À ce moment, la sonnette de la porte d’entrée se fit entendre et le valet parut presque aussitôt pour annoncer « deux messieurs qui désirent entretenir Monsieur de la part de M. le marquis de Varennes ».
— Il est libre ! Et même il ne perd pas de temps. Faites entrer, Arthur !
— Vous pensez que ce sont ses témoins ? demanda Antoine.
— Je ne vois pas ce que cela pourrait être d’autre. Je vais avoir l’honneur de me battre en duel avec un homme que je méprise.
— Laissez-moi votre place ! C’est à moi de la défendre.
— Je ne vois pas à quel titre ? En outre c’est moi qui ai boxé le marquis. Mais si vous voulez être mon témoin…
La tenue des deux visiteurs, tout de noir vêtus, effaça le dernier doute. Le vieux vicomte de Resson et le baron Graziani venaient en effet demander à Olivier Dherblay de faire à leur ami des excuses publiques ou bien d’accepter de le rencontrer, dès le lendemain matin, dans le jardin d’une propriété privée. Le marquis étant l’offensé choisissait l’épée.
— Je comprends, ironisa Antoine. Cela fait moins de bruit et la police a l’oreille sensible…
M. de Resson le toisa :
— J’ose espérer, monsieur, que vous savez à quoi vous oblige votre rôle de témoin et que vous n’aurez pas le mauvais goût d’alerter les argousins ?
— Je sais vivre, monsieur. Par contre, je me demande si je ne vais pas, moi aussi, vous envoyer un cartel car vous êtes tout simplement en train de m’insulter…
— Messieurs, messieurs ! coupa Dherblay. Ce que nous sommes en train de faire est déjà passablement ridicule. N’en rajoutons pas ! Je souscris à vos exigences et je compte demander à mon ami Sacha Magnan d’être mon autre témoin. Nous nous reverrons demain matin.
— À cinq heures dans le parc de la Folie-Saint-James à Neuilly. Soyez exacts !
Quand les émissaires se furent retirés, les deux hommes demeurèrent face à face. Presque machinalement, Antoine accepta le verre de vieux porto que lui offrait Dherblay mais sans le quitter des yeux.
— Pourquoi tenez-vous tant à risquer votre vie pour Mélanie ? demanda-t-il après un court silence. Vous l’aimez ?
Olivier se mit à rire :
— Je comprends mal votre question. J’ai frappé un homme qui insultait une femme ; il me demande réparation par les armes et je lui accorde cette réparation. C’est aussi simple que cela. Quant à ce que je pense de Mlle Desprez-Martel, nous ne nous connaissons pas assez pour que je vous le confie… mais je ne demande pas mieux que de développer nos relations puisque vous avez accepté si simplement de m’assister. Voulez-vous souper avec moi ? Nous causerons…
Antoine accepta.
Des écharpes de brume venues de la Seine proche et irisées par les feux de l’aurore enveloppaient les arbres du parc où le chant des oiseaux commençait à monter vers le ciel. C’était un petit matin ravissant, plein de senteurs fraîches et fait pour la joie de vivre, pas pour servir de cadre à la folie des hommes. Antoine pensa que le tableau étalé devant ses yeux était absurde et anachronique : deux hommes vêtus de pantalons noirs et de chemises blanches qui s’affrontaient l’épée à la main devant six autres – les témoins, le directeur du combat et le médecin, en noir eux aussi alignés comme un jeu de massacre.
En croisant tout à l’heure le regard sombre de Varennes, il avait compris que l’autre le reconnaissait. Ce regard s’était soudain rétréci jusqu’à ne plus laisser filtrer qu’une mince luisance, puis le marquis avait souri mais sans rien dire. Le peintre pensa qu’il faisait peut-être un rapprochement entre sa présence dans le Méditerranée-Express et la disparition de Mélanie, mais il n’en éprouva aucune crainte. Au contraire il s’en réjouit : si Dherblay ne tuait pas ce misérable, il aurait plaisir à l’accommoder à sa manière à lui et à boxer vigoureusement cette face insolente.
En dépit de sa réprobation, le duel força son intérêt. S’il ne devait pas s’achever par le sang versé, c’eût été du beau sport car les deux adversaires semblaient de force égale. Cela ressemblait plus à un combat comme on le pratiquait au temps des mousquetaires qu’à une rencontre mondaine moderne où l’on s’égratignait poliment avant de déclarer hautement que l’honneur était sauf. La haine entre les deux hommes était solide, presque palpable. Visiblement ils cherchaient à s’entre-tuer. Au fond, Dherblay répondait sans en avoir conscience à la question qu’Antoine lui avait posée la veille : pour se battre avec cette ardeur sauvage, il fallait qu’il aimât Mélanie.
Le combat durait et les témoins, visiblement, commençaient à s’inquiéter. C’était trop long… Mais soudain, le soleil bondit par-dessus la barrière des arbres et sa première flèche brillante vint frapper les yeux d’Olivier à un moment délicat. Le résultat ne se fit pas attendre : l’épée de Francis l’atteignit à la poitrine et le jeta dans l’herbe où la rosée brillait encore.
