— Comment se fait-il que ceci ne soit pas fermé ?
Il se pencha un peu pour considérer l’objet du litige :
— Mais… ce verrou est tiré. Je m’en assure toujours lorsque l’on prépare les couchettes pour la nuit.
— Vous avez dû mal à vous en assurer car cette porte s’est ouverte tout à l’heure et quelqu’un est entré chez moi.
— Comment est-ce possible ? Il n’y a personne dans le compartiment voisin, sinon un monceau de roses.
Tirant son carnet de sa poche il l’ouvrit et le consulta :
— Voilà ! Il a été loué au nom d’une Mme Grassanov qui a d’ailleurs manqué le départ…
— Je sais cela. Seulement ce n’est pas une dame qui s’est introduite chez moi mais un homme que vous devez connaître fort bien car je suppose qu’il vous a payé un bon prix pour cette infamie.
Pierre Bault devint très pâle et ses traits se figèrent.
— Je ne suis pas un valet que l’on achète, Mrs Carrington. Je suis un employé de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits et j’ai toujours été au-dessus de tout soupçon. Que celui-ci vienne de vous m’est encore plus pénible…
— Pourquoi donc ? Le fait que vous vous soyez comporté en homme courageux lorsque nous étions dans une situation critique ne vous met pas à l’abri des tentations. Vous n’êtes certainement pas riche ?
— Et je n’éprouve pas le besoin de l’être davantage si ce devait être au détriment de ma conscience. À présent, madame, il vous faut aller jusqu’au bout de votre accusation : ou bien vous déposerez une plainte contre moi à ma compagnie… ou bien vous me direz qui s’est introduit chez vous.
— Je ne ferai ni l’un ni l’autre car je n’ai aucun moyen de prouver votre culpabilité, d’une part et, d’autre part, si les choses se sont passées comme je le pense vous devez bien savoir de qui il s’agit…
— Dans ce cas, je vais essayer de trouver moi-même… Il y a cinq messieurs et quatre dames dont vous-même dans cette voiture. Je serai vite renseigné.
Il passa dans le compartiment que Fontsommes avait fait fleurir en indiquant à Mrs Carrington de tirer le verrou derrière lui et y examina toutes choses avec le soin d’un policier. Personne, de toute évidence, ne l’avait occupé. Aucune trace de passage et pas la moindre fleur dérangée ! Il ne put s’empêcher de penser qu’en dépit de leur splendeur elles évoquaient un peu une chambre mortuaire, puis il resta un instant songeur en face de l’autre cloison derrière laquelle le bruit de l’eau courante et le déclic d’une cuvette se faisaient entendre. Le grand seigneur qui occupait le sleeping voisin n’en était pas ressorti depuis le départ, pas même pour se rendre au wagon-restaurant. C’était d’autant plus bizarre qu’appartenant à la haute société, il devait connaître plusieurs personnes dans ce train. S’il était resté caché c’était, comme eût dit M. de La Palice, parce qu’il ne souhaitait pas qu’on le vît. Surtout, peut-être, une certaine personne.
Faisant mentalement le tour de ses voyageurs, Pierre Bault acquit la quasi-certitude de la culpabilité du duc qui avait déjà voyagé dans sa voiture et assez souvent accompagné d’une jolie femme.
À ce moment, le train qui avait accéléré son allure passé le tunnel de Blaisy-bas, se mit à ralentir considérablement. Il allait entrer en gare de Dijon et le conducteur dut remettre à plus tard la suite de ses investigations bien qu’il fût très mécontent. Il détestait que l’on vînt saboter son travail, et plus encore que quelqu’un pût mettre en doute sa droiture et sa probité…
Pendant ce temps, dans l’étroit espace qui lui était imparti, Alexandra tournait comme une ourse en cage. L’immobilité soudaine du Méditerranée-Express, le silence relatif qui l’enveloppait ne parvenaient pas à calmer une agitation qui, au contraire, ne faisait que croître. Elle ne se sentait plus en sûreté et bien qu’elle l’eût soigneusement bouclée, elle craignait sans cesse de voir se rouvrir cette maudite porte et Jean de Fontsommes reparaître avec ses paroles d’amour et son regard. Elle ne croyait pas un mot de sa dernière phrase. Lui, disparaître pour toujours alors qu’il venait d’essuyer une défaite cuisante ! Quelle stupidité ! Tapi dans son coin, il devait déjà ourdir une nouvelle trame pour faire tomber dans ses filets celle qu’il convoitait. Sans doute en compagnie de ce Pierre Bault qui, de toute évidence, était son complice. Quelle indignité ! Se dire gentilhomme et agir de la sorte en allant même jusqu’à se servir du mariage, ce lien sacré, pour en venir à ses fins !
Pour tenter de se calmer un peu, la jeune femme but un grand verre d’eau fraîche pris à la carafe qui accompagnait son café. Elle se sentait très lasse tout à coup et elle éprouvait l’envie de se coucher, de prendre un léger somnifère et de plonger dans un bon sommeil réparateur. Elle se barricada chez elle, chercha sa trousse de voyage et commença à dégrafer sa robe. Le léger bruit de conversations qui venait du couloir s’éteignit. Les essieux du train grincèrent cependant qu’une voix à l’accent bourguignon criait :
— En voiture !
