— Parce que l'heure était venue, Catherine, une heure que, très certainement, il n'aurait pas voulue différente !
— Il est mort pour moi... à cause de moi !
— Non, il est mort parce que Dieu l'a voulu... et peut-être bien parce que lui-même l'a voulu ! Aux âmes comme la sienne, seul le martyre apporte une réponse satisfaisante. Vous gardiez en vous le souvenir de l'enfant, du jeune garçon mais vous ne connaissiez pas l'homme et sa soif inapaisable d'absolu. Moi, je l'ai connu ! De son Dieu, il eût accueilli les pires disgrâces comme une bénédiction, il eût accepté la lèpre, la peste comme une faveur. Vous ne savez pas à quel point il souhaitait donner sa vie pour ses frères ! Il est exaucé, à présent, et vous savez aussi bien que moi qu'il est mort heureux... mais oui, heureux puisqu'il a pu utiliser son dernier souffle pour calmer une souffrance, apaiser une angoisse chez un être qu'il aimait !
Le frère Landry est mort, mais votre époux vit et il était joyeux de pouvoir vous le dire ! Venez maintenant, il nous faut le rendre à ses frères... Sacre- bleu ! Mais qu'avez-vous ?
Avec un hoquet horrifié, Catherine venait de s'arracher de ses bras.
Ses yeux étaient pleins d'horreur.
— Arnaud vit ? Mais où, mais comment ?... Est-il toujours le compagnon de ce démon de Robert ? Oh ! Ermengarde, dites-moi qu'il n'était pas avec lui, qu'il n'a pas participé à cette abomination ?
L'idée qu'il ait pu être l'un des bourreaux de mon pauvre Landry est intolérable !...
— Ne pensez pas cela, dame Catherine ! coupa vivement Bérenger. Vous connaissez messire Arnaud mieux que personne. Il est rude, dur, violent, tout ce que vous voudrez, mais il craint Dieu et, jusqu'à ce qu'il se croie victime d'une injustice, il a toujours été vrai et preux chevalier !... Pensez seulement qu'il vit, et ne cherchez pas d'autres raisons de le détester.
À travers ses larmes, Catherine sourit au page défendant si vaillamment son seigneur et se tut. Pour rien au monde elle n'eût voulu entamer la foi de l'adolescent et c'eût été le faire que lui expliquer ses doutes, lui faire comprendre que, justement, elle n'était plus très sûre de bien connaître son époux.
Que sous la fière silhouette d'Arnaud de Montsalvy ait pu surgir même un seul instant la personnalité sanglante de l'écorcheur La Foudre, c'était une chose qu'elle n'aurait jamais pu imaginer deux mois plus tôt. Elle se fût laissée couper en morceaux plutôt qu'admettre que ce fût seulement possible. Il lui avait pourtant bien fallu se rendre à la dramatique évidence. En outre, elle connaissait trop l'aveugle jalousie d'Arnaud envers tout ce qui touchait au passé de sa femme. Que Landry eût parlé d'elle avec un rien de tendresse avait pu suffire à faire du mari son ennemi.
Et, tandis que, dans l'aube grise et fraîche, elle regagnait Châteauvillain à travers les bois où le chant d'une alouette triomphant comme la Résurrection, répondait au glas triste et doux du petit couvent, Catherine ne savait plus très bien s'il y avait en elle plus de joie que de crainