Cela au point qu’un après-midi Rosa, la cuisinière, était sortie de sa cuisine en sous-sol pour grimper jusque chez la jeune fille, profitant d’une absence de la mère :
— Je suis venue vous dire, Mademoiselle Mélanie, qu’il ne faut pas épouser ce beau jeune homme. Ce n’est pas bien de presser le mariage sous prétexte que Monsieur Timothée n’est plus là et je suis bien sûre que vous ne serez pas heureuse.
— Que puis-je faire d’autre qu’accepter, ma bonne Rosa ? Je dois obéissance à ma mère… et puis j’aime mon fiancé.
— C’est bien ça le chiendent ! Et Monsieur Hubert qui est toujours en l’air !…
— Cela ne changerait rien. C’est moi qui ai demandé à mon grand-père de consentir à ce mariage. Et, croyez-moi, Monsieur Francis est beaucoup plus gentil qu’on ne le pense…
— Dites ça à un cheval et il éclatera de rire ! Enfin, si vous y tenez ! Il n’y a plus qu’à espérer que je me trompe !
Mélanie elle, l’espérait de tout son cœur tandis qu’au bras de l’oncle Hubert elle s’avançait vers cet homme si beau et si merveilleusement élégant qui l’attendait devant l’autel. Il se tenait droit comme une lame d’épée dans son frac noir qui rendait pleine justice à sa silhouette racée, mais sa fiancée aurait juré que ce n’était pas elle qu’il regardait à cet instant où il aurait dû n’avoir d’yeux que pour elle et où leurs mains allaient se joindre pour ne plus se désunir jusqu’à ce que la mort les sépare. Il n’avait pas l’air très heureux…
Personne, pourtant, ne l’obligeait à être là ! Et soudain Mélanie eut une affreuse envie d’éclater en sanglots, de crier, de piétiner le bouquet de fleurs d’oranger et d’orchidées qui encombrait son bras gauche et de se sauver loin de cette église qui ressemblait tellement à un salon. Mais il était trop tard ! Elle ne pouvait plus reculer. D’ailleurs, depuis la veille, elle était mariée devant la loi à Francis de Varennes… Comme s’il avait soudain conscience de ce qui se passait dans le cœur de sa nièce, Hubert posa sur son bras une main qui se voulait encourageante. Elle leva les yeux et sourit à ce visage aimable où elle venait de lire une inquiétude. D’ailleurs tous deux étaient arrivés devant l’autel et Hubert s’écarta doucement, laissant Mélanie auprès de son fiancé dont le léger parfum de vétiver flotta jusqu’à elle, rappelant l’instant mouvementé mais charmant de leur première rencontre. Ils étaient seuls alors et, soudain, Mélanie sentit le courage lui revenir. Tout à l’heure, après la réception qu’ils allaient quitter discrètement, ils seraient seuls à nouveau dans ce train qui les emporterait vers le soleil de Menton où un ami prêtait aux jeunes mariés sa villa pour leur lune de miel, seuls ensuite au bord de la mer bleue et au milieu d’un pays que l’on disait merveilleux. Ce serait à elle, alors, de faire en sorte que leur mariage soit une réussite et leur apporte à tous deux un grand bonheur. Et ce fut d’un geste ferme qu’au moment de l’échange des anneaux elle tendit sa main pour recevoir le premier maillon d’une chaîne qu’elle voulait très douce.
Célébrée par l’abbé Mugnier que son étonnante culture et son grand talent oratoire avaient fait surnommer « l’Aumônier des Lettres françaises » et qui confessait toute la haute société dont il tirait pour ses pauvres de substantiels secours, la cérémonie fut belle. Mélanie en goûta beaucoup la musique sur les ailes de laquelle il lui semblait que son âme s’élevait… mais elle trouva tout de même que c’était un peu long, surtout lorsqu’il fallut subir l’interminable défilé des félicitations.
La réception qui eut lieu rue Saint-Dominique avec un nombre restreint d’invités – eu égard aux circonstances ! – l’ennuya tout autant parce qu’elle ne connaissait presque personne tant sa mère l’avait tenue à l’écart de sa propre vie. Les hommes lui parurent laids et pompeux. Les femmes, bruissantes de papotages, lançaient derrière elle comme des lassos de grandes écharpes de plumes ou de fourrure et voltigeaient à travers les salons, la voilette retroussée sur le nez, en croquant des fruits glacés ou en buvant du champagne. À moins que, s’installant à plusieurs autour d’un guéridon, elles ne s’attaquent franchement à des nourritures plus substantielles – poulardes en chaud-froid, saumon de la Baltique ou foie gras du Périgord – en passant en revue les derniers événements parisiens. On commentait le procès de la fameuse Thérèse Humbert qui avait escroqué des millions grâce à une fameuse histoire d’héritage et le vol spectaculaire des plus belles émeraudes d’un maharajah venu passer quelques jours dans un palace de la rive droite. Leurs compagnons délaissaient un peu la politique pour discourir sur l’Angleterre où les députés des Communes réclamaient une loi sur l’immigration afin de lutter contre un début d’envahissement qui menaçait les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, mais les unes et les autres se rencontraient pour broder à qui mieux mieux sur le récent départ pour l’Amérique de « Boni » parti tenter de faire entendre raison à une épouse qui avait jugé bon de passer Noël en famille à Rhodes Island sans se soucier de ce qu’en pensait le mari.
