— Ah oui ? Et que devrais-je faire, selon vous ?
— Ce jour-là, le 7 septembre, allez vers votre Souverain, non en grand apparat mais tel que vous étiez à Rocroi, à Lens et ailleurs ! Allez lui offrir votre épée et jurez-lui fidélité ! Mais pas du bout des lèvres, et sans arrière-pensée !
— Et s’il me tourne le dos ?
— On ne tourne pas le dos à un homme de votre valeur à moins d’être pauvre sire. Ce que ne sera pas celui-là ! En revanche, si vous le leurrez, craignez tout de sa rancune !
— En admettant que je vous écoute, que puis-je espérer ?
— Pourquoi pas l’épée de Connétable que nos aïeux Montmorency ont portée avec panache ?
— Pourquoi pas, en effet ! Le malheur, c’est qu’il n’en a jamais été question jusqu’à preuve du contraire !
— Et pour cause : seul le Roi, chef des armées, peut la conférer ! Alors vous savez ce qu’il vous reste à faire…
— Oui. L’amour ! Je n’ai déjà que trop patienté !
Il avait bondi sur elle et l’enserrait d’une étreinte de fer contre laquelle Isabelle se défendit avec plus de forces qu’il ne l’aurait prévu…
— N’y comptez pas ! Et lâchez-moi, sinon je crie !
— Crie, ma belle ! Tu n’en seras que plus désirable !
Repoussant des deux mains et martelant la poitrine de son agresseur, elle fournissait une belle défense en détournant la tête afin d’éviter son baiser.
— Je serai à vous au soir de la majorité quand… vous aurez fait votre paix avec…
— Le carrosse de Mme la duchesse de Longueville vient d’entrer dans la cour d’honneur ! annonça une voix calme… qui sauva Isabelle dont l’énergie faiblissait.
— Il ne manquait plus qu’elle ! ragea-t-elle en parfaite contradiction avec elle-même.
— Je ne vous le fais pas dire ! acquiesça Condé en riant. Mais je ne te tiens pas quitte !
— Aux conditions que j’ai posées ! Et j’ai horreur que l’on me tutoie ! Pensez-y !
— Pécore !
— Ruffian !
Mme de Longueville avait dû reconnaître la voiture de sa rivale : elle apparut en un temps record sans prendre celui de se faire annoncer, mais son frère s’était déjà retranché derrière sa table de travail et sa visiteuse semblait sur le point de repartir.
Un instant, les deux femmes se toisèrent sans sonner mot, composant à leur insu le plus joli tableau qui soit, l’une vêtue de soleil et l’autre d’azur. Mais leur haine réciproque était quasi palpable. Puis, dans un ballet bien réglé, elles plongèrent en même temps dans une impeccable révérence, après quoi Isabelle partit sans se retourner…
Cependant elle était songeuse en regagnant sa voiture. Certes l’arrivée de la Reine de la Fronde l’avait sauvée de ce qui aurait pu ressembler à un viol, car elle était résolue à fournir une défense vigoureuse, mais pendant combien de temps ? Cet homme, elle l’aimait jusque dans ses défauts, et qui pouvait dire si elle n’aurait pas fini par trouver un plaisir pervers à son assaut brutal ?
Elle se hâta cependant de chasser une suite de cogitations qui ne menaient nulle part pour se concentrer sur le principal : la divine Anne-Geneviève dont elle ne connaissait que trop l’influence sur Condé… Celui-ci serait-il assez sage pour ne pas lui communiquer ce qu’Isabelle venait de lui apprendre ? Il était toujours si faible devant elle !
L’impression fut si forte qu’elle fit stopper son carrosse et ordonna à Bastille de guetter l’apparition de Bouteville qui ne devait pas être bien loin :
— Il faut que je lui parle ! Arrange-toi comme tu veux !
Sans répondre, il alla se placer au milieu de la route et, quand apparut un cavalier portant des plumes rouges à son chapeau, il agita ses longs bras en tonitruant « halte » et saisit au mors le cheval que son cavalier avait déjà freiné.
— Vous attaquez les gens sur les grands chemins à présent ? ironisa-t-il en reconnaissant sa sœur. Vous n’avez pas vu Monsieur le Prince ?
— Si, et je crois l’avoir ébranlé. Malheureusement la Longueville vient d’arriver et…
— … et vous pensez qu’elle va le retourner comme un gant ?
— J’en ai peur et je voudrais au moins en être informée. J’étais assez satisfaite de ce que j’avais obtenu quand elle a débarqué.
Elle lui décrivit les arguments qu’elle avait déployés et, bien entendu, il se mit à rire.
— L’épée aux fleurs de lys ? Vous n’y allez pas de main morte !
— Non, parce que je pense sincèrement qu’il la mériterait !
— Au bout de combien de temps ? Vous savez à quel point nous aimons nous battre, l’un comme l’autre !
— Mais pas pour n’importe qui. Vous n’avez pas envie d’être un jour maréchal de France ? De France, retenez bien cela ! La place de l’Espagnol est au bout de vos armes… pas à vos côtés !
— Ça vous ressemble tout à fait de distribuer les plus hautes récompenses au bord d’une route ! Mais redevenons sérieux ! Vous voulez que je vous tienne au courant de ce que votre « chère amie » veut obtenir de lui ?
— N’y voyez pas de trahison, François ! Vous avez dû deviner que je l’aime… et que je le veux grand !
— Et… Nemours ?
