Sa voix se faisait plus basse, plus chaude et plus pressante. Subjuguée, Alexandra l’écoutait, le souffle un peu court, la poitrine haletante et Jean, ébloui, plongeant son regard dans les grands yeux sombres qui se troublaient, voyait avec une joie profonde la victoire tant désirée s’approcher de lui, une victoire que d’ailleurs il ne voulait pas savourer dans ce train mais cueillir plus tard, quand sa reine Guenièvre serait bien convaincue de son amour, dans le jardin d’orangers et de jasmins d’une ancienne bastide qu’il possédait près de Grasse, la cité des parfums. Là, elle deviendrait sienne. Là, elle achèverait de s’épanouir sous ses caresses et il ferait d’elle son bien le plus cher, la souveraine absolue de toute la beauté répandue sur la terre car, à ce moment, il était prêt à toutes les folies pour posséder à jamais Alexandra.
Debout devant elle, il parlait, l’enveloppait de ses paroles comme d’un ardent sortilège et, entre eux, passait le fluide magnétique du désir, les premiers accords de ce qui serait bientôt une symphonie sublime. Attirée vers Jean comme par un aimant, Alexandra qui s’était assise se releva machinalement. Elle se sentait vaincue et elle en éprouvait une joie étrange. À cet instant, le Méditerranée-Express freina brusquement et elle se trouva projetée contre le jeune homme qui, aussitôt, referma ses bras sur elle avec une exclamation de joie et la serra contre lui à la briser en enfouissant son visage dans le satin tiède de son cou :
— Mon amour, murmura-t-il, je veux passer ma vie à vous chérir…
Ces quelques mots cependant pleins de tendresse dégrisèrent subitement la jeune femme. En un éclair elle entrevit tout ce que cela pouvait signifier et en fut effrayée. Sans brusquerie mais fermement, elle se dégagea des bras où cependant elle se trouvait si bien :
— Qu’avez-vous dit ? Vous voulez passer votre vie avec moi ?
— Cela vous surprend ? J’ai compris qu’à une femme comme vous je ne pouvais rien offrir d’autre. Je vous veux tout entière mais aussi je veux me donner à vous.
Il essaya de l’attirer à nouveau mais elle recula jusqu’à la vitre. Et soudain son regard se durcit :
— Étrange programme ! fit-elle sèchement. Si je comprends bien, vous voulez faire de moi votre maîtresse déclarée, m’afficher aux yeux du monde comme votre conquête.
— Par tous les saints du Paradis, où diable allez-vous chercher des idées pareilles ? s’écria-t-il. Je veux vous épouser tout simplement…
— M’épouser ? Oubliez-vous que je suis mariée ?
— Je n’oublie rien et surtout pas que le divorce existe en Amérique, comme d’ailleurs chez nous. Vous divorcerez…
— Que je divorce ? Moi, une Forbes, moi l’épouse de Jonathan Carrington… que je déchaîne sur les miens et sur moi un tel scandale ? Vous ne savez pas ce que vous dites.
— Croyez-vous que faire de vous une duchesse de Fontsommes sera facile pour moi ? Je blesserai sans doute ma mère. Seulement je vous aime assez pour accepter tout et j’en attends autant de vous.
— Je n’ai jamais dit que je vous aimais… murmura-t-elle en détournant la tête.
— Néanmoins, j’en suis sûr. Regardez les choses en face, Alexandra, et surtout examinez bien votre cœur ! Nous pouvons être merveilleusement heureux ensemble… En outre vous ne perdrez pas au change, ajouta-t-il avec un léger sourire. Vous aurez un château historique, un hôtel à Paris, un palais à Venise, des propriétés… et des joyaux célèbres. Vous serez une très grande dame… et vous me donnerez de beaux enfants.
Elle s’attendait si peu à cela qu’elle devint très rouge.
— On ne dit pas de ces choses ! fit-elle choquée.
— Pourquoi donc dès l’instant où il est question de mariage ? Vous n’êtes tout de même pas une quakeresse ?… Alexandra, Alexandra, là où je vous mettrai vous n’aurez rien à craindre des émois ridicules du monde… Venez avec moi à côté car il n’est pas convenable que je reste dans ce qui est votre chambre pour cette nuit. Nous causerons de tout cela et je vous dirai si bien mon amour que vous oublierez tout ce qui vous fait si peur.
Doucement, il prit ses deux mains et chercha à l’entraîner mais elle résista :
— Non… Je ne veux pas aller avec vous ! Je ne veux pas vous épouser… Je veux rester ce que je suis… Je veux…
Elle haletait, au bord des larmes, si vulnérable tout à coup que Jean sentit son cœur fondre de tendresse. Il la fit asseoir et l’attira contre lui :
— Calmez-vous ! J’admets que c’est un peu inattendu pour vous et je vous en demande pardon, mais songez seulement que je vous aime et ne voyez dans mon impatience qu’un désir…
— Allez-vous-en !
À nouveau, elle lui échappait et cherchait refuge vers la porte :
— Un désir ! Voilà le grand mot lâché ! Voilà une heure que vous me jouez une indigne comédie.
— Moi ? Je vous joue la comédie ?
