— Je n’y ai pas encore pensé mais je serai heureuse de son retour… et je ferai ce qu’il voudra.
— Surtout pas !
Assenée vigoureusement la courte phrase sidéra Mélanie. Victoire jouit un instant de sa stupeur, puis prenant un bol, se versa une bonne ration de café après en avoir rajouté dans celui de la jeune femme et, pour finir, s’assit en face d’elle :
— Ah bon ? fit celle-ci. Et pourquoi ?
— Pourquoi ? Pauvre Sainte Vierge ! Que vous êtes innocente !… Mais parce qu’il était tellement joyeux ce matin qu’à son retour il n’aura qu’une envie, c’est de recommencer…
— Moi aussi j’en aurai envie, admit Mélanie.
— Le contraire m’étonnerait. Seulement, je crois que vous devriez essayer de savoir ce que vous voulez : si c’est quelques jours de plaisir, alors allez-y ! Jetez-vous dans ses bras et usez de votre aventure jusqu’au bout ! En revanche, si vous voulez le garder…
— Pourquoi, murmura Mélanie après un instant de réflexion, pourquoi est-ce que ce… plaisir ne déboucherait pas sur un véritable amour ?
— Parce qu’à de rares exceptions près il ne faut pas aller trop vite et c’est déjà beaucoup que vous soyez allée à lui. Mais si vous posez la question c’est déjà une bonne chose. Cela prouve que vous avez envie d’aimer et d’être aimée.
— Bien sûr. Qui ne le souhaiterait ? Surtout par un homme tel que lui !
— Alors écoutez-moi ! Votre Antoine qui est toujours un peu le mien a quarante ans et vous en avez seize.
— Je suis bien plus vieille que cela si l’on additionne mes déceptions : fille ridiculisée par sa mère, mariée à un homme qu’elle aimait et qui n’a su que se moquer d’elle et…
— Ne ressassez plus tout ça et regardez devant vous ! Or, devant vous, il y a Antoine qui a connu beaucoup de femmes mais que vous enchantez parce que vous êtes toute jeune et toute fraîche. Il vous aimera peut-être passionnément… mais pour cela, il faut lui tenir un peu la dragée haute et vous faire désirer, sinon vous risquez de rejoindre le bataillon de toutes les autres qui ne sont plus que des fleurs séchées dans un herbier qu’il n’ouvre pas souvent. En outre, vous devez songer à votre situation présente et regarder la vérité en face : vous vous êtes enfuie la nuit de vos noces avec un parfait inconnu… je sais, vous aviez pour cela les meilleures raisons du monde mais que deviendront ces raisons si vous vous retrouvez enceinte ?
— Vous croyez que c’est possible ?
Ce fut au tour de Victoire d’être stupéfaite :
— Doux Jésus ! Mais qu’est-ce que votre mère vous a appris ? Est-ce que vous croyez encore que les enfants viennent dans les choux et dans les roses ?
— Ma mère ne m’a rien appris du tout, souffla Mélanie en baissant le nez. Même au soir de mes noces elle ne m’a rien dit…
— Alors les choux, les roses… la cigogne ?
— Tout de même pas ! J’ai déjà vu naître un poulain et l’on m’a dit qu’il n’y avait pas de grande différence entre une femme et une jument. Un coup de chance d’ailleurs, sinon j’ignorerais tout…
— Vous savez le principal. Votre jument avait passé de doux moments avec un bel étalon. Ce que vous venez de faire avec Monsieur Antoine…
— C’était merveilleux ! soupira Mélanie avec un sourire rayonnant. Et je crois que j’aimerais avoir un enfant de lui.
— Le moins qu’on puisse dire est que ce n’est pas le moment. Réfléchissez, petite sotte ! Bien que vous soyez mariée, votre mariage n’a pas été consommé. Donc vous avez des chances de le faire casser devant la loi et qui plus est d’obtenir l’annulation en cour de Rome. Soyez enceinte et vous pouvez dire adieu à tout cela !
L’éclairage que Victoire jetait sur sa belle nuit d’amour était un rien brutal mais Mélanie en comprit le bien-fondé. Si elle voulait garder Antoine – et en vérité elle ne souhaitait rien de mieux – il fallait évidemment prendre de grandes précautions. Une perspective peu attrayante ! À moins que…
— Pourquoi me donnez-vous ces conseils ? demanda-t-elle soudain. Est-ce que cela veut dire qu’en dépit du fait que je sois seulement une sotte un peu trop jeune vous aimeriez qu’Antoine et moi ?…
Le visage un peu sévère de Victoire s’illumina soudain comme si un feu venait de s’allumer en elle :
— Vous restiez ensemble pour toujours ? Ah oui je le voudrais ! Qu’il y ait ici une jeune dame… et puis des petits et ce fou cesserait peut-être de courir le monde comme il le fait depuis tant d’années ! Je commence à me faire vieille, demoiselle Mélanie, et je voudrais que cette maison continue à vivre quand je n’y serai plus.
Doucement, Mélanie quitta sa place et sans bruit s’approcha, lui glissa les bras autour du cou et l’embrassa :
— S’il ne tient qu’à moi, votre rêve se réalisera !
— Alors suivez mon conseil et si le Toine vient gratter à votre porte, n’ouvrez pas !
Mélanie promit. C’était facile dès l’instant où son séducteur avait disparu dans un nuage comme un génie de conte oriental même s’il s’agissait d’un nuage de poussière. Mais qu’en serait-il lorsqu’il serait là, tout proche, tout chaud et tout vibrant ? Ce serait sûrement beaucoup plus difficile d’autant que, déjà, la maison sans lui paraissait vide ! Peut-être parce que les portes ne claquaient plus et que les jumelles riaient moins cependant que Polly et Percy faisaient de plus longues stations devant la cheminée de la cuisine. Quant à Victoire, elle semblait perdue dans ses pensées. Seul Prudent demeurait égal à lui-même, c’est-à-dire silencieux comme un trappiste. La présence ou l’absence du maître n’y changeaient jamais rien.
Les longs moments de réflexion de Victoire débouchaient toujours sur Mélanie à qui elle dispensait alors d’étranges conseils de beauté. C’est ainsi que, pour lutter contre ses taches de rousseur, elle lui proposa tour à tour du jus de citron avec du sel, une mixture faite de jus de cresson et de miel, de l’oignon écrasé dans du vinaigre en ajoutant que, dès l’apparition des premières fraises, elle les lui réserverait pour qu’elle s’en fît des masques. Mélanie rit beaucoup, protesta qu’elle préférait de beaucoup manger les fraises mais essaya tout de même le citron salé. D’autant que son mentor lui offrit en même temps un petit pot d’une sorte de crème à l’odeur douce dont elle refusa d’ailleurs de lui donner la composition mais en assurant qu’elle en tirerait le plus beau teint du monde.
— Vous n’êtes pas raisonnable, remarqua Mélanie au soir de cette grande conversation qu’elles avaient eue ensemble. Vous voulez que je sois belle mais aussi que je ferme ma porte. Est-ce logique ?
— Je crois, oui. Prenez un âne ! Plus les carottes que vous lui donnerez seront fraîches et tendres et plus il en mangera… jusqu’à indigestion. Mais s’il voit les mêmes carottes à sa portée sans pouvoir y toucher, il fera n’importe quoi pour se les approprier.
— Pauvre âne ! Il risque de devenir fou…
— On n’ira pas jusque-là mais on verra à lui en donner… modérément pour qu’il n’en perde pas le goût !
Cette philosophie maraîchère amusa beaucoup Mélanie et lui fit passer un moment. La lecture des journaux lui en fit passer un autre, plus exaspérant. On avait beaucoup remarqué, au dernier bal de lady Decies, l’extrême élégance de Mme Desprez-Martel dans une robe de brocart bleu et or signée Paquin avec une longue traîne ourlée de martre. Très entourée, elle avait été la reine incontestable de cette belle soirée…
Le journal vola à l’autre bout de la petite pièce qui servait de bibliothèque et où Mélanie aimait à s’installer pour lire tout ce qui lui tombait sous la main avec la volupté de quelqu’un dont les lectures ont toujours été très surveillées. C’était la première fois qu’elle s’intéressait à une chronique mondaine mais celle-là eut le don d’exciter sa colère. Elle n’imaginait que trop sa mère, bienheureusement débarrassée d’une fille qu’elle s’était toujours efforcée, sinon de cacher, du moins de maintenir dans une enfance factice et hors de saison. Elle devait rayonner à présent et se griser longuement des compliments de ses nombreux admirateurs. Et sans doute n’accordait-elle même pas une pensée à celle qu’elle devait considérer comme sortie de sa vie ? La seule chose que Mélanie s’interdisait d’imaginer c’était que sa mère eût pu tremper dans l’ignoble combinaison montée par Francis. Par contre une question lui venait tout naturellement à l’esprit, maintenant qu’elle connaissait l’amour : Albine avait-elle eu des amants ? Peut-être même en avait-elle encore. À moins qu’elle n’eût choisi de rester fidèle à Francis car, en se remémorant certaine attitude, certaines paroles, certains regards, Mélanie en arrivait à la certitude que, dès avant ses fiançailles, sa mère était la maîtresse de Varennes…
Elle n’en éprouva pas de chagrin. Depuis qu’Antoine était entré dans sa vie, ces gens avaient perdu le pouvoir de lui faire du mal. Elle souhaitait seulement les oublier et marcher d’un pas ferme dans ce chemin nouveau qu’un génie ferroviaire venait d’ouvrir devant elle. Un chemin qu’elle entendait suivre jusqu’au bout, même s’il fallait faire de temps en temps du saut d’obstacles.
Elle attendit donc le retour d’Antoine d’un cœur tranquille mais disposé au combat. En fait, ce qu’elle éprouvait c’était ce mélange d’espoir, de patience et de pugnacité qui caractérise le chasseur à l’affût.
Ce que Mélanie n’imaginait pas c’est qu’Antoine, de son côté, prenait lui aussi des décisions de sagesse.
La superbe envolée romantique dont il avait été victime et qui l’avait poussé à enfourcher ses chevaux-vapeur à la nuit close s’était arrêtée net vers les deux heures du matin et à quelques kilomètres de Draguignan sous une pluie torrentielle qui avait noyé son moteur et presque transpercé sa peau de bique.
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