— Non, Tony ! Pas maintenant.
— Vous ne pouvez rester ici éternellement… d’autant que les lois antireligieuses de ce cher M. Combes risquent de chasser les dames de Beaune de leur maison-Dieu…
— Je sais. La Mère Supérieure le craint bien qu’elles ne soient pas enseignantes… Cependant je voudrais rester encore un peu ici. Je m’y sens en paix.
— La paix viendra après la bataille. D’ailleurs il faut que vous rentriez à Paris ! Si toutefois vous souhaitez récupérer les émeraudes qu’on vous a volées. Je les ai identifiées mais Langevin ne les rendra qu’à vous.
— Et le pendentif ? L’a-t-il aussi retrouvé ? demanda Alexandra avec un cri de joie.
— Non. C’est même à cause de lui que l’on a assassiné votre voleur…
— Assassiné ?
— Oui. C’était un vieil ami à moi et l’autre jour, en allant le voir chez lui, j’ai trouvé le commissaire Langevin auprès de son cadavre au milieu d’un appartement saccagé. Tous les autres bijoux qu’il possédait étaient étalés sur son lit éventré, tous sauf le médaillon. Par contre, on avait écrit le nom de Ts’eu-hi en caractères chinois sur sa poitrine. Le meurtrier ou plutôt la meurtrière a agi en son nom.
— Ce serait une femme ? Comment le savez-vous ?
Antoine, alors, raconta l’épisode du peintre et comment celui-ci avait réussi à en tracer un portrait approximatif.
— J’ai reconnu tout de suite cette femme que nous avions rencontrée à l’Opéra et qui vous avait laissé une impression pénible.
— En effet mais, vous le savez, tout visage asiatique m’est désagréable. Vous êtes certain que c’était elle ?
— Voyez plutôt !
Il tira de sa poche la feuille de papier où il avait recopié le dessin et la mit entre les mains d’Alexandra mais, à peine eut-elle jeté un coup d’œil qu’elle devint très pâle et dut s’appuyer au pilier de bois près duquel elle était assise.
— Mon Dieu !… fit-elle seulement.
Comprenant qu’elle était en train de s’évanouir, Antoine se pencha sur elle et lui appliqua sur les joues quelques claques pas trop appuyées.
— Eh bien, Alexandra, eh bien ! On dirait que je vous ai montré un fantôme ?
Preuve patente que la communauté s’intéressait à leurs faits et gestes, sœur Marie-Gabrielle accourait déjà avec des sels d’ammoniaque et un cordial. Heureusement, le malaise était léger et la jeune femme fut vite ranimée. Elle sourit à la petite nonne et lui pressa la main :
— Cela va mieux. Merci, ma sœur !… Antoine, continua-t-elle en se tournant vers lui, comment n’avez-vous pas reconnu ce démon, cette Pivoine qui m’avait livrée au prince Tuan ?
— Vous en êtes certaine ? En ce cas comment ne l’avez-vous pas identifiée vous-même au théâtre ?
— Elle était tellement différente ! Le costume occidental, je pense, la coiffure et aussi le maquillage mais là, à visage nu, le doute n’est pas possible. Ce qui m’étonne, d’ailleurs, c’est de ne pas avoir été attaquée moi-même puisque, ce soir-là, je portais le lotus ?
— Ce genre d’entreprise n’est guère facile en France. Les Chinois qui séjournent ici font plutôt patte de velours pour ne pas compromettre leurs missions diplomatiques destinées à les aider à assimiler le modernisme. Ils sont surveillés et d’ailleurs peu nombreux et ils se tiennent tranquilles car le peuple ne les aime pas et ne verrait aucun inconvénient à en lyncher un ou deux le cas échéant. En ce qui vous concerne vous êtes toujours très entourée. Quant au Ritz il est très protégé étant donné la qualité des gens qui y descendent…
— Admettons ! Cela ne change rien au fait qu’un homme a été tué et que cette affreuse créature n’a pas hésité à frapper en plein Paris ?
— Aussi faut-il que vous rentriez avec moi, plaida Antoine. Pour avoir réussi à savoir que Moineau détenait le lotus, cette femme doit être le diable et si je vous ai trouvée elle peut en faire autant. Cette maison, si vénérable soit-elle, n’a rien d’une forteresse. Vous y êtes loin de tout et Langevin n’a pas les moyens de vous y protéger.
— Mais enfin, Antoine, soyez raisonnable ! Elle a ce qu’elle cherchait à présent. Pourquoi donc s’en prendrait-elle à moi ?
— Vous ne connaissez rien à l’âme chinoise. L’homme qui vous a donné ce bijou était le seul que T’seu-hi ait jamais aimé et vous aviez su attirer plus que son désir : crime d’autant plus impardonnable que le prince est mort à présent. Mais vous êtes bien sûre de votre mémoire ? Il s’agit bien de cette Pivoine ?
— Absolument. Il n’y a pas tellement longtemps qu’elle ne hante plus mes cauchemars.
— Alors il faut rentrer à Paris au plus vite. La voiture que j’ai louée va nous ramener à Dijon d’où je téléphonerai au commissaire Langevin pour lui dire ce que nous savons et lui demander d’aller prévenir mon ami Edouard Blanchard. Si cette ancienne « Lanterne Rouge » a commencé de tuer elle s’en prendra très certainement à Mme Blanchard, je veux dire Orchidée, son ancienne compagne qui, elle aussi, a trahi la maîtresse vénérée. Allez vous préparer, je vous emmène !
— Mais je vous ai dit…
— Ne discutez pas, Alexandra ! À présent que je sais qui est la meurtrière, je ne vous laisserai pas derrière moi…
Matée, la jeune femme obéit et s’en alla faire ses adieux aux religieuses et rassembler ses bagages. Au ton et au regard d’Antoine, elle comprenait qu’en cas de refus il était tout à fait capable de la charger sur son dos comme un simple sac de farine et de l’emporter sans lui donner même le temps de prendre un mouchoir.
Un moment plus tard elle roulait à ses côtés en direction de Dijon puis, plus tard encore, de Paris où ils arrivèrent aux environs de minuit. La bonne Mme Brenet devait attendre longtemps ce client si aimable qui lui avait promis de revenir dîner. Elle en conçut, de ce jour, une sorte de méfiance envers les dames de l’Hôtel-Dieu qu’elle n’hésitait plus à accuser de concurrence déloyale…
Le commissaire Langevin, l’air plus las que jamais et les mains au fond des poches de son patelot mastic, vint accueillir les voyageurs en gare de Lyon et put donner à Antoine toutes assurances touchant la sécurité de sa compagne. Mrs Carrington serait surveillée discrètement jour et nuit où qu’elle aille. Quant à M. et Mme Blanchard, il ne les avait pas trouvés : ils profitaient de l’été pour faire un grand voyage au Canada et aux États-Unis. On ne les attendait pas avant fin octobre. Il serait temps de les prévenir à leur retour si la police n’avait pas réussi à mettre la main sur la vénéneuse Pivoine.
— Ce qui pourrait bien ne pas tarder, conclut-il avec satisfaction, et cela grâce à l’appui de la presse. Dès demain, les journaux de Paris et même de province vont reproduire en première page le dessin que nous avons.
— Je suis prête à offrir une récompense à qui la fera prendre, dit Alexandra. Cette femme est pire qu’un serpent à sonnette et il ne faut pas qu’elle continue à tuer…
— Je ne suis pas d’accord, fit Langevin. Cela nous vaudrait une avalanche d’informations au milieu desquelles nous aurions bien du mal à démêler la vérité. Croyez-moi, les Français ont pas mal de défauts mais ils sont tout à fait capables de se dévouer pour la justice… et sans contrepartie.
Au Ritz, le retour nocturne et inopiné de Mrs Carrington ne troubla personne : la maison était de trop haute qualité pour se permettre de bouger seulement un sourcil devant les allées et venues peu orthodoxes d’une cliente comme Mrs Carrington et celle-ci retrouva son bel appartement fleuri de frais après avoir partagé avec ses deux amis le champagne de bienvenue qu’Olivier Dabescat, toujours grand seigneur, tint à leur offrir dans un petit salon tandis que Langevin lui faisait quelques recommandations instantes. Néanmoins, lorsque tout le monde se fut retiré, il ne résista pas à l’envie de faire connaître son sentiment au chef sommelier.
— M. Forain a dit un jour du salon de Mme la duchesse de Rohan qui reçoit tant de gens disparates que c’était la rue avec un toit dessus. Je me demande si notre maison n’est pas en train de prendre modèle sur elle. Des policiers en civil ici ! Chapeaux melons et chaussures à clous ! Je crois que je les préférerais en uniforme ! De quoi est-ce que le hall va avoir l’air ainsi habité ?
Le maître des illustres caves se mit à rire :
— Commandez un supplément de plantes vertes ! Vous les cacherez derrière. Il ne vous restera plus qu’à les arroser…
CHAPITRE XIII
LA FIN DU VOYAGE
Quand le lendemain, tard dans la matinée, Alexandra sonna pour son petit déjeuner, elle vit Mme Rivaud pénétrer dans sa chambre à la suite du plateau. Du coup, elle jaillit de son lit pour sauter au cou de cette visiteuse qui lui avait tellement manqué.
— Tante Amity ! soupira-t-elle. Pourquoi m’avez-vous abandonnée ? Depuis votre départ je n’ai fait que des bêtises…
Les deux femmes s’embrassèrent avec une vraie tendresse. Puis l’ancienne miss Forbes tendit un peignoir à sa nièce et ordonna à la femme de chambre de déposer le plateau dans le salon puis de lui apporter à elle-même un grand pot de café et des croissants :
— Le café de ma cuisinière n’est qu’une infâme lavasse et je n’ai pas encore eu le temps de lui apprendre à le faire. Ici, au moins, je vais pouvoir déjeuner sans risquer ma vie.
— Quand donc êtes-vous rentrés ?
— Cette nuit et, ce matin, à l’aurore nous trouvions votre ami Tony, débordant d’excuses, pratiquement assis sur le paillasson. Il en a été bien puni : on lui a offert du café !
Alexandra regarda sa tante avec admiration : elle débordait visiblement de joie de vivre et sa mine, sous une plantation de marguerites en velours, était admirable :
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