— Jonathan ! souffla-t-elle, ce n’est pas vous ?… Cela ne peut pas être vous ?
Elle vacillait sur ses jambes et serait tombée s’il ne s’était précipité pour la retenir et, ensuite, l’étendre doucement sur le lit
— C’est pourtant bien moi… moi qui ai tant de pardons à vous demander.
— Incroyable !… Comment pouvez-vous être ici ?
— Le plus simplement du monde. Voilà trois jours que je vous attends au Havre, dans un hôtel. Ensuite le commandant de ce navire a eu l’amabilité de participer à la petite comédie que lui demandait un homme de bien.
— Un homme de bien ? fit Alexandra qui comprenait de moins en moins. Et qui donc ?
— Vous ne vous en doutez pas un peu ? Votre nouvel oncle, voyons ! Cet excellent M. Rivaud qui est venu me chercher.
— Impossible ! Il s’occupait de ses affaires en Bordelais.
— Non. Il était à New York et même il m’a poursuivi jusqu’au fond du Connecticut.
— En ce cas, comment pouvait-il faire pour téléphoner à tante Amity au moins deux fois la semaine ? Le téléphone ne traverse pas les mers.
— Aussi n’était-ce pas lui qui était au bout du fil mais l’un de vos amis, un peintre, je crois ? Lui et votre tante avaient pris toutes leurs dispositions pour que vous n’ayez aucun soupçon.
Il parlait doucement et sa voix profonde engourdissait la jeune femme qui se croyait vraiment le jouet d’un rêve. Et, soudain, Alexandra comprit ce qui lui donnait cette impression d’irréel : un bandeau noir couvrait l’œil droit de son époux, ajoutant à ce beau visage un rien sévère une note dramatique pas tout à fait sans charme. À ce moment elle crut entendre le rire cruel de la Mandchoue et, du coup, émergea de ses brumes dans lesquelles le champagne était peut-être un peu pour quelque chose :
— Votre œil, Jonathan ! Que lui est-il arrivé ?
— Je l’ai perdu, fit-il avec désinvolture. Heureusement il m’en reste un pour contempler votre beauté, ma chérie. Il faudra vous habituer à un mari borgne.
— Je vous en supplie : dites-moi ce qui s’est passé !
— Une espèce de drame. Je venais tout juste de rentrer du Mexique lorsqu’un incendie a éclaté chez nous. Je dormais profondément quand j’ai été réveillé par trois hommes qui s’étaient introduits dans ma chambre. En dépit de leurs masques j’ai vu que c’étaient des Asiatiques… Ils venaient de fouiller votre chambre et prétendaient m’enlever pour me faire dire où se trouvait ce bijou que vous aimez tant… votre lotus. Je me suis défendu de mon mieux et d’ailleurs nos serviteurs sont accourus à la rescousse. Nous nous sommes battus et j’ai été blessé. Mes agresseurs se sont enfuis mais avant de les suivre, j’ai voulu sauver du désastre ce portrait de jeune fille par Gainsborough que vous aimez tant… et là je me suis cassé une jambe. Ce qui était tout à fait inutile, ajouta-t-il avec un petit sourire en coin, parce que les pompiers sont arrivés à ce moment-là… et que rien n’a brûlé chez vous. Chez moi non plus d’ailleurs : je me suis retrouvé dans mon lit avec le Dr Stone à mon chevet…
L’horreur, l’indignation redressèrent Alexandra :
— Pourquoi n’ai-je pas été prévenue ? Je serais revenue immédiatement.
— Justement je ne le voulais à aucun prix. J’ai donné à la police toutes les informations dont j’étais capable mais j’ai exigé que la presse ignore la vérité. Cela sert quelquefois d’être attorney général… Les journaux n’ont fait mention que d’un incendie « sans gravité ».
— Mais enfin pourquoi ne vouliez-vous pas que je revienne ? Ma place était auprès de vous.
— Et j’espère bien que vous la garderez encore longtemps, mais il faut que vous compreniez : de toute évidence, ces gens comptaient sur votre retour et tant que ces bandits n’étaient pas pris, je ne voulais pas que vous rentriez parce que vous auriez été en danger.
Elle prit la main de son mari et y posa sa joue :
— Mon pauvre Jonathan !… Et moi qui vous accusais de tous les péchés !… Mais aussi pourquoi m’avoir écrit cette lettre tellement comminatoire ?
— Pour la même raison… et parce que je vous connais à fond. Vous détestez que l’on vous fasse sentir une quelconque autorité et j’étais certain que vous entreriez en rébellion. Me confierez-vous comment vous avez réagi en la recevant ?
— J’ai décidé de faire comme si je ne l’avais pas reçue, ce qui m’évitait de répondre, et je suis partie pour la Côte d’Azur rejoindre tante Amity.
Carrington se mit à rire :
— Vous voyez bien ! J’étais sûr que cela marcherait… Comprenez-moi, Alexandra, outre les craintes que j’éprouvais pour vous, je tremblais d’horreur à l’idée du spectacle que vous auriez découvert en rentrant prématurément : un vieil époux assis dans une petite voiture, à demi défiguré, une espèce de déchet… un vieillard. Et puis, peu après, quelqu’un m’a montré… ce que vous savez…
— Qui a fait cela ? Je veux que vous me le disiez !
