Tournant le dos à sa fille, Albine fit toute une affaire d’enlever les longues épingles à tête de perle qui retenaient sa toque et la déposa devant elle, sur une console. Elle laissa traîner un instant le silence comme si elle cherchait ses mots et voulait retarder l’instant de les prononcer.
Puis, finalement, elle se retourna et fit face à sa fille en s’adossant à la tablette de marbre.
— Tu es folle !… Si tu veux tout savoir, c’est de toi que nous avons parlé… loin des oreilles indiscrètes.
— De moi ? exhala Mélanie abasourdie. Mais pourquoi tant de secret ?
— Parce qu’il s’agit d’une chose un peu délicate. Francis… je veux dire M. de Varennes, s’inquiète de savoir comment ton grand-père recevrait sa… demande en mariage. Il désire t’épouser.
Puis, comme si elle venait de fournir un effort inouï, elle s’enfuit dans sa chambre dont la porte claqua derrière elle avec violence.
Chapitre IV
PERLES ROSES ET NUAGE NOIR…
En se retrouvant, le jeudi suivant, dans la voiture qui l’emmenait chez son grand-père, Mélanie éprouvait l’impression étrange d’avoir vieilli de dix ans. Cela tenait surtout à la mission tout à fait inhabituelle dont l’inconscience de sa mère, sa lâcheté aussi l’avaient investie.
Après avoir jeté au visage de sa fille la demande en mariage de Francis comme elle lui eût déclaré la guerre, Albine s’était enfermée chez elle durant vingt-quatre heures sans accepter de recevoir qui que ce soit, et ce fut seulement le surlendemain que Mélanie la retrouva devant le thé du petit déjeuner.
Enveloppée de crêpe de Chine et de marabouts mauves, Albine avait le teint plombé et les yeux battus. Elle ne répondit pas au bonjour de Mélanie mais lui versa une tasse de thé avant d’allumer une cigarette, geste tout à fait inhabituel à cette heure du jour. Sa main tremblait d’ailleurs en approchant la flamme du mince rouleau de tabac. Puis, sans transition, elle demanda :
— As-tu réfléchi à ce que je t’ai dit ? Que penses-tu de cette demande en mariage ?
— Dois-je vraiment en penser quelque chose ? Il est rare que, dans notre monde, on demande à une fille son opinion. C’est à vous et à mon grand-père de faire connaître votre décision.
— Nous n’en sommes pas là. Ce que je veux savoir c’est si tu as… envie de l’épouser ?
En face de ce regard un peu égaré qui scrutait son visage, la jeune fille se sentit soudain mal à l’aise. L’appétit coupé, elle repoussa la tartine qu’elle venait de beurrer et toussota pour s’éclaircir la voix avec la sensation qu’elle n’arriverait plus jamais à émettre un son. Néanmoins elle s’entendit répondre :
— Comment savoir si l’on, a envie d’épouser quelqu’un que l’on connaît à peine ? Je…
— Cela suffit pour aimer et je suis sûre que c’est le cas, sinon tu n’aurais jamais eu l’insolence de m’interroger comme tu l’as fait l’autre jour… Allons ! réponds ! L’aimes-tu ?
L’agressivité du ton fouetta le sang de Mélanie qui rougit mais se redressa pour mieux faire face à ce combat inattendu.
— Avant de vous répondre je voudrais savoir quelque chose : pourquoi M. de Varennes désire-t-il m’épouser ? Parce qu’il m’aime ou bien parce que je suis riche ?
— Tu n’es pas riche mais tu le seras un jour et beaucoup si ton grand-père le veut bien. Tu… plais au marquis. C’est inattendu car il est difficile mais c’est ainsi. À présent, reste à convaincre ton grand-père si tu désires devenir marquise de Varennes !… Un bien beau nom, songes-y ! Un joli titre aussi…
— Cela m’est tout à fait égal.
Les mots étaient partis tout seuls et, devant le sourire moqueur qu’elle aperçut derrière la fumée légère, elle les regretta. Ce qu’elle pensait, c’était que Francis n’avait pas besoin de ces hochets de vanité. Se fût-il appelé Dupont qu’il l’eût séduite tout autant mais Albine possédait plus de pénétration que ne l’imaginait sa fille et elle avait compris :
— Eh bien, s’écria-t-elle avec un rire légèrement forcé, voilà qui est pour le mieux du monde et vous allez former tous les deux un vrai couple d’amoureux !
— Je vous en prie, Mère ! M. de Varennes n’a pas encore dit qu’il m’aimait. Et je ne l’épouserai pas s’il en va autrement.
— Il le dira, sois sans crainte, mais avant qu’il n’aille faire sa demande officielle, il convient de savoir comment elle sera reçue.
— Vous pensez qu’il n’a pas beaucoup de chances ? Pourtant Grand-père ne le connaît pas…
— Disons que les choses sont mal engagées. C’est pourquoi il faut que ce soit toi qui obtiennes son approbation.
— Moi ?… Mais n’est-ce pas votre rôle ? Vous êtes ma mère et c’est à vous qu’il appartient…
— Je le sais aussi bien que toi, seulement, dans le cas présent, toi seule peux convaincre ton grand-père d’accepter Francis. Et si tu l’aimes, tu sauras trouver les mots.