Quelques portières claquèrent. Un coup de sifflet strident se fit entendre et la grosse locomotive recommença à tirer le convoi. Par les interstices des rideaux, des éclats de lumière passèrent et disparurent. Le train était reparti.
À ce moment, une idée traversa l’esprit de Mrs Carrington et lui fit interrompre son déshabillage. Cet homme avait dit qu’il allait enquêter ou quelque chose comme ça ? Très certainement, il reviendrait dans un laps de temps plus ou moins long. Il ferait beau voir qu’elle le reçût en robe de chambre ! Elle entendait recevoir ses explications avec le maximum de dignité.
Forte de cette décision, elle s’assit sur son lit et attendit mais le temps passa sans ramener le conducteur. Alexandra sentit croître son agacement. Ce fonctionnaire n’allait tout de même pas se moquer d’elle plus longtemps ! Sortant dans le couloir, d’ailleurs désert, elle l’aperçut qui, assis à sa place, lisait un journal :
— Eh bien ? appela-t-elle sèchement. C’est ainsi que vous cherchez ?
Il accourut :
— Je ne me serais pas permis de vous déranger encore, Mrs Carrington. Je pensais qu’après ces émotions il valait mieux vous laisser reposer et que demain matin…
— Reposer ? Alors que n’importe qui peut entrer chez moi ?
— Vous n’avez plus rien à craindre et je peux vous assurer que vous ne serez plus importunée. Je crois savoir d’ailleurs qui s’est permis cette… inqualifiable intrusion et je suis certain…
— Vous croyez savoir ? ricana Alexandra hors d’elle. Quelle phrase bien tournée ! Mais vous l’avez toujours su, mon ami. Le malheur avec vous autres, Français, c’est que vous n’avez aucune moralité. Alors naturellement vous vous soutenez… Tenez ! On vous sonne !… Allez répondre !
En effet, on réclamait le conducteur au sleeping n° 2. Saluant froidement la jeune femme, il passa devant elle et se dirigea vers l’autre bout du wagon tandis que, véritablement hors d’elle, Alexandra réintégrait son compartiment dont elle claqua la porte derrière elle.
Un instant, elle considéra sa couchette d’un œil aussi méfiant que rancunier. Jamais après ce qui venait de se passer elle ne pourrait dormir là-dedans ! Elle voulait un lit honnête dans une chambre honnête et autant que possible dans une maison honnête car elle avait besoin d’être seule, tranquille et loin, le plus loin possible de tous ces gens perfides. Et surtout, elle décréta que s’il lui fallait seulement apercevoir son suborneur sur le quai de la gare de Cannes, elle en mourrait de honte sur place ! Pour éviter ce malheur, il n’y avait qu’une seule solution.
Avec détermination, Mrs Carrington passa un peu d’eau sur son visage, remit son chapeau en prenant bien soin de fixer sa voilette, enfila son manteau, ses gants, rassembla son sac de nuit, sa boîte à bijoux et un absurde parapluie de soie bleue à long manche de cristal qui ne déployait qu’un abri tout juste suffisant pour sa coiffure puis attendit que le train ralentisse comme il le faisait chaque fois que l’on approchait d’une gare un peu importante.
Lorsque ce fut le cas, elle se leva, tendit le bras et tira la sonnette d’alarme avec décision…
CHAPITRE VII
UNE SURPRISE DÉSAGRÉABLE
Le Méditerranée-Express poussa une sorte de ululement, lâcha sa vapeur, courut un instant sur son erre et, enfin, s’immobilisa dans un long grincement de freins. Aussitôt, à l’intérieur, on passa du silence à une agitation de ruche dérangée. Au long des différentes voitures on sortait dans les couloirs où s’attardaient les fumées de cigares, on s’interrogeait, on allait aux nouvelles auprès des conducteurs. Pour sa part, Alexandra quitta calmement son compartiment et se rendit près de la portière qu’elle ouvrit d’une main ferme sous l’œil stupéfait d’un vieux militaire orné de grandes moustaches blanches qui ressemblaient à des ailes de séraphin.
Voyant qu’elle déposait ses bagages près des marches pour descendre les mains libres, il secoua sa torpeur :
— Accordez-moi excuses, madame, mais… vous ne prétendez pas descendre ?
— Si…
— Vous savez que nous sommes dans la campagne ? Il n’y a pas de gare.
Alexandra qui avait saisi les barres d’appui se pencha un peu :
— J’en vois une et elle n’est pas bien loin…
— Mais, madame, il n’y a pas de quai. Vous allez vous casser quelque chose…
— Vous voulez parier ? fit-elle avec un aimable sourire.
Et avant qu’il ait pu l’en empêcher, elle avait sauté sur le ballast, opéré un rétablissement dû à la faible pente du sol, repris ses mallettes et son parapluie puis, sans s’inquiéter davantage de la perturbation créée, elle releva le menton et se dirigea d’un pas ferme vers les quelques lumières qui brillaient un peu plus loin et se reflétaient dans le double ruban d’acier des rails. Elle atteignait la hauteur de la voiture-restaurant quand Pierre Bault, renseigné par le vieux militaire, la rejoignit :
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