— Une femme jalouse, bien sûr, mais cela ne vous avancera guère de savoir son nom…
— Peut-être mais j’insiste. Qui a voulu nous détruire ?
— Si vous y tenez !… Il s’agit de lady Ann Wolsey, une jeune veuve née en Amérique dont, si mes renseignements sont bons, vous avez séduit le boy friend. Nous nous sommes rencontrés à un bridge chez le maire…
Le temps d’un éclair, Alexandra revit la jolie blonde qui occupait si fort Jean de Fontsommes chez les d’Orignac.
— C’est insensé ! fit-elle. Je la connais à peine !
— Sans doute mais vous n’en étiez pas moins son ennemie. Je sais bien que vous êtes encore très jeune, néanmoins il vous faudra apprendre que les femmes sont redoutables entre elles. Le procédé était infâme mais il m’a tout de même fait beaucoup de mal.
— Aviez-vous donc si peu confiance en moi ?
— La confiance ? Belle chose lorsque l’on est tout près l’un de l’autre mais à une telle distance ! Comprendrez-vous ce que j’ai souffert ? Aimer une femme, l’idolâtrer et l’imaginer dans les bras d’un autre alors que l’on ose à peine se glisser dans son lit ! Et surtout lorsque l’on a conscience d’une très grande différence d’âge… C’est insupportable !
Alexandra se leva et il y eut un silence. Adossée à l’une des cloisons qui semblaient animées d’une vie intérieure, elle resta un long moment à scruter le beau visage de son époux, son masque à la fois fier et viril que le funèbre bandeau ne déparait pas, bien au contraire ! Il lui apportait quelque chose d’exotique, une nuance à la fois subtile et troublante.
— Dans votre dernière lettre, vous écriviez que je vous faisais peur, murmura-t-elle. Je n’ai pas compris.
Jonathan eut l’un de ses rares et d’autant plus charmants sourires :
— Cela tient à votre jeunesse ! Au soir de nos noces, j’ai tenu dans mes bras une jeune vierge pure… et froide que j’ai été incapable d’animer. Plus la beauté de son corps se révélait et plus je me sentais pauvre… et désarmé. J’aurais voulu m’agenouiller, me prosterner, inventer des caresses sublimes et j’osais à peine vous toucher.
— Quelle folie ! N’avons-nous pas… couché ensemble ?
— Oui, fit-il avec amertume. J’ai trouvé assez de force pour vous faire femme… mais je l’ai fait avec tant de maladresse !… J’ignorais qu’une trop grande beauté peut foudroyer un homme et je me suis montré un bien piètre mari.
Lentement, Alexandra revint vers lui et lui prit les mains :
— Voulez-vous répondre à une question, Jonathan, une seule ?
— Oui, si c’est possible.
— Je le crois. M’aimez-vous ?
— Quelle question !
— Je l’ai mal posée : comment m’aimez-vous ?
— Comme un imbécile !… non, ne le prenez pas en mal mais comment puis-je vous faire partager les délires de mes nuits solitaires ? Savez-vous ce que je pensais quand, le soir, je vous regardais ôter vos bagues, vos bracelets, vos colliers et dénouer vos cheveux ? Je luttais contre moi-même pour ne pas me jeter sur vous, arracher votre robe et vous soumettre sur le tapis de votre chambre mais je craignais tellement de vous faire peur ! Vous m’auriez pris pour un fou !…
Alexandra se mit à rire :
— Je vous aurais pris pour un amant… un peu fou peut-être mais je crois bien que c’est ce que désirent toutes les femmes. Comme vous le dites, j’étais trop jeune lors de notre mariage. Moi aussi j’avais peur. On m’avait dit que je devais me soumettre à toutes les exigences de mon époux… même les plus étranges, et c’est ce que j’ai fait, en regrettant toutefois que le mariage n’eût pas plus… d’envolée. Ce n’était tout de même pas la première fois que vous faisiez l’amour, Jonathan ?
— Avec une vierge, si ! Et vous étiez la plus belle de toutes.
— Nous pourrions essayer de recommencer ?
Il vint contre elle et elle le sentit frémir. D’un geste hésitant, il posa les mains sur ses épaules mais elle eut alors un gémissement de douleur qui l’écarta aussitôt.
— Pardonnez-moi ! fit-il tout de suite affolé. J’ai oublié ce que vous avez souffert aux mains de cette horrible femme et je vous ai fait mal…
— Vous savez cela aussi ? murmura Alexandra atterrée.
— Bien sûr ! Tandis que ce navire appareillait, je buvais un verre au bar en compagnie de cet oncle étrange que je me suis découvert. Vous n’imaginez pas ce que l’on peut apprendre le temps d’un whisky !
— C’est à moi d’avoir honte à présent, murmura-t-elle les larmes aux yeux. La Mandchoue m’a marquée… comme du bétail. Comment pourriez-vous accepter cela ?
— Beaucoup mieux que vous ne l’acceptez vous-même car la cruauté des femmes est sans limites. Montrez-moi cette… blessure, ma chérie !
— Quoi ! Vous voulez ?…
Il se rapprocha d’elle, entoura sa taille de ses bras et enfouit son visage contre le cou de la jeune femme qu’il parcourut de baisers.
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