— Je ne vous comprends pas, Mère, soupira Mélanie. Il me semblait que vous aviez un… penchant pour lui et, à présent, voilà que vous voulez devenir sa belle-mère ?
L’involontaire ironie du mot fit rougir Albine qui corrigea cela d’un petit rire nerveux.
— Pourquoi pas ? après tout. Je désire seulement qu’il entre dans notre famille. C’est demain jeudi : parleras-tu ?
— Est-ce tellement pressé ? fit Mélanie un peu effrayée par le côté formidable de l’aventure. Parler ainsi, sans même connaître les vrais sentiments de Francis ? Il serait tellement plus facile de plaider leur cause à tous deux s’il le lui demandait lui-même.
— C’est très pressé ! insista Albine. Il faut que tu saches que beaucoup de femmes tournent autour du marquis. Une surtout : une Américaine qui ne demande qu’à se l’annexer au cas où il essuierait un refus. Tu sais, Mélanie, les hommes sont tout à fait comme des enfants. Les déceptions peuvent les pousser à d’étranges revirements.
— Vous voulez dire que s’il n’est pas accepté immédiatement il épouserait cette femme ? Et il prétend m’aimer ?
— Mais non il ne l’épouserait pas, cependant si ton grand-père le repoussait trop brutalement, peut-être, la laisserait-il l’emmener à New York comme elle l’en presse. C’est un homme fier, Mélanie, et ce n’est pas n’importe qui. Il pourrait prétendre à la main d’une princesse… et c’est toi qu’il a choisie. Cela mérite peut-être quelques efforts, tu ne crois pas ?
— Si, approuva Mélanie. Je parlerai à Grand-père.
Mais, à présent que le moment fatidique approchait, Mélanie se sentait un peu moins vaillante. D’abord il faisait un temps affreux et la pluie assenait aux vitres de la voiture de grandes claques rageuses aussi peu réconfortantes que possible. Petite consolation : son tailleurs vert lui allait mieux qu’elle ne le pensait. En veine de générosité, Albine lui avait fait la surprise d’un grand manteau assorti garni de petit-gris et d’une toque de même fourrure qui faisait ressortir la couleur chatoyante de ses cheveux. On avait livré le tout le matin même et Mélanie inaugurait.
Tout commença bien. Le vieux Timothée semblait d’excellente humeur bien que le mauvais temps eût repoussé aux calendes grecques le déjeuner à la campagne. Il complimenta sa petite-fille sur son nouvel aspect, lui déclara qu’elle était « mignonne à croquer » et même lui offrit cérémonieusement le bras pour la conduire à table comme il eût fait pour une dame. Mieux encore, il commanda à Soames, son vieux maître d’hôtel, de servir du vin de Champagne pour célébrer l’événement.
À diverses occasions déjà, depuis l’âge de dix ans, Mélanie avait eu le droit de tremper ses lèvres dans le joyeux liquide mais sans jamais en recevoir plus d’un dé à coudre. Cette fois, Soames lui en remplit une flûte et, quand elle y goûta, elle se sentit envahie d’un plaisir tout nouveau. Jusque-là, elle n’avait guère prêté attention à la saveur de ce breuvage de fête. Les quelques gouttes octroyées représentaient une sorte de distinction, une manière de faire comme les grands, mais cette fois ce fut différent. C’était délicieux et il lui sembla que les bulles fraîches stimulaient son courage et mettaient leur gaieté dans sa tête. Après tout, elle allait parler mariage ! Aucune raison d’aborder la question avec une mine d’enterrement.
Abandonnant momentanément son vol-au-vent à peine entamé, Mélanie reprit son verre et l’éleva légèrement :
— C’est gentil à vous, Grand-père, d’avoir voulu boire à ma transformation et je vous en remercie, mais nous pouvons peut-être en profiter pour boire aussi à mon bonheur… c’est-à-dire si vous le permettez ?
— Ton bonheur ? Que t’arrive-t-il donc, petite ?
— Mère m’a appris hier que l’on me demandait en mariage.
— En mariage ? Déjà ?… Elle sait pourtant que je ne souhaite pas que l’on te parle de cela avant deux ou trois ans. Et, en ce cas, je ne comprends pas pourquoi elle ne m’a pas informé le premier ? De qui s’agit-il ?
La voix n’avait rien d’encourageant mais, cette fois, Mélanie refusa de se laisser impressionner…, et but encore une goutte de champagne.
— De… du marquis de Varennes.
Le bruit du couvert de vermeil reposé brusquement sur la précieuse assiette de la Compagnie des Indes sonna comme le premier battement du tocsin. Il n’y en eut pas d’autre et Mélanie n’eut même pas le temps d’ajouter la moindre parole ni même de regarder la figure de son grand-père. Déjà il s’était levé, repoussait son siège et quittait la table à grandes enjambées. L’un des deux valets de pied eut tout juste le temps d’ouvrir la porte devant lui.
Interdite, Mélanie leva sur Soames un regard inquiet.
— Où pensez-vous qu’il aille, Soames ?
— Je suggère… le téléphone, Mademoiselle Mélanie.
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