Vous pourriez alors le parer tout à votre aise des qualités qu'il n'a jamais eues car cela devient toujours miraculeusement angélique, un mort !...
Elle ne répondit pas. La colère de Gauthier soufflait une vérité qu'elle se refusait encore à accepter. Curieusement elle rappelait à son esprit le souvenir assoupi de Gauthier le Normand, le sauvage bûcheron qui adorait les dieux barbares et qui l'avait aimée de si grand amour. Celui-là dormait au fond de son cœur sans y faire plus de bruit qu'autrefois car c'était un silencieux mais Catherine savait bien que sa colère à lui eût été plus violente encore et beaucoup plus redoutable que celle de son jeune homonyme. Servi par sa force herculéenne décuplée par les fureurs sacrées qui s'emparaient de lui parfois, il eût été capable, peut-être, d'enfoncer à lui seul ces portes qu'on lui refusait et de s'en aller au fond de son château arracher Arnaud pour revenir le jeter à moitié mort, sinon tout à fait, dans la poussière aux pieds de Catherine... Mais Gauthier le Viking n'était plus là. Son corps s'en était allé en fumée sur l'eau bleue de la Méditerranée et son âme d'enfant avait repris la grande route des cygnes et des oies sauvages...
— Les regrets ne servent à rien, Gauthier, mur- mura-t-elle enfin... ni la colère. Si je ne reste ici, je ne saurais où aller.
Bérenger étalé les bras en croix dans le foin sortit alors de son mutisme.
Chez nous ! dit-il... à Roquemaurel ! Ma mère et les frères seront trop heureux de vous recevoir, dame Catherine, et vous auriez dû y penser tout de suite !
Elle trouva pour lui un sourire. C'est vrai, elle n'y avait pas pensé... mais aurait-elle pu penser, il y avait seulement une heure, que Montsalvy tout entier se fermerait devant elle ?
— Croyez-vous ?... Mon enfant, vous avez pu voir tout à l'heure comme les choses peuvent changer, les choses et les gens.
Il se redressa instantanément, tout fumant d'indignation avec des brindilles de foin plantées dans ses cheveux bruns.
— Ne faites pas semblant de douter, dame Catherine ! Vous le savez parfaitement. Alors, si vous en êtes d'accord, demain matin nous rentrerons à la maison.
— C'est loin Roquemaurel ? demanda Gauthier.
— Quatre ou cinq lieues... On y sera vite. Mais est-ce qu'il n'y a rien à manger ? J'ai faim...
Sans oser le dire, le page regrettait aussi les derniers événements parce qu'ils avaient fait disparaître de son horizon le bon souper qu'il eût trouvé à Montsalvy où dame Sara s'entendait si bien à houspiller, dans la vaste cuisine, marmitons et servantes...
Heureusement, le frère hôtelier de Saint-Géraud avait remis à Gauthier quelques provisions de route : un morceau de jambon séché, du pain de seigle et, pour Catherine, un petit panier de cerises que d'ailleurs on avait mangées en route avec délices. Restaient le jambon et le pain que les deux garçons attaquèrent avec ardeur et dont Catherine dut prendre sa part sous peine de voir ses jeunes compagnons jeûner.
— C'est surtout quand on a de la peine qu'on doit manger, lui dit Gauthier. L'estomac vide c'est aussi la tête vide.
Puis on s'installa dans le foin pour dormir ou pour attendre.
Il n'était pas loin de minuit quand un pas précautionneux se fit entendre au-dehors. La porte s'ouvrit en grinçant un peu pour livrer passage à une forme épaisse et noire puis un rayon de lumière jaune fusa d'une lanterne sourde, se mit à fouiller le tas de foin.
— Vous êtes là, dame Catherine ?...
L'instant suivant, la dame de Montsalvy et la femme de Noël Cairou, le maître toilier, s'embrassaient comme deux sœurs en pleurant comme des Madeleine.
— Notre pauv' dame ! ne cessait de répéter Gauberte en serrant sa châtelaine sur son vaste giron, notre pauv' dame ! Si c'est pas une pitié de voir ça !...
— Mais enfin qu'est-ce que tout cela veut dire ? s'écria Catherine quand la première émotion fut un peu calmée. Que s'est-il passé ici ?
— Ici ? Pas grand-chose. C'est plutôt dans la tête de messire Arnaud qu'il s'est passé quelque chose !... On ne le reconnaît plus, au village. Pire qu'un loup, il est devenu !
Avec un soupir à faire tomber les murs de bois, Gauberte se laissa choir dans le foin, réveillant Bérenger qui dressa aussitôt sa tête ensommeillée.
— Tiens, le page ! Il vous est resté fidèle, celui- là ? C'est déjà quelque chose !
Du geste, Catherine arrêta la protestation indignée du jeune garçon qui eût entraîné toute une polémique.
— Racontez, Gauberte... et surtout dites-moi bien tout !
Ayez crainte ! Je n' suis pas près d'oublier tout ça !... Quand messire Arnaud est rentré, la veille de la Chandeleur, on a commencé par le reconnaître, ou plutôt on ne l'a reconnu que d'un côté... parce que de l'autre il a une grande blessure qui le coupe en deux. Mais c'est pas seulement son visage qu'on a eu du mal à reconnaître. L'est plus le même, dame Catherine, l'est plus le même du tout ! Je crois que je le reverrai toujours comme je l'ai vu ce jour-là, franchir la porte d'Aurillac et descendre la grand-rue au pas de son cheval, sans regarder personne.
« La neige était tombée toute la nuit et y en avait épais. Alors on était toutes dehors, à déblayer, à balayer. Et tout à coup, on l'a vu s'avancer, tout vêtu de noir, à son habitude, avec son grand manteau étalé sur la croupe du cheval mais tête nue. Alors on a lâché les balais, on s'est précipitées mais il nous a écartées en disant seulement : « Bonjour ! bonjour... » Pas un sourire, pas un regard ! Et les hommes qu'il avait avec lui nous ont repoussées tout de suite. Il était si sombre, si glacé qu'on a cru à un malheur. On a cru... qu'il vous était arrivé quelque chose et quelqu'un a crié : « Et dame Catherine ? Où est notre dame Catherine ?... » Alors il s'est arrêté, il a tiré son épée et il a crié... pardonnez-moi, not' dame, il faut que je dise tout ! Il a crié : « Le premier qui ose prononcer devant moi le nom de cette putain, je lui mets les tripes à l'air !... » Et puis il a continué son chemin avec ces étrangers sur ses talons. C'est alors qu'on a vu la femme...
Le cœur de Catherine manqua un battement.
— La femme ?... Quelle femme ?
— Tout d'abord on n'a pas su. Elle était sur un cheval mais empaquetée, voilée avec en plus un capuchon qui lui descendait jusqu'au menton. Elle suivait sans rien dire et ils sont tous allés s'engouffrer dans le château qui s'est refermé comme un piège. Mais une heure après, nos hommes étaient convoqués dans la grande salle, comme autrefois, vous vous souvenez ? Ils y sont allés, conduits par notre bailli, Saturnin Garrouste... qui vous dit bien des amitiés, en passant ! Mais quand ils sont ressortis, ils pleuraient presque tous, sauf l'Antoine Couderc, le maréchal- ferrant qui roulait des yeux furibonds et crachait par terre comme s'il avait bu du poison. Messire Arnaud leur avait donné ses ordres devant la bande de ruffians de mauvaise mine qu'il a ramenés avec lui : quiconque vous permettrait d'entrer dans Montsalvy serait pendu immédiatement, qu'il soit homme, femme ou enfant ! Tous les jours, dès l'ouverture des portes, on devait envoyer un garçon veiller sur la route pour signaler votre arrivée afin qu'on referme ces portes et qu'on puisse vous préparer une réception dans les idées de votre gentil époux. Celui qui ne viendrait pas prévenir...
— Je sais, coupa Catherine. Jacquot Malvezin m'a dit...
— Alors moi j'ai décidé qu'on pouvait pas vous laisser tomber comme ça dans la gueule du loup et j'ai donné un petit mot d'écrit à Tiennou, l'innocent qui n'est pas si innocent qu'on pense et qui vous vénère presque autant que la Sainte Vierge depuis que - j vous avez failli mourir pour lui Lui, il est tout le temps dehors alors ça n'étonnait personne qu'il s'installe dans le bois. Là ou ailleurs !... Et j'ai eu raison... et vous, vous avez bien fait de suivre mon conseil et de venir ici tout de suite parce que à peine il a su votre venue que messire Arnaud est monté à cheval avec ses hommes... et la femme et ils sont sortis pour vous narguer et vous chasser.
— Qui est cette femme ? fit Catherine d'une voix blanche.
Vous le savez ?
— Si on le sait ! Rien d'autre que cette putain d'Azalais, la dentellière, vous vous souvenez ! Cette ribaude sans Dieu qu'il a dû récupérer dans les ordures de Béraud d'Apchier. Dame Catherine, bon sang ! Vous allez pas vous trouver mal ?...
Elle était en effet devenue blême et se laissait aller en arrière, les narines pincées. Gauthier la reçut dans ses bras.
— Si vous trouvez que c'est agréable à entendre, votre histoire ? gronda-t-il furieux. Fouillez dans son aumônière, il doit y avoir un cordial, du vinaigre... Qui c'est d'abord cette Azalais ?
1 Voir Belle Catherine.
— Pas grand-chose ! Une grande garce avec le feu aux fesses qui couchait avec le mari de sa mère et qui s'était ensauvée d'ici avec le Béraud d'Apchier, le Loup du Gévaudan quand il est venu nous assiéger. Une saloperie qu'avait comploté avec lui la mort de messire Arnaud et que maintenant cet âne bâté nous ramène... sans doute parce qu'il a pensé que c'était avec elle qu'il ferait le plus de mal à sa pauvre sainte femme ! Ah, tenez, mon gars, on dirait qu'elle revient !...
Vigoureusement soignée par Gauthier qui lui avait appliqué quelques claques avant de faire couler un peu de cordial entre ses lèvres blanches, Catherine en effet ouvrait les yeux cependant qu'un peu de couleur revenait à ses joues. Elle jeta autour d'elle un regard égaré qui se fixa enfin sur Gauberte dont le large visage était éclairé en plein par la petite flamme de la lanterne.
— Pardonnez-moi ! balbutia-t-elle... Je m'attendais si peu à ça !...
"La dame de Montsalvy" отзывы
Отзывы читателей о книге "La dame de Montsalvy". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La dame de Montsalvy" друзьям в соцсетях.