Le médecin se précipita cependant qu’Antoine, enflammé de fureur, se ruait à la suite de Varennes qui, sans un regard pour son adversaire, essuyait tranquillement son épée. Robert de Montesquieu qui dirigeait le combat l’arrêta d’une poigne de fer.
— Où prétendez-vous aller ?
— Corriger ce misérable, cet assassin qui ose parler de son honneur.
— Tenez-vous tranquille, Laurens ! Le duel a été régulier. Bien sûr, je ne vous empêche pas de provoquer Varennes à votre tour mais vous devriez attendre.
— Et pourquoi, s’il vous plaît ?
— Parce que la jeune femme qui est au centre de cette affaire vient peut-être de perdre son seul défenseur. D’ailleurs, il vous appelle…
En effet, dressé à demi dans les bras de Sacha Magnan, Dherblay fit signe à Antoine. Celui-ci se précipita, s’agenouilla tout en interrogeant le médecin du regard et de la voix :
— J’espère que non mais on ne sait jamais. Ne parlez pas longtemps…
— Je veux seulement qu’il m’accompagne dans votre voiture, docteur… souffla le blessé.
On l’y transporta et Antoine monta avec lui tandis que le médecin attendait au-dehors en creusant l’herbe du talon, mais ce fut rapide. Au bout de peu d’instants Antoine descendit, le salua et regagna la voiture du blessé qui allait le ramener. Avant de le quitter, il avait serré la main d’Olivier en lui promettant de faire tout ce qu’il lui demandait et puis il avait ajouté :
— Essayez de guérir vite !
— Je ne demande… pas mieux, souffla le blessé avant de s’évanouir.
Chapitre XI
SEULE !…
Tout à fait ignorante du drame qui venait de se jouer à l’aube – et pour cause ! – Mélanie prenait son petit déjeuner dans le jardin d’hiver et s’attardait au goût délicieux d’un thé de Darjeeling qui parlait à son imagination de terrasses himalayennes dominées par le Kanchenjunga lorsque Soames vint lui dire que Paulin, le maître d’hôtel de sa mère, demandait à lui parler.
— Que veut-il ?
— Je ne sais pas, mais il semble très ému et il dit… qu’il s’agit d’une chose grave.
La jeune femme hésita. Paulin était la dernière personne qu’elle eût envie de voir ce matin. Elle avait mal dormi et, en attendant les juristes annoncés par Olivier Dherblay, elle souhaitait ne pas entendre parler des gens de la rue Saint-Dominique et savourer quelques moments de tranquillité. Mais avant qu’elle eût pris une décision, le visiteur, qui avait dû suivre Soames, était déjà là. Presque en larmes.
— Il faut venir, Mademoiselle Mélanie, je vous en supplie ! Il faut que vous veniez ! Elle… elle est si mal !
— Qui ? Ma mère ?… Elle se portait à merveille hier, il me sembla ?
— Hier, oui, mais ce matin… Oh, c’est affreux ! Sa femme de chambre l’a trouvée inconsciente dans son lit, respirant mal et si pâle ! Sur la table de nuit, il y avait un tube de je ne sais quel médicament… vide !
— Êtes-vous en train de me dire qu’elle a voulu se suicider ? Elle ?
— C’est difficile à croire, n’est-ce pas ? Pourtant si Mademoiselle l’avait vue hier soir !… Elle ne cessait de pleurer, de répéter que sa vie était finie… qu’elle allait être emportée dans je ne sais quel scandale. Et ce matin…
— Qu’a dit le médecin ? Car je suppose que vous en avez appelé un ?
— Oui, bien sûr, mais c’est un jeune… Notre vieux Dr Cordier est mort le mois dernier. Il a dit que c’était grave… Il a parlé d’une sorte de poison venu d’une ville d’Italie(12)… Il faut venir mademoiselle Mélanie ! En espérant qu’il ne soit pas trop tard !
La nouvelle était si stupéfiante que la jeune femme avait peine à en croire ses oreilles mais l’homme, d’autre part, était vraiment bouleversé ! Néanmoins il fallait bien prendre une décision :
— Allez devant ! dit-elle. Je vous suis !
— Oh, quel soulagement ! C’est bien… c’est très bien. Nous savions tous que vous aviez du cœur. Je vais vous attendre en bas, près de la voiture.
— Non. Partez devant ! J’ai la mienne ! Dites seulement que j’arrive !
Il fallut bien obéir. Paulin se retira tandis que Mélanie se disposait à monter pour revêtir un costume du matin mais auparavant elle demanda à Soames d’appeler Olivier au téléphone. Sans résultat :
— M. Dherblay doit être à son bureau à cette heure et son valet a dû sortir. Peut-être pour le marché ? Je vais essayer au cabinet de M. Timothée…
Sans plus de chance. Olivier avait prévenu qu’il serait peut-être en retard et on ne l’avait pas encore vu.
— Sans doute est-il allé prendre cet avoué et cet avocat qu’il m’a annoncés hier. Quand ils viendront, dites-leur où je suis allée, Soames, je vous prie, et demandez-leur de prendre patience.
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