— Je mentirais si je disais qu’il ne m’est rien ! Je l’aime… différemment et j’avoue qu’il me manque.
— Il se bat je ne sais où dans le Nord, à ce que j’ai appris. Avec le maréchal d’Hocquincourt. Qui est amoureux de vous, je crois !
— On dirait que vous savez beaucoup de choses ! D’où sortez-vous celle-là ?
— Pas d’un salon, évidemment ! Mais on papote dans les camps, vous savez ? Mieux vaudrait cependant que Nemours n’en apprenne rien ! Bon ! Je vous dirai ce qu’il en est, mais seulement jusqu’à la majorité du Roi. Après, je n’en aurais peut-être plus le droit !
Aussitôt elle s’alarma :
— François ! Ne me dites pas que, s’il entrait en dissidence, vous le suivriez ?
— D’honneur, je l’ignore ! murmura-t-il soudain très sombre. Depuis mon plus jeune âge il me fascine, et j’ai peine à m’imaginer sous les ordres d’un autre chef que lui !
— Et M. de Turenne ? Il semblait vous convenir ?
— C’était pendant que Monseigneur était prisonnier. Nous nous étions entendus pour le délivrer.
— Il voulait surtout plaire à la Longueville ! Pourtant il a fait sa soumission et vous pourriez vous retrouver face à face ! Cela vous plairait ?
— Ne dites pas de stupidités ! gronda-t-il. Et poursuivez votre chemin ! Ah, pendant que j’y pense, laissez de côté vos habits de deuil ! Il est grand temps que la ravissante duchesse de Châtillon brille à nouveau dans les salons ! Là aussi vous pourriez entendre des potins intéressants !
Ayant dit, il posa un baiser sur la joue de sa sœur, sauta à cheval et disparut au tournant de la route. La poussière fit tousser Isabelle qui se hâta de remonter dans sa voiture. Il ne restait plus qu’à attendre la date fatidique…
Cette période, Isabelle la vécut dans une sorte d’état second. Toutes ses pensées étaient tendues vers Saint-Maur où Condé, aux prises avec ses vieux démons, n’arrivait pas à se déterminer dans un sens ou dans un autre. Par le président Viole, elle avait su qu’il avait fait deux apparitions au Parlement, pour affirmer son loyalisme envers le Roi et la Régente, mais sur un ton qui laissait percer une incertitude. Par François, elle apprit que, outre la Longueville, Claire-Clémence et son fils étaient arrivés et que les deux femmes soufflaient le feu et la fureur à l’unisson. Par le jeune Ricous, enfin, le beau-frère d’Agathe, elle apprit qu’au fort du mois d’août il s’était rendu au château de Limours, le repli d’été de Monsieur, qui, décidément calmé, avait prêché la conciliation et lui avait offert son entremise auprès de la Reine. Notre Ricous était en effet pourvu de vastes oreilles et d’un talent certain pour les laisser traîner partout. Enfin une visite éclair de François qui se tourmentait pour sa sœur et, voyant l’état de nerfs où elle se débattait, se hâta de lui communiquer une nouvelle qu’elle jugea encourageante : flanqué du seul Bouteville, Condé s’était rendu au château de Trie chez son beau-frère Longueville et, là, avait rencontré une nette opposition. Ce qui était assez naturel : le duc avait perdu le peu qui lui restait de jeunesse. Il ne s’embarquerait pas dans une nouvelle aventure et engageait fortement son beau-frère à s’en retirer.
— Qu’avez-vous à faire du chapeau de cardinal de Gondi, du mariage de votre frère Conti avec la petite Chevreuse qui, d’ailleurs, est déjà la maîtresse du coadjuteur. Quant à ma femme, elle est folle ! Elle se prend pour Antiope, la Reine des Amazones, et ne rêve que plaies et bosses.
On peut comprendre que, dans ces conditions, Isabelle brûlât d’envie d’aller rejoindre celui qu’elle aimait, mais le tirer du milieu de tous ces gens ne l’enthousiasmait guère.
Elle n’était même pas sûre que son petit frère partageât sa façon de voir les choses : il aimait tellement se battre ! On pouvait même dire qu’il avait la guerre dans le sang.
Cependant une vraie joie lui fut accordée. Chez Mme de Brienne, elle retrouva Marie de La Tour son amie d’autrefois, du temps où toutes deux faisaient partie de la joyeuse troupe de filles d’honneur qui formait autour de la princesse une guirlande aussi enjouée que parfumée. Depuis Marie s’était écartée de la Cour. Devenue vicomtesse de Saint-Sauveur, elle était veuve, comme Isabelle, à cette différence près que c’était en duel et en tant que second qu’Emmanuel de Saint-Sauveur avait rencontré la mort. Sans enfants et pourvue de quelques biens, Marie était revenue vivre à l’hôtel de Brienne, chez une marraine à laquelle l’attachait une affection réciproque.
Ce retour avait enchanté Isabelle à qui son éclat et sa beauté attiraient plus d’involontaires rivalités que d’amitié sans qu’elle fît rien pour cela. Le meilleur exemple en était la fille de Monsieur, Mlle de Montpensier, cousine du Roi et sans doute le plus beau parti de France, mais assez mal partagée sur le plan physique. Elle invitait volontiers Mme de Châtillon dont elle appréciait la gaieté et l’esprit – on pourrait même dire qu’elle était fascinée par elle –, mais ne résistait pas à l’envie de la dénigrer, en paroles ou par écrit, dès qu’elle en était éloignée.
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