— Et quoi d’autre ? Que vous ayez envie de moi, j’en suis bien certaine, mais l’amour ? Vous êtes un homme à femmes et sachant bien que vous n’obtiendriez rien de moi en cherchant à me soumettre, vous avez trouvé cette idée folle : demander en mariage une femme mariée et bien mariée.
Il pâlit et, se redressant de toute sa taille, il la considéra avec un mélange de tristesse et de dédain.
— Vous refusez de croire à mon amour ?
— Positivement. Si je vous suivais à côté je sais trop bien ce qui se passerait…
— Ne dites pas de sottises. Mon honneur vous garantit…
— Votre honneur ? Où était-il quand vous avez décidé de vous introduire chez moi ?
— Je ne l’aurais jamais fait si vous vous étiez comportée comme une femme normale, si vous ne m’aviez pas poussé à bout avec votre infernale coquetterie.
— Sans doute ai-je eu tort… Je le reconnais et… disons que vous m’avez donné une leçon qui me sera… profitable.
Les mots qu’elle prononçait étaient sans couleur, monocordes comme lorsqu’un enfant récite ou déchiffre un texte. Elle détournait la tête, fuyant ce regard qui la brûlait et se sentait néanmoins malheureuse comme jamais elle ne l’avait été.
— Laissez-moi ! murmura-t-elle. J’ai besoin d’être seule.
— Si c’est votre désir, je vous obéis mais je vais rester tout près de vous par la pensée. Songez à tout ce que je viens de vous dire et demain…
— Demain ? Il n’y aura pas de demain. À présent partez !
Brusquement, la voix d’Alexandra venait de changer. Elle redevenait dure, coupante, vibrante d’une colère qui, en fait, n’était que de la peur, une peur d’elle-même impossible à exprimer et que Fontsommes ne comprit pas. Il était las de prier, las de ce combat contre l’amour qu’elle l’obligeait à mener. Il eut un haut-le-corps et ses yeux se glacèrent.
— Vous voulez que je parte ? Pour toujours alors ?
— Je l’espère bien ! jeta-t-elle sans le regarder.
Cette réponse si peu féminine dégrisa le jeune duc et éteignit son désir. Même l’amour passionné auquel il était prêt à tout donner, tout sacrifier vacilla comme une lampe qui manque d’huile. Alexandra lui parut tout à coup différente et il en éprouva ce bizarre sentiment de méfiance qu’Antoine Laurens avait ressenti avant lui. Ce corps superbe, cette tête ravissante, tout cet ensemble ensorcelant n’était-il qu’une apparence, l’éblouissante façade d’une maison vide et creuse ? Cette femme avait tout fait pour le séduire, l’attirer à elle et l’amener… justement là où il en était, c’est-à-dire à deux doigts du ridicule.
— Je m’étais trompé sur vous, dit-il froidement. Veuillez m’en excuser…
Et il sortit lentement, sans tourner la tête. La porte du compartiment aux bouquets de roses se referma silencieusement. Le premier mouvement de Mrs Carrington la jeta sur le battant d’acajou dont elle ferma le verrou qu’un doigt perfide avait tiré pendant son absence. Elle s’y adossa, insensible au balancement du train, comprimant de ses deux mains les battements affolés de son cœur. Elle se sentait haletante et trempée de sueur comme si elle venait de disputer une dure partie de tennis ou de courir longtemps sous le soleil.
« Quelle histoire, mon Dieu, quelle histoire !… »
Jean de Fontsommes dans sa chambre, lui parlant d’amour, demandant même sa main et cherchant à l’entraîner avec lui dans le piège qu’il avait si habilement tendu ! Et le pire était qu’elle avait souhaité, éperdument, l’y suivre et s’abandonner à ce désir insidieux qui s’était glissé en elle depuis qu’elle le connaissait. Par bonheur elle avait su résister, déjouer toutes les chausse-trapes ouvertes devant elle. Son sens de la vertu et la conscience de sa dignité ne l’abandonnaient pas au moment du péril mais il fallait bien admettre que ces pays d’Europe offraient des dangers insoupçonnables avec ce fichu amour dont ils ne cessaient d’honorer la toute-puissance.
— Pas moi ! lança-t-elle tout haut. Grâce à Dieu, je ne suis pas comme tous ces gens-là !
Une soudaine pensée lui vint : comment se faisait-il que la porte de communication eût été déverrouillée ? À cela, elle ne voyait qu’une seule explication : Fontsommes avait acheté le conducteur pour qu’il accomplît ce vilain geste au moment de préparer le lit. Et cette idée lui fut insupportable. Si, eu égard au service rendu jadis, elle ne protestait pas, ce Pierre Bault en tirerait la conclusion logique : elle avait passé la nuit avec le duc. Sans peut-être y attacher beaucoup d’importance d’ailleurs : ce genre de pratique devait être courant dans ces trains de luxe.
Ouvrant sa porte, elle aperçut le conducteur assis au bout du long couloir sur le siège où il passerait la nuit et l’appela. Il vint aussitôt. Elle le fit entrer dans son compartiment puis, désignant le verrou qu’elle avait à nouveau tiré :
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