— A-t-on idée, aussi, d’épouser un homme dont on sait parfaitement qu’il n’en veut qu’à votre dot ? s’écria la ravissante comtesse de Janzé. Au fond, Boni est bien bon de se donner tant de mal.
— Il ne peut guère faire autrement, répliqua la maîtresse de maison, Anna Gould ; dès avant leurs fiançailles, elle lui a bien laissé entendre que, si elle se jugeait malheureuse, elle demanderait le divorce. Alors il veille sur son compte en banque !
— Quelle horreur ! On ne divorce pas quand la chance a fait de vous une Castellane et que vos enfants descendent des comtes de Provence !…
— Oh, ce n’est pas tant le grand nom qui l’intéressait. Elle était follement amoureuse de Boni. Il faut avouer qu’il y a de quoi. Et de toute façon, elle ne sera jamais autre chose que ce qu’elle est : une petite dinde yankee un peu trop dodue et même pas jolie !
D’où elle se trouvait, c’est-à-dire coincée entre les feuilles de laurier d’un académicien et les moires violettes d’un évêque, Mélanie ne perdait pas une syllabe de la cruelle conversation à laquelle sa mère prenait une part active sans plus se soucier de sa fille. Ce fut l’oncle Hubert qui vint la tirer d’embarras :
— Il est temps que tu remontes te changer, lui glissa-t-il à l’oreille. Le train ne vous attendra pas.
— Où est Francis ?
— On l’a installé dans la chambre de ton père avec son valet. Il se prépare. Vous partez dans une petite demi-heure. Tiens, d’ailleurs, voilà Mlle von Rellnitz qui vient te chercher…
Mélanie suivit Johanna avec empressement. C’en était fini des mondanités, Dieu en soit loué, il n’y aurait bientôt plus personne entre Francis et elle !
— Quelle idée de filer ainsi à l’anglaise ! protesta Johanna tout en aidant son amie à sortir de ses falbalas nuptiaux. Ce n’est pas gentil de planter là vos invités !
— C’est une idée de Francis. Les visites le lendemain de noces l’assomment et il pense qu’un jeune couple doit commencer sans tarder sa vie commune. J’avoue que l’idée m’a enchantée. Et puis la Côte d’Azur…
— Je suis de ton avis : c’est assez séduisant. Mais une nuit de noces dans un train. Au fait, est-ce que ta mère t’a parlé ?
— De quoi ?
— Mais… il me semble qu’au jour du mariage de sa fille une mère se doit de… lui apprendre certaines choses.
— Je sais… mais pas elle. Je crois, vois-tu, que je ne l’intéresse pas beaucoup. D’ailleurs nous n’en avons plus le temps.
— Quelqu’un vous accompagne à la gare ?
— Mon oncle Hubert et aussi M. Dherblay mais j’ignore pourquoi.
— C’est une marque d’intérêt naturelle, il me semble ? Depuis la disparition de ton grand-père, c’est lui qui gère sa fortune et s’occupe de ses affaires ?
— En effet. Grâce à Dieu, mon cher grand-père avait prévu, en dehors de son testament déposé chez son notaire et que l’on ne peut ouvrir à moins d’être sûrs de sa mort, un certain nombre de dispositions au cas où il viendrait à disparaître sans que l’on ait de certitude absolue.
Johanna s’effara :
— Ne me dis pas qu’il pensait être enlevé dans un train ou Dieu sait quoi d’autre ?
— Certainement pas. D’après M. Dherblay, il songeait à l’éventualité d’un naufrage à bord de son yacht. Il est arrivé que l’on retrouve, après plusieurs mois, des marins emportés par la mer. Il aimait tellement naviguer ! Moi aussi d’ailleurs…
— Eh bien, conclut la jeune Autrichienne, à toi les flots bleus de la Méditerranée.
Fräulein et Léonie arrivaient à la rescousse des derniers préparatifs. La gouvernante refoulait mal ses larmes à l’idée de quitter son élève sans grand espoir de la revoir jamais, et même la pensée de son propre mariage qui devait suivre de peu son retour au pays n’arrivait pas à la consoler vraiment.
— Vous êtes si cheune ! s’exclama-t-elle, oubliant que Mélanie n’aimait guère l’entendre parler français. On aurait tû suifre les tésirs de fotre grand-père.
— Peut-être et peut-être pas. Ma mère a raison quand elle soutient que nous avons besoin d’un homme dans la maison. Qui peut savoir si ceux qui s’en sont pris à Grand-père ne s’en prendraient pas à nous ?
— C’est ce qu’elle dit ? fit Johanna. Mais quelle idée ! Vous n’avez rien à voir avec les implications politiques et financières de M. Desprez-Martel. En outre, ton oncle Hubert, le grand chasseur, pouvait venir habiter avec vous en attendant le temps révolu.
— Lui et maman dans la même maison ? Lorsqu’il vient passer, par hasard, quelques jours à Dinard, les portes claquent rapidement.
— De toute façon, il va s’écouler quelques semaines avant que ton époux ne vienne étendre sa protection sur cette maison. Outre que vous pourriez avoir une demeure à vous.
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