Il toussota pour s’éclaircir la voix mais n’éleva pas le ton en demandant :
— Vous êtes bien certaine de me dire la vérité ?
— Monsieur le commissaire ! protesta Mrs Carrington, je ne vois pas ce qui pourrait vous inciter à penser le contraire.
— Vraiment ? Loin de moi la pensée de vous offenser, madame, mais… les choses seraient plus simples si vous vouliez bien voir en moi autre chose qu’un policier. Il arrive que, dans certains cas, notre rôle s’apparente à celui du confesseur.
— N’étant pas catholique, je n’ai jamais eu de confesseur, riposta sèchement la jeune femme. En outre, je vois mal ce que je pourrais avoir à vous confier.
— Pas même… ceci ?
Tirant de sa poche un journal, il le déplia, l’ouvrit à la page qui convenait, souligna quelque chose d’un trait de crayon puis tendit le tout à Alexandra. C’était un numéro du Journal datant de la veille et l’article était signé de Jean Lorrain.
Avec sa verve habituelle, le chroniqueur y racontait les mésaventures d’une belle Américaine qui, durant plusieurs semaines, avait fait l’ornement des salons parisiens et qui, prise d’une soudaine envie de voyager, s’était embarquée abord d’un train en partance pour la Côte d’Azur au moment même où l’un de ses plus ardents admirateurs prenait place à bord du même train. Cet homme, un fort grand seigneur, était curieusement descendu en gare de Dijon où il n’avait sans doute rien à faire et, chose étrange, quelques kilomètres plus loin, la belle dame, incapable sans doute de supporter son départ, tirait le signal d’alarme et se faisait déposer à Beaune. Il s’agissait là, très certainement, de l’aboutissement logique d’un roman mondain comme Paris en voyait fleurir à chaque printemps. Le Méditerranée-Express aurait même retenti des échos d’une dispute à la suite de laquelle le gentilhomme aurait choisi de quitter le train suivi à courte distance par sa belle amie. Le signataire de l’article supposait aimablement qu’une réconciliation pouvait avoir eu lieu dans quelque agréable auberge d’une côte qui, si elle n’était pas d’azur mais d’or, offrait bien des délices à qui savait les découvrir. Naturellement, aucun nom n’était mentionné mais une simple initiale devenait très révélatrice.
Lorsque Mrs Carrington eut achevé sa lecture, elle était si pâle et si visiblement bouleversée que Langevin eut pitié d’elle. S’il n’avait pas cru un mot de son histoire de claustrophobie, la version de Lorrain lui inspirait une instinctive méfiance. D’abord parce qu’il ne l’aimait pas et haïssait le plaisir que ce favorisé de la fortune prenait à faire le mal. Ensuite à cause de la souffrance réelle qu’il lisait dans les yeux de cette femme… Elle avait laissé tomber la feuille et à présent semblait absente :
— Il était descendu à Dijon, murmura-t-elle pour elle-même plus que pour son interlocuteur. Si j’avais su…
Abandonnant son siège derrière cette table qui lui donnait un air un rien trop officiel, le commissaire tira un fauteuil et vint s’asseoir près d’Alexandra :
— Oubliez un moment ce torchon, madame, et tâchons d’y voir clair dans cette affaire peu banale ! Voulez-vous enfin m’accorder votre confiance et me dire ce qui s’est réellement passé ?
— Oui, parce que j’en viens à croire que vous êtes ma seule chance de réparer plus ou moins ma réputation qui, à cette heure, doit être en morceaux. Ce misérable n’a pas perdu de temps pour se venger d’une rebuffade…
— Que lui avez-vous fait ?
Alexandra raconta la scène du wagon-restaurant et comment, agacée par ses attaques contre ses compatriotes, elle avait prié le journaliste d’aller dîner ailleurs :
— J’ai hérité à sa place d’une lady Glossop qui n’était pas beaucoup plus récréative et j’ai abrégé mon repas en demandant que l’on me serve le café chez moi.
— Bien. À présent, dites-moi : le duc de Fontsommes, puisqu’il doit s’agir de lui si je traduis bien l’initiale et la description de Lorrain, était-il aussi au wagon-restaurant ?
— Non. J’ignorais même sa présence dans le train sinon j’en serais descendue en gare de Lyon. C’est à cause de lui que j’ai quitté Paris et il était la dernière personne que je souhaitais rencontrer.
— Je vois. Pouvez-vous maintenant m’en dire plus ? J’ajoute que ma discrétion vous est acquise pour tout ce qui pourrait blesser votre sensibilité.
— Je n’en doute pas… Donc, M. de Fontsommes s’était arrangé pour qu’à l’exception du conducteur personne ne sût sa présence à bord du Méditerranée-Express. J’admets que, ces dernières semaines, on nous a beaucoup vus ensemble et que… j’avais plaisir à sa compagnie…
— Seulement plaisir… ou un peu plus ?
— Si vous le connaissez vous devez savoir qu’il est fort séduisant et que sortir avec lui est plutôt flatteur. Je reconnais cependant qu’il m’a inspiré… un peu plus que de la sympathie… De son côté, il semble qu’il en ait tiré des conclusions peut-être excessives.
