— Que vous ont-ils fait, mon frère ?
— Des crétins ! Des imbéciles qui ricanent bêtement de n’importe quoi ! Mais qu’est-ce qui vous amène, ma sœur ?
— Quel accueil, pour un frère ! Vous m’avez habituée à plus d’affection !
Elle sauta à terre et lui tendit la joue pour qu’il l’embrasse. Ce qu’il exécuta à la va-vite et sans changer d’humeur.
— Voilà ! Que venez-vous chercher en ce lieu ?
— Pas vous, en tout cas ! Un vrai chardon ! Je veux voir Monsieur le Prince, naturellement !
— Vous n’avez pas de chance, il est absent !
— Où est-il ?
— Cela ne vous regarde pas !
— François, vous oubliez qui je suis ? Et surtout pas un suppôt de Mazarin ! Pour un hôtel en état de guerre, je trouve que l’on y est bien gai ce matin. Sauf vous évidemment.
Il eut un bref éclat de rire.
— S’il s’agissait d’un autre, je trouverais l’aventure réjouissante, mais notre Prince !
— Oh, racontez ! Vous me faites griller d’impatience !
— Remontez dans votre voiture, je vous rejoins.
Il se cala dans les coussins, poussa un énorme soupir puis raconta que, dans la nuit, un serviteur était venu avertir Monseigneur que deux compagnies de gardes françaises marchaient sur le faubourg Saint-Germain dans l’intention manifeste de le capturer de vive force pour le conduire à la Bastille. En même temps, on signalait des cavaliers galopant vers l’hôtel dans la plaine de Montrouge.
— Monseigneur n’a pas hésité un instant, il s’est habillé et armé en hâte puis a sauté à cheval avec une poignée de fidèles pour escorte. Moi, je devais faire front et attendre la venue de ces messieurs…
— Et alors ? demanda Isabelle qui ne riait plus. Ils l’ont rejoint ?
— Ils n’en avaient pas la moindre intention !
— Comment le savez-vous ? Ils sont venus ici, je suppose ?
— Oh non ! J’ai dépêché aux renseignements et…
Le concierge s’étant éloigné, il se remit à rire.
— Savez-vous ce qui a mis en fuite Monsieur le Prince ?
— Dites toujours !
— Les gardes françaises allaient tout bonnement à la barrière chercher un convoi de vin. Quant aux gens de Montrouge, il ne s’agissait que de maraîchers s’en allant aux Halles et…
Le rire d’Isabelle fusa, et pendant un moment le frère et la sœur, leur vieille amitié retrouvée, s’y adonnèrent sans contrainte.
— La terreur des Espagnols mise en fuite par des choux, des carottes et des tonneaux de vin ! lâcha Isabelle. C’est à mourir de rire ! J’espère que vous allez vous hâter de lui apprendre l’affreuse vérité. Au fait, où est-il ?
— Je ne suis pas sûr d’être autorisé à vous le révéler.
La gaieté de la jeune femme disparut d’un seul coup.
— Vous plaisantez, j’espère ?
— C’est que… hésita-t-il, embarrassé, je crois qu’il s’est cherché un refuge.
— Pas contre moi, j’imagine ? Je ne suis pas M. de Guitaut et je ne traîne pas une centaine des gardes dans mon sillage. Alors ?
— Il a décidé de se diriger vers Meudon…
— Pourquoi Meudon ? Il n’y possède rien.
— Non. C’est pour brouiller les pistes. En réalité, il va à Saint-Maur ! Le château est sûr, bien gardé, bien fortifié…
— Je connais, figurez-vous ! Et j’y vais sur l’heure ! J’ai certaines choses à lui dire. Je vous emmène ?
— Merci, mais je dois fermer la maison. Je vous rejoindrai !
— Encore une question : la Longueville s’y trouve ?
— Non. Je ne dis pas qu’elle ne viendra pas, mais pour le moment non !
— Parfait ! A bientôt, petit frère ! Et tâchez de vous monter plus raisonnable à l’avenir et d’oublier la guerre ! Ce n’est pas Bouteville que vous devriez vous appeler, mais Boutefeu !
— Pas mal ! Que voulez-vous, lança-t-il avec son grand rire retrouvé, on ne se refait pas ! Notre père, dont Dieu ait l’âme vaillante, en méritait autant !
— Oui, mais lui ne se trompait jamais d’ennemi ! dit-elle doucement. Vous devriez y penser Ce n’est pas Louis de Bourbon-Condé dont vous vous apprêtez à déchirer le royaume : c’est Louis XIV, fils de Saint Louis ! Songez-y !
Ce fut sans aucun plaisir qu’Isabelle revit le château de Saint-Maur. Comment oublier l’agonie désespérée de Maurice de Coligny, son beau-frère posthume, entre les torrents de larmes versés par sa maîtresse, la belle Longueville, pour laquelle il s’était battu, et celles de son meilleur ami Marcillac, qui étaient déjà en train de tomber amoureux l’un de l’autre et le cachaient à peine !
