À la manière des belles coureuses d’aventures du temps jadis, elle s’enveloppa dans une ample et légère mante de soie dont elle baissa le capuchon, regrettant presque que le temps des masques fût passé… En descendant rejoindre sa gondole, le cœur lui battait un peu vite mais c’était une sensation délicieuse car il semblait à la jeune femme qu’elle était au seuil d’instants merveilleux. Néanmoins, ce fut d’une voix ferme qu’elle ordonna à Beppo de la conduire au palais Morosini. L’idée ne lui venait même pas que Fontsommes pût être absent. Il était là, il ne pouvait pas ne pas être là puisqu’elle venait à lui. Et, de fait, quand un grand laquais en costume amarante lui offrit la main pour l’aider à poser sur le débarcadère son pied chaussé de satin, il déclara que « Monsieur le duc était là ».
Un instant plus tard, dans une large galerie décorée de rostres et d’anciennes lanternes de navire, le valet ouvrit devant elle une haute porte donnant sur une bibliothèque, près de la cheminée où Jean, en habit, se tenait debout, fumant un cigare.
— Entrez ! dit-il simplement. Je vous attendais.
CHAPITRE XI
LA FUITE EN AVANT
Avec ses fenêtres gothiques, les caissons enluminés du plafond et ses milliers de livres reliés de cuirs précieux, la pièce était d’une rare beauté. Le portrait d’un doge en formait le point d’orgue. Alexandra embrassa cet ensemble d’un coup d’œil tandis que Jean venait à elle après avoir jeté son cigare dans la cheminée. Il s’inclina et prit pour la baiser la main qu’on lui tendait.
— Comment pouviez-vous m’attendre ? fit la jeune femme. Je n’ai pas annoncé ma visite.
— Disons que je l’espérais. Sinon, je comptais me rendre demain au Danieli pour vous demander audience.
Elle frissonna légèrement quand les mains du jeune homme l’effleurèrent en la débarrassant de sa mante et surtout quand elle put lire dans son regard qu’il appréciait l’image qu’elle lui offrait.
— Il semble, dit-il avec un sourire, que vous possédiez le pouvoir d’être toujours plus belle lorsque nous nous rencontrons. Je m’en réjouis puisque nous allons tisser entre nous des liens de famille.
Le mot et surtout ce qu’il évoquait rendit à la jeune femme son irritation.
— Nous n’en sommes pas là, fit-elle sèchement. Et je suis venue vous demander de mettre un terme à cette comédie.
— Il ne s’agit pas d’une comédie.
— Vous osez me dire cela en face après ce qui s’est passé entre nous ?
— Mais il ne s’est rien passé entre nous, fit-il avec une grande douceur. J’avoue l’avoir profondément regretté et je reconnais bien volontiers aussi que vous m’avez fait souffrir. À présent je vous remercie d’avoir montré de la raison pour deux. Et si je voulais me rendre auprès de vous demain, c’était pour implorer de vous mon pardon.
— L’amour n’a pas besoin de pardon, murmura-t-elle avec une tristesse qui n’échappa pas au jeune homme. Et vous prétendiez m’aimer ?
— J’étais sincère. Vous m’aviez fait perdre la tête. Depuis notre rencontre, j’ai connu durant des semaines des alternances d’espoir et de rage au point de ne plus penser ni agir que pour vous conquérir. Vous avoir à moi, vous faire mienne était mon unique espérance, mon unique désir. Je vous ai voulue de toutes mes forces… au point d’aller jusqu’à vous offrir le mariage, à vous… une femme mariée… Je me suis couvert de ridicule.
— La sincérité n’est jamais ridicule. Malheureusement, je n’y croyais pas…
— C’est, madame, de la fausse modestie ou de l’inconscience. Votre miroir ne vous dit-il pas chaque jour à quel point vous êtes séduisante ? Mon excuse vient de ce que je me suis complètement trompé sur vous, mais comment imaginer que sous une beauté aussi brûlante que la vôtre court un sang glacé ? Il est vrai que je ne connais guère les Américaines. Il paraît que chez vous le flirt représente un passe-temps et rien de plus…
— Ne confondez-vous pas la froideur et l’honnêteté ? Ce que chez vous l’on appelle la vertu ?
— Avec une femme telle que vous on ne peut que confondre. Les femmes vertueuses que je connais – et croyez-moi, il y en a ! – ne s’amuseraient jamais à ces jeux cruels qui consistent à affoler un malheureux pour le repousser ensuite avec un entier dédain…
Alexandra haussa les épaules et, quittant le siège qu’il lui avait offert, se dirigea vers l’une des fenêtres pour contempler les reflets des lumières dans l’eau du Grand Canal :
— Cela tient peut-être à ce que, gâté par trop de femmes, vous êtes trop sûr de vous. Dès le début de nos relations je vous ai laissé entendre que je n’étais pas accessible.
— Alors il fallait cesser de me voir au lieu de m’attirer ; il fallait me tourner le dos à chacune de nos rencontres et ne pas accepter mes hommages comme vous l’avez fait ; il fallait refuser de danser avec moi et Dieu sait si nous avons dansé souvent ! Avez-vous oublié avec quel abandon vous vous laissiez emporter par moi ? Mais, avouez-le, vous preniez plaisir à me tourner la tête.
— Il n’a jamais été défendu à une femme d’être un peu coquette…
— Un peu ? Vous l’êtes effroyablement… et ne me dites pas qu’il s’agit là d’une qualité commune à toutes les Américaines ? Dolly d’Orignac et Elaine Orseolo sont la preuve du contraire.
— N’est-ce pas un peu facile de me traiter en coupable après la façon dont vous vous êtes conduit, après surtout ce que vous venez de faire ?
— Si vous voulez parler de Délia, je l’aime, tout simplement.
— Un sentiment un peu soudain ?
— Nul n’est maître de son cœur. Je ne m’attendais pas à le voir m’échapper hier.
— Et vous êtes bien certain cette fois qu’il s’agit d’amour ? Vous semblez confondre assez facilement, il me semble ?
— Je l’avoue, avec vous j’ai confondu l’amour et le désir. Ce que j’éprouve pour elle est bien différent. Je la trouve exquise… pleine de vie et de grâce. Elle incarne le rêve que tout homme porte en lui lorsqu’il évoque celle à laquelle il souhaite consacrer sa vie. En outre, elle est, je crois, prête pour l’amour, ce que – pardonnez ma brutalité – vous ne serez jamais…
— Qu’est-ce qui vous donne le droit de l’affirmer ?
Elle avait presque crié et une telle révolte vibrait dans sa voix que Fontsommes la regarda, scrutant ce visage dont les grands yeux brillaient de larmes contenues, dont les lèvres entrouvertes ressemblaient à un fruit gonflé de sève. Il eut un éblouissement : se pouvait-il qu’elle fût venue pour se donner ? Cette robe audacieuse, ce décolleté révélateur, ce regard qui se noyait ! Il n’avait qu’un geste à faire pour qu’elle tombe dans ses bras et qu’il puisse enfin, sur ce canapé, vaincre ce corps dont il avait tant rêvé…
Leur vie à tous deux se joua dans cet instant de silence. Alexandra fit deux pas en direction du jeune homme qui sentit son désir revenir. Comment résister à une telle sirène ?… Et, soudain, quelque part au-dehors, un rire joyeux de femme lui parvint par la fenêtre ouverte et ce rire ressemblait à celui de Délia. Aussitôt, il crut la voir telle qu’elle lui était apparue dans la galerie. Qu’il cède à la tentation et il la perdrait à tout jamais ! Une perte dont il traînerait le regret sa vie entière car Délia, elle, ne se marchandait pas. Elle ignorait tout des ruses et des faux-semblants, et son amour, elle n’avait pas cherché à le dissimuler.
Qu’aurait-il en échange ? Une heure de passion brûlante, la satisfaction orgueilleuse d’avoir vaincu cette femme et ensuite ? La pensée lui vint, fulgurante, qu’elle ne venait pas à lui uniquement sous l’impulsion d’un désir égal au sien mais pour le forcer à briser le lien tissé avec Délia. Quelle meilleure façon d’ouvrir les yeux d’une innocente sur la valeur réelle de l’homme qu’elle voulait épouser ?
Alexandra fit encore un pas. Qu’elle en fît un autre et elle serait presque contre lui. Alors il recula puis, se détournant, il alla jusqu’à un cabinet Renaissance fait d’ébène, d’ivoire et de pierres dures qu’il ouvrit pour en sortir deux tulipes de cristal :
— Je manque à mes devoirs essentiels et vous en demande pardon. Puis-je vous offrir quelque chose ? La soirée est un peu fraîche.
Au prix d’un immense effort de volonté, Alexandra retint le cri de douleur et de colère qu’elle sentait monter. Cet homme dont elle savait bien à présent qu’elle l’adorait venait de la refuser. C’était aussi net que s’il l’avait repoussée de la main. Elle sentit sa raison vaciller mais l’orgueil vint à son secours. Le gifler comme elle brûlait d’envie de le faire et s’enfuir ensuite ne serait rien d’autre qu’un aveu de défaite. Alors elle décida de faire face. Le combat ne devait pas finir ainsi. Avec nonchalance, elle alla s’asseoir sur l’un des canapés, toussota pour s’éclaircir la voix comme une cantatrice sur le point d’entamer un grand air et soupira :
— Un rien de brandy me ferait plaisir…
Il la servit avant de venir s’asseoir en face d’elle juste sous le portrait du Doge dont la ressemblance avec lui devint évidente. Ils burent en silence puis Mrs Carrington reprit :
— Savez-vous que ce mariage, puisque vous semblez y tenir, va briser la vie d’un homme ? Vous faites bon marché, vous et ma belle-sœur, des sentiments de Peter Osborne. Il est bien loin d’être un pantin de salon… et il devait épouser Délia dans deux mois.
La phrase délibérément offensante n’arracha à Jean qu’un sourire dédaigneux :
— Je le sais mais en ce cas pourquoi l’avoir laissée partir ?
— Parce que personne n’a jamais pu empêcher Délia d’en faire à sa tête. Vous pourriez vous en apercevoir.
— Je n’ai pas peur. À la place de son fiancé je ne lui aurais pas permis de me quitter ou alors je serais parti avec elle.
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