Et de raconter avec une netteté et une franchise que Langevin admira sans réserve tout ce qui s’était passé entre elle et Jean à Versailles d’abord et ensuite dans le Méditerranée-Express.
— Après cette scène vraiment éprouvante j’ai été prise d’une terrible envie de fuir ce train. Ignorant que le duc était descendu à Dijon, je ne m’y sentais plus en sûreté et lorsque je dis que j’y étouffais, je ne travestis en rien la vérité. Il fallait que je sorte à n’importe quel prix.
Langevin se permit un sourire :
— Le prix a dû être assez élevé. Cela coûte cher de stopper un express…
— C’était de peu d’importance en comparaison de la sensation de liberté et aussi de sécurité que j’ai éprouvée. En outre j’ai découvert une ville ravissante.
— Je suis né à quelques kilomètres de Beaune et je suis heureux que vous l’ayez appréciée… À présent revenons-en au vol de vos bijoux : si je m’en tiens à ce que m’a appris mon ami Rivaud, vous n’avez perdu votre mallette de vue que durant le temps de ce dîner en compagnie de Lorrain d’abord, de la vieille lady ensuite ?
— Absolument et là-dessus je suis formelle. Pendant ma nuit à Beaune, ma chambre était bien fermée et lorsque je suis allée visiter la ville comme au cours des repas, je l’ai gardée avec moi. Ce n’est pas un bagage très lourd ni très encombrant.
— Bien. De ce que vous me dites, il ressort que, dans le Méditerranée-Express, deux personnes seulement ont pu accomplir le vol : le conducteur, mais je ne vous cache pas que cela m’étonnerait beaucoup car je le connais depuis longtemps…
— Moi aussi. Je l’ai rencontré en Chine quand il était interprète à la légation de France. Il a contribué à me sauver la vie… Qui est la deuxième personne ?
— Cela tombe sous le sens : le duc de Fontsommes.
— Ah, vous trouvez ? Mais, commissaire, c’est absurde ! Le duc est riche à ce que l’on m’a dit.
— Très riche même et je vous avoue que je le vois mal se lançant dans une entreprise de ce genre envers la femme à laquelle il allait demander de l’épouser. Il nous reste les deux autres voyages en train que vous avez effectués pour venir jusqu’ici. Il faut me décrire aussi fidèlement que possible vos compagnons de route et me dire où se trouvait alors votre mallette. Sur vos genoux ?
— Tout de même pas. Elle était dans le filet au-dessus de ma tête avec mon sac de nuit.
— Vous êtes-vous endormie ?
— Oui. Entre Mâcon et Lyon d’une part et ensuite après Marseille, mais personne n’aurait pu prendre cette cassette sans que je m’en aperçoive.
— À un voleur habile tout est possible…
— Même d’ouvrir un bagage sans fracturer la serrure ni forcer le cadenas ?
— Même ça. L’Amérique est-elle donc un pays si vertueux qu’elle n’ait à souffrir d’aucun cambrioleur de grande classe ?
— Il y a chez nous trop de gens riches pour ne pas exciter la convoitise. Nous avons nous aussi nos aigrefins. Mais, si je repense à mes compagnons de voyage, aucun ne ressemblait à un grand voleur.
— À quoi ressemble, selon vous, un voleur de classe ? fit le commissaire avec un sourire.
Alexandra réfléchit un instant puis s’avoua vaincue :
— Au fond je n’en sais rien du tout, n’ayant comme modèle que ceux que l’on voit au théâtre.
— Alors, vous allez, à présent, me décrire aussi soigneusement que possible ceux qui ont voyagé avec vous ? Elle le fit avec une grande conscience, s’appliquant comme une petite fille à qui l’on a donné un devoir difficile mais elle avait une excellente mémoire et, surtout, elle oubliait rarement un visage. Langevin l’écouta attentivement, prenant quelques notes dans un carnet.
— Pensez-vous tirer quelque chose de tout cela ? demanda-t-elle quand elle en eut terminé.
— Oh oui ! C’était fort instructif et je crois pouvoir affirmer que le vol doit avoir eu lieu avant Lyon. Après, il y avait trop de monde dans votre compartiment et à moins de supposer que vous êtes tombée au milieu d’une bande organisée…
— Avant Lyon ? Vous voulez dire que le coupable pourrait être ce monsieur si aimable et si respectable, si drôle aussi avec sa casquette à bavolets ?
— Eh oui ! Il s’est présenté sous le nom de Moineau ?
— En effet.
— Eh bien, nous allons essayer de le retrouver. Votre description vient de réveiller un vieux souvenir. Permettez-moi de vous remercier… et de vous libérer. Votre supplice est terminé.
— Vous avez fait en sorte que ça n’en soit pas un. C’est à moi de vous remercier.
Le déjeuner qui suivit fut des plus animés. Alexandra ayant tenu à ce que chacun prît connaissance du « papier » de Jean Lorrain, ce fut un tollé unanime. Pour sa part, M. Rivaud prit la chose avec gravité :
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