Cette fois, le joli château de Catherine de Médicis ressemblait à une forteresse guettant l’ennemi. On n’y voyait que des gens armés jusqu’aux dents arpentant les murs d’enceinte et scrutant l’horizon. Quant aux artilleurs qui veillaient aux quelques canons, c’était tout juste s’ils ne se promenaient pas une mèche allumée à la main. Néanmoins, Mme la duchesse de Châtillon et son beau sourire eurent droit à un accueil des plus courtois et plus d’un frisèrent leur moustache en la regardant. Elle apprit sans peine que Monsieur le Prince était dans son cabinet de travail. Toutes les portes s’ouvrirent devant elle, bien qu’elle n’eût guère besoin de guide pour retrouver son chemin. Enfin, il y en eut une dernière et une voix de stentor l’annonça.
Condé était là, penché sur une carte, entouré de deux de ses capitaines pour lesquels il indiquait de l’index un point sans doute important. L’annonce de Mme la duchesse de Châtillon lui fit lever la tête. Froncés de prime abord, ses sourcils se détendirent tandis que ses officiers prenaient un air béat.
— Ma belle cousine ? Mais quel heureux hasard !
— Qui pourrait avoir l’idée de passer ici par hasard ? Je viens vous voir, mon cousin, tout simplement ! Mais je crains d’être importune. Vous travailliez… quand il fait si beau ! Bonjour, messieurs !
Elle-même rayonnait de fraîcheur dans une robe de soie légère jaune clair brodée de fleurettes blanches, comme les dentelles moussant à ses coudes et autour d’un décolleté des plus convenables. Des gants blancs et une ombrelle assortie à la robe complétaient sa toilette.
— Je vous présente le chevalier de Bury et le baron de Charlier ! Mes amis, vous pouvez saluer Mme la duchesse de Châtillon… et disparaître ! Nous finirons ceci plus tard !
Les deux hommes saluèrent jusqu’à terre avant de s’éclipser avec un regret évident. Condé s’approcha de sa visiteuse, baisa sa main et lui offrit un fauteuil.
— Vous êtes aussi fraîche qu’une source et vous illuminez mon univers présent !
Elle faillit lui rétorquer que lui, en revanche, n’était pas frais le moins du monde. Sa barbe était longue, ses habits maculés et l’odeur qu’il dégageait regrettablement guerrière : celle d’un homme qui se lavait rarement, et que les bains n’attiraient que quand la température était caniculaire et qu’il rencontrait une rivière. Mais elle n’était pas venue pour lui faire la leçon. Celle-là, en tout cas ! Et quand il lui demanda quel joli vent l’amenait, elle commença par lui retirer sa main dont ses lèvres ne décollaient que pour glisser sournoisement le long du bras.
— Je viens de votre hôtel, dit-elle, où j’ai vu François… qui d’ailleurs va arriver sous peu, et je voudrais savoir depuis quand le dieu des batailles détale devant des barriques de vin, des choux, des navets, des carottes et des bottes de poireaux ?
Le « dieu des batailles » empêcha Condé de se mettre en colère, mais ses sourcils se froncèrent tout de même.
— Vous plaisantez, j’espère, fit-il sèchement.
— Pas le moins du monde ! Les cavaliers que l’on vous a fait prendre pour des chevau-légers s’en allaient escorter un convoi de vin ; quant à ceux de Montrouge, ils transportaient aux Halles une charge de légumes ! François vous en dira tout autant que moi !
— Si l’on m’a trompé, je sévirai !
— Alors ne tardez pas, mais ce n’est pas seulement pour le plaisir de rire un moment avec vous que je suis venue. C’est pour vous poser une question…
— Laquelle ?
— J’ai appris que vous craigniez de retourner à Vincennes ou à Marcoussis, voire même d’être assassiné ?
Il s’éloigna d’elle pour entamer une lente promenade, les mains derrière le dos.
— Je n’ai aucune raison de le cacher : c’est vrai ! J’en ai reçu l’assurance !
— Et de qui ?
— C’est sans importance… mais j’y crois !
— Pour ce qui est de l’assassinat, on vous a abusé. Jamais la Reine n’aurait recours à un moyen aussi vil pour mater un sujet rebelle ! De cela je suis sûre. Quant à vous renvoyer en prison, ce serait surprenant. Elle ne prendra pas un nouveau risque de mettre la moitié de Paris dans la rue, si ce n’est Paris tout entier, alors qu’il lui suffit d’attendre !
— Quoi ? La fameuse majorité ?
— Ne me dites pas que vous ne pensez pas à cet événement capital ? Sa Majesté, en tout cas, l’attend avec impatience, car cela va lui permettre de déposer enfin le fardeau écrasant d’un pouvoir qu’elle est seule à assumer ! Que vous ne cessiez de la défier en voulant obtenir un pouvoir suprême auquel vous n’avez aucun droit est sans importance à présent ! Dans peu de temps, elle s’effacera derrière le Roi ! Et ne venez pas me dire que ce n’est qu’un enfant, qu’il est trop jeune pour avoir une volonté affirmée, car je peux vous prédire que vous vous trompez lourdement. Si vous entrez en guerre contre le Palais-Royal, ce sera contre lui, et personne d’autre ! D’ailleurs, n’avez-vous pas obtenu tout ce que vous vouliez ? Mazarin chassé, son palais ravagé et tous ses biens vendus jusqu’au dernier tabouret et au dernier livre ?
— Il possède encore le cœur de la Reine !
— Mais pas celui du Roi, qui n’a guère eu à se louer d’une ladrerie qui les réduisait presque à la misère, lui et son frère ! Ecoutez-moi, Louis ! Attendez comme Anne elle-même que sonne l’heure de la majorité…
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