— Il est parti pour Paris ?… C’est ce que je craignais, mais quelle folie ! Sans le savoir il est allé se jeter dans la gueule du loup !
Mélanie, alors, descendit l’escalier en courant :
— Vous ne pouvez pas m’en dire un peu plus ? demanda-t-elle.
Son intrusion ne parut pas surprendre l’homme du train. Il la salua et s’efforça de lui sourire mais ne réussit qu’une sorte de grimace :
— Je crains que ce ne soit difficile, madame…
— Il me semble que j’ai le droit de savoir. C’est pour moi qu’il est allé à Paris et vous dites qu’il va y être en danger ?
— C’est à craindre. Aussi, quand, hier, j’ai lu le journal, je me suis douté qu’il allait se précipiter pour vous aider à sortir de cet imbroglio et je me suis fait remplacer sur le train pour venir jusqu’ici le supplier de ne pas bouger. Malheureusement j’arrive trop tard mais je peux essayer de le rattraper…
— Vous ne partirez pas sans m’avoir appris de quoi il est question, affirma Mélanie reprise en écho par Victoire :
— Ni de prendre une tasse de café ! Nous en avons tous besoin. Venez à la cuisine ! De toute façon, vous n’avez pas de train avant quelques heures !
— Pourquoi ne pas télégraphier chez lui, à Paris ? Il y a, je crois, un appartement ? Dites-lui de revenir.
— Parce que cela ne servirait peut-être à rien et qu’il ne me pardonnerait pas d’aiguiller ses ennemis sur Avignon. Jusqu’à présent, cette maison est restée pour lui un havre secret. Pourquoi donc croyez-vous qu’il n’y a pas le téléphone ici ? Il fallait donc que je vienne.
Les raisons de Pierre Bault semblaient un peu spécieuses à Mélanie mais il y avait dans son regard une inquiétude si réelle qu’elle se reprocha ses soupçons. Les relations entre les deux hommes lui paraissaient si étranges !… De toute façon celui-là lui avait sauvé la vie au moins autant qu’Antoine.
Un moment, tous deux restèrent assis, face à face, de chaque côté de la longue table. Pierre Bault regardait ses mains sans dire un mot et Mélanie n’osait plus briser le silence. Ce fut seulement quand la senteur généreuse du café établit un pont entre eux qu’elle osa dire :
— Je vous en prie ! Expliquez-moi ce qui se passe ! J’aime Antoine et s’il devait, par ma faute, lui arriver… quelque chose, je crois que je ne m’en consolerais pas.
Mais Pierre Bault ne disait toujours rien. Alors Victoire s’en mêla :
— Monsieur Antoine n’est pas bavard, cependant je sais depuis longtemps qu’il mène ce qu’on peut appeler… une double vie. Je sais aussi que vous l’aimez bien. Alors peut-être que nous pourrons vous aider ?
— Peut-être… en effet !
Il parla. Mélanie apprit ainsi que sous le couvert innocent de la peinture qui lui permettait de voyager un peu partout, Antoine Laurens servait la France dans ce qu’il est convenu d’appeler les services de renseignement. Pas de façon régulière ni continue. Simplement, on lui confiait certaines missions bien précises qui entraient aisément dans le cadre de son existence d’artiste. C’est ainsi que l’hiver précédent, il avait réussi à s’emparer d’un document d’une extrême importance pour l’alliance franco-russe encore trop jeune pour n’être pas fragile. Détenu par l’un des redoutables agents de l’Okhrana(11) qui se doublait de l’un des principaux chefs du terrorisme socialiste allemand, un certain Azeff, ce document avait fait couler pas mal de sang, dont celui d’Antoine qui avait été blessé dans le dernier engagement et aussi celui d’Azeff lui-même laissé pour mort sur un quai d’Anvers.
— Seulement Azeff n’est pas mort, reprit Pierre Bault. Il y a une semaine environ, il s’est embarqué à Nice sur le Méditerranée-Express à destination de Paris en compagnie de sa maîtresse. Sous un faux nom bien sûr mais je l’ai reconnu, et s’il vient à Paris ce ne peut être que pour une seule raison : abattre l’homme qui s’est mis en travers de son chemin et l’a mené à deux doigts de la mort.
— En ce cas, pourquoi n’avez-vous pas prévenu Antoine ? reprocha Mélanie.
— Parce qu’il n’y avait pas urgence, bien au contraire. Chaque fois qu’il rentre de mission, on laisse s’écouler un certain temps avant de faire de nouveau appel à lui. Un retour à la vie normale, presque anonyme, à la peinture pour laisser les remous se calmer. Je me suis contenté de prévenir… en haut lieu sachant bien que si M. Laurens savait son ennemi revenu il n’aurait rien de plus pressé que lui courir sus. Et on ne veut pas de ça…
— En haut lieu ?
— En haut lieu ! C’est pourquoi j’ai pris peur à la lecture de cet article. Je suis donc accouru pour essayer de le retenir. Il me reste à gagner au plus vite Paris pour le convaincre de rentrer. En espérant qu’il ne sera pas trop tard… Mesdames, je vous remercie beaucoup de votre accueil.
— Comment êtes-vous venu jusqu’ici ? demanda Mélanie. Il me semble avoir entendu le bruit d’un moteur.
