellicorne jugea utile de se porter à la rescousse.
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