— Je veux vous déshabiller moi-même, mon amour, comme j’aurais dû le faire au soir de notre mariage. Et je vous promets que je ferai très attention…

Un moment plus tard la cabine, à peine éclairée par la roseur d’une veilleuse s’emplissait de gémissements heureux. Le vent s’était levé et la Lorraine atteignait le grand large. La longue houle balançait le navire transatlantique mais aussi le lit dévasté où Alexandra apprenait que son corps, ainsi qu’on le lui avait dit bien souvent, était véritablement fait pour l’amour…

Durant toute la traversée, on ne revit pas les Carrington…


Quelques jours avant Noël, dans l’église de la Madeleine fleurie et illuminée, le duc de Fontsommes épousait miss Cordélia Hopkins. Leur mariage, qui fut l’événement de l’hiver, rassembla une bonne partie de l’aristocratie européenne et pas mal de notabilités américaines. On déplora, bien sûr, l’absence du frère de la mariée mais Jonathan Carrington venait d’être nommé juge à la Cour suprême des États-Unis. Lui et sa jeune femme achevaient leur installation dans l’une des plus belles demeures de Washington et l’on murmurait même qu’Alexandra arborait cette intéressante pâleur qui annonce un « heureux » événement.

Les mauvaises langues qui espéraient bagarres et scandale en furent pour leur courte honte : les Carrington n’étaient pas là mais ils s’étaient fait représenter par M. et Mme Nicolas Rivaud et par la rivière de diamants qu’ils offraient à la jeune duchesse avec toute leur affection. Il n’y avait aucune raison de se montrer plus royaliste que le roi : Peter Osborne, le fiancé si lestement éconduit, n’avait pas attendu huit jours pour offrir sa main, sa fortune et son yacht à une jeune nihiliste russe, blonde comme un champ de blé, qu’il avait ramassée dans Broadway un soir de cuite et qu’il initiait depuis aux charmes du capitalisme.

Au lendemain du mariage de Délia, le marquis de Modène reçut un petit vélin azuré portant seulement quelques mots : « Le bonheur existe. Vous aviez raison… » C’était signé : Alexandra.

Les yeux clos, le vieux gentilhomme respira longuement le rectangle de carton mince où s’attardait l’âme d’un parfum. Puis il y posa ses lèvres et, enfin craquant une allumette, il y mit le feu et le regarda se réduire en cendres dans une coupe d’onyx.

Un instant, il resta devant son miroir dont il se détourna en haussant les épaules, puis il prit dans un vase un gardénia blanc qu’il glissa à la boutonnière de son habit et enfin rejoignit sa voiture après avoir reçu de son valet son chapeau, sa cape et ses gants.

— Dois-je attendre monsieur le marquis ? demanda respectueusement le serviteur.

— Non, Gustave. Allez vous coucher ! Je rentrerai sans doute fort tard…

Ce soir-là, en effet, Modène dînait chez la comtesse de Montebello, l’une des plus jolies femmes de Paris, mais il savait déjà qu’ensuite il irait passer un moment chez Maxim’s. Pour essayer d’oublier celle qu’il appelait sa belle Américaine, il voulait autour de lui tout ce que Paris comptait de filles superbes et de gaieté même un peu factice.

Il pensait qu’à son âge c’était vraiment trop bête ! Mais comment expliquer à un cœur qu’il n’a plus vingt ans ?

Notes

[1] Jusqu’à une date relativement récente, les bateaux prenaient le genre de leur nom de baptême : la Lorraine, la Provence, le Béarn,…

[2] Voir La jeune mariée.

[3] Officier d’artillerie qui travailla avec Gribeauval. Il fut engagé par Silas Deane pour commander l’artillerie des Insurgents. Son frère défendit la reine Marie-Antoinette devant la Convention.

[4] Il devait mourir en 1906.

[5] Geneviève des Cars, duchesse de Vallombrosa.

[6] Cordelia, tu es la plus belle dans ta pauvreté

Tu es un choix plus précieux dans l’abandon…

[7] Toi et tes qualités je les prends tout de suite.