— En effet. J’ai, en Avignon, un ami qui possède une de ces raretés, fit-il avec un léger sourire. Il a bien voulu me la prêter.
— Vous savez conduire ?
— Cela vous étonne d’un simple employé des Wagons-lits ? j’ai appris beaucoup de choses dans ma vie, madame. Je sais même conduire une locomotive.
— Je n’ignore pas que vous êtes quelqu’un d’étonnant mais si vous voulez bien m’attendre quelques instants, je partirai avec vous.
Victoire ne laissa pas au visiteur le temps de protester.
— Vous n’allez pas faire ça ! Monsieur Antoine…
— Monsieur Antoine est en danger par ma faute ! coupa fermement Mélanie. Il est temps que j’aille mettre de l’ordre dans mes propres affaires. Sinon M. Bault n’arrivera jamais à le convaincre de rentrer. Vous voulez bien m’emmener… et payer pour moi un billet de train ? Je vous rembourserai dès que nous serons à Paris et si vous voulez bien mettre un comble à votre amabilité en télégraphiant pour que l’on vienne me chercher à la gare, ma dette sera vite réglée…
— Vous voulez prévenir votre famille ?
— Non. Le fondé de pouvoirs de mon grand-père. Je sais que je peux compter sur lui. J’imagine même qu’il éprouvera, en me revoyant, un certain soulagement…
Et Mélanie s’envola vers les hauteurs pour préparer son mince bagage.
Troisième partie
L’AFFRONTEMENT
Chapitre IX
LA MAISON DES CHAMPS-ÉLYSÉES
Le train qui ramena Mélanie ne ressemblait pas vraiment au Méditerranée-Express. Simple convoi de voyageurs, il lui offrit le confort, relatif quand il s’agit d’y passer la nuit, d’un wagon de première classe. Elle y dormit cependant grâce à ce magnifique sommeil de la jeunesse et beaucoup mieux qu’elle ne l’avait fait dans son luxueux sleeping où elle n’avait même pas ouvert les draps. La seule chose qui la gênât fut de porter à nouveau le costume de son voyage de noces et d’avoir, pour ce faire, remis l’odieux corset. Mais elle avait ajouté à son chapeau une épaisse voilette marron qui enveloppait sa tête, dissimulant ses cheveux aussi bien que son visage. Deux personnes seulement – un couple âgé – occupaient le même compartiment et, devant l’évidente volonté d’isolement de cette jeune dame, ils n’essayèrent pas de lui parler. Ils devaient d’ailleurs descendre à Lyon.
Pierre Bault, bien sûr, voyagea dans le même train mais, afin d’être certain qu’on ne les remarquerait pas, il salua Mélanie après l’avoir installée en ajoutant seulement qu’à l’arrivée il veillerait sur elle et s’en occuperait au cas où Olivier Dherblay n’aurait pas reçu ou pas compris son télégramme. Et il se chercha une place ailleurs.
Néanmoins, en dépit de cette protection discrète, Mélanie se sentit un peu désorientée quand, vers neuf heures du matin, elle mit le pied sur le quai de la gare parisienne. Il y avait beaucoup de monde et elle se trouva un peu encombrée de ses bagages. Un porteur se présenta à point nommé et en se retournant, elle aperçut Pierre qui, tout en échangeant quelques mots avec un employé à casquette galonnée, ne la quittait pas des yeux. Elle lui sourit en esquissant un geste de la main et se mit en marche à la suite de l’homme en blouse bleue. À mesure qu’elle avançait en fouillant la foule du regard une inquiétude lui venait : si Dherblay n’avait pas reçu son télégramme ? Il pouvait être absent ? Et si le « petit bleu » n’avait pas été délivré à temps ? Que ferait-elle ?… Une chose était certaine : pour rien au monde elle n’irait chez sa mère.
Et soudain, elle l’aperçut. Il se tenait debout, auprès de la grille d’entrée du quai, les mains au fond des poches d’un grand manteau de drap anglais gris dont le col relevé remontait jusqu’à ses oreilles. Sourcils froncés, il observait le flot vomi par le train, guettant une silhouette, un visage. Lui toujours si froid et si calme semblait inquiet. Alors Mélanie courut vers lui :
— Dieu merci, vous êtes venu ! Vous ne pouvez pas savoir comme je me sens soulagée…
D’un geste presque brutal, il la saisit aux épaules, scrutant le mystère de ce visage voilé :
— C’est vraiment vous ? Ce télégramme a manqué me faire devenir fou car vous êtes bien la seule Mélanie que je connaisse. Et l’on vous disait morte…
Pour toute réponse elle souleva l’épaisse voilette pour qu’il pût voir sa figure. Il eut alors un grand soupir de soulagement et laissa retomber ses mains comme si elles venaient de perdre toute leur force.
— Je ne comprends rien à cette histoire mais que Dieu soit béni ! Soyez-le aussi d’avoir pensé à m’appeler, moi !
Cet homme d’affaires si flegmatique semblait curieusement ému et Mélanie lui sourit. Elle avait foi en la rigueur de sa loyauté mais n’avait jamais imaginé qu’il pût éprouver des émotions.
"La jeune mariée" отзывы
Отзывы читателей о книге "La jeune mariée". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La jeune mariée" друзьям в соцсетях.