Le policier était en train d’examiner un très beau collier d’émeraudes et de diamants qu’Antoine n’avait jamais volé mais qui ne lui était pas étranger.

— Je connais ce collier, dit-il en enlevant le joyau des mains de l’homme. Il appartient à Mrs Carrington, une de mes amies…

— … à laquelle il a été volé dans un train omnibus reliant Dijon à Lyon, compléta Langevin. J’espérais que ce serait lui mais je n’en étais pas certain. D’autant que le médaillon manque à l’appel.

— Mrs Carrington dans un train omnibus ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Je vais vous raconter ça quand le médecin légiste sera arrivé. Nous avons trouvé tous ces bijoux là où vous les voyez. L’assassin les a dédaignés. Néanmoins je me demande s’il ne cherchait pas uniquement ce médaillon chinois.

— Une pièce de jade blanc sertie d’or et représentant un lotus ?

— Exactement. On l’a volé en même temps que les émeraudes.

— Alors, dit Antoine d’une voix sombre, ne cherchez pas plus loin le mobile du crime. Ce bijou appartenait au trésor de Ts’eu-Hi. C’est lui que l’on voulait… Alexandra a été folle de le garder et plus encore de l’apporter en France. L’étonnant est qu’il ne lui soit rien arrivé à elle.

— Quelle femme extraordinaire ! fit le commissaire avec un demi-sourire. Pas facile de voler quelqu’un qui ne tient pas en place ! J’imagine qu’en la rencontrant, notre Moineau ignorait ce qu’il allait trouver. Il a dû être fasciné par la petite mallette à bijoux qu’elle portait, l’a ouverte pendant qu’elle dormait et s’est contenté de prendre ce qu’il y avait dans le compartiment du dessus… C’était déjà fort beau et sans doute ne voulait-il pas dépouiller complètement une aussi jolie femme. En son temps, il avait une certaine réputation de délicatesse…

Un moment plus tard, le policier et le peintre sortaient de la Taverne du Palais, située en face du Palais de Justice où ils étaient allés s’installer pour boire un café en partageant fraternellement leurs informations.

— Allez-vous faire le voyage de New York pour rapporter sa parure à Mrs Carrington ? demanda Antoine.

— Certainement pas. Elle est peut-être revenue à Paris en ce moment. Elle devait aller visiter Venise avant de rentrer pour rejoindre sa tante, la nouvelle Mme Rivaud…

— Miss Forbes mariée ! s’écria Antoine en riant. Qui aurait jamais imaginé cela ?

— J’ai appris qu’avec les Américaines on pouvait s’attendre à tout mais je vous assure que Nicolas Rivaud, l’un de mes vieux amis, est un gentilhomme à sa manière. En tout cas, ils forment tous deux un couple heureux et vous verrez que « tante Amity » fait une Parisienne très convaincante.

— Pourquoi pas ? Que pensez-vous faire à présent ? Voulez-vous que nous poussions jusqu’au Ritz voir si Mrs Carrington est rentrée ?

— J’y pensais. Ce sera un plaisir que de voir sourire cette adorable femme…

— Vous n’aurez droit qu’à un demi-sourire puisque son médaillon manque à l’appel. J’avoue néanmoins être soulagé, personnellement, que cette dangereuse babiole ne soit plus entre ses mains.

Quand ils arrivèrent au palace de la place Vendôme, les deux hommes trouvèrent Olivier Dabescat dans tous ses états et il s’en fallut de peu qu’il n’éclatât en sanglots quand ils demandèrent Mrs Carrington.

— Elle n’est plus là, messieurs ! s’écria-t-il d’un ton tragique tout à fait digne du grand Mounet-Sully. Concevez-vous cela ? Elle est arrivée ce matin par l’Orient-Express et elle est partie il y a un moment pour la gare de Lyon sans même défaire ses bagages ?

— La gare de Lyon ? fit Antoine. Où allait-elle donc ?

— Ne me le demandez pas, je n’en sais rien ! Tout ce que je peux vous dire c’est qu’elle semblait bouleversée, qu’elle a laissé une lettre pour miss Forbes… je veux dire Mme Rivaud et qu’elle comptait attraper le Méditerranée-Express ! C’est à devenir fou, croyez-moi !

CHAPITRE XII

UN REFUGE...













Alexandra atteignit le train une minute seulement avant la fermeture des portières. En la voyant accourir flanquée d’un porteur et aussi vite que le permettaient sa longue jupe, ses jupons mousseux et le bon équilibre de son chapeau, Pierre Bault eut l’impression qu’une nouvelle bourrasque d’un vent de catastrophe allait souffler sur son wagon. D’autant que la jeune femme semblait bouleversée et qu’en dépit d’un poudrage hâtif, son visage portait d’évidentes traces de larmes :

— On m’a dit que vous aviez encore de la place ! fit-elle en essayant de reprendre son souffle.

— Oui, montez vite !

Il hissa la jeune femme et s’empara des bagages que le porteur lui jeta plus qu’il ne les lui passa. Il était vraiment temps : le coup de sifflet du départ se faisait entendre. Alexandra glissa vivement un billet dans la main du bagagiste puis regarda le conducteur d’un air un peu hagard :

— Il était écrit que je vous encombrerais encore ! soupira-t-elle. Conduisez-moi vite à mon compartiment : j’ai vraiment besoin de repos…

— C’est visible à l’œil nu, madame. Malheureusement, vous serez sur les roues. C’est ma seule cabine libre.

— Aucune importance. Il me semble que je pourrais dormir sur le lit de clous d’un fakir.

— Grâce à Dieu je vous offrirai mieux, fit Pierre avec un demi-sourire. Puis-je vous demander où vous allez ?

— À Cannes.

Un instant plus tard, Alexandra prenait possession d’un sleeping en tout point semblable à celui dont elle avait conservé le souvenir. À cette différence près qu’aucune porte de communication ne permettait de passer chez le voisin…

— Voulez-vous boire quelque chose ? proposa le conducteur. Vous semblez en avoir grand besoin, Mrs Carrington.

— Vous vous souvenez de mon nom ?

— Oh, madame, vous êtes de celles qu’avec la meilleure volonté du monde on ne peut oublier. Mais si je peux me permettre, vous avez l’air recrue de fatigue : comme si vous veniez d’accomplir un long voyage.

— C’est un peu cela : je suis arrivée de Vienne ce matin. Est-il possible de me servir ici un semblant de dîner : un consommé par exemple et peut-être une omelette… Je n’irai pas au wagon-restaurant.

— Je comprends que vous n’en ayez pas gardé un excellent souvenir… Je vous ferai porter tout ce que vous voudrez.

— Merci… J’avoue que, pour l’instant, un peu de cognac me ferait plaisir.

Pierre Bault qui, en proposant une boisson, pensait à un thé bien chaud garda pour lui ses réflexions. Décidément, les dames américaines ne ressemblaient pas tout à fait à leurs sœurs européennes mais à tout prendre, il trouva cela plutôt sympathique : à moins d’être Anglais une tasse de thé n’avait jamais réconforté personne, selon lui.

Un moment plus tard, nantie d’une honnête ration d’un sublime « trois étoiles », Alexandra, débarrassée de son chapeau et de son cache-poussière, dégustait le breuvage en regardant défiler la banlieue parisienne qu’elle jugea tout aussi déprimante qu’à son premier passage.

En fait, Alexandra ne savait plus très bien où elle en était. Son premier mouvement lorsqu’elle avait émergé de son lit et de ses vagues de désespoir avait été de s’enquérir des prochains départs de paquebots pour l’Amérique mais elle avait raccroché le téléphone intérieur avant même d’entendre la voix du portier. Qu’irait-elle faire à New York où d’ailleurs Jonathan ne serait pas et où peut-être sa maison lui serait fermée ? Attendre dans un hôtel en étouffant de chaleur et sous l’œil goguenard des malveillants que son époux daigne revenir, se traîner ensuite à ses pieds pour implorer un pardon tout à fait hors de saison et le faire annuler une décision pour le moins hâtive ? Carrington avait condamné sa femme sans même l’entendre, sans lui accorder le droit légitime de se disculper. Plus grave encore : il avait cru sans l’ombre d’une hésitation un vil ragot de journaliste. Comment, dans ces conditions, la jeune femme ne se sentirait-elle pas offensée ? Et d’autant moins disposée à faire fi de son orgueil en présentant une quelconque défense…

S’il y avait une chose qu’elle détestait entre toutes, c’était l’injustice. Or l’arrêt que venait de rendre le juge Carrington criait l’injustice même si l’on pouvait comprendre un accès de mauvaise humeur dû au silence épistolaire de sa femme. Ce qui d’ailleurs ne constituait pas une excuse.

Une autre idée traversa l’esprit d’Alexandra : et s’il ne s’agissait que d’une manœuvre destinée à l’évincer ? Si Jonathan venait de saisir au bond une balle représentant pour lui un très valable prétexte ? Alexandra n’ignorait pas qu’à New York elle ne comptait pas que des amies, tant s’en faut. Il y avait toutes celles et tous ceux que son mariage avait déçus ou même dépités, tous les envieux, tous les aigris, tous ceux qui ne lui pardonnaient ni son éclat ni ses succès mondains. Sans compter tous ceux qu’elle ne connaissait pas… ou qui ne la connaissaient que par ouï-dire ou par les échos des potins.

Qui pouvait dire si une femme n’avait pas réussi à séduire Jonathan ? D’ailleurs seule une femme avait pu être assez perfide pour faire parvenir à l’attorney général le venimeux papier en prenant bien soin de ne pas y ajouter les excuses du journaliste.

Pendant plusieurs heures, les idées se bousculèrent dans la tête d’Alexandra au point qu’elle s’avoua bientôt incapable de voir clair dans sa situation.

Naturellement, elle pensa tout de suite à sa chère tante Amity et souhaita chercher refuge auprès d’elle et aussi auprès de l’oncle Nicolas dont la sagesse, l’amitié et l’esprit clairvoyant faisaient un inappréciable conseiller. Hélas, lorsqu’elle appela au téléphone l’appartement du quai Voltaire, elle n’atteignit qu’un serviteur à la voix solennelle. M. et Mme Rivaud n’étaient pas encore rentrés de Touraine et, comme il se doit lorsqu’il s’agit d’un voyage de noces, on ignorait où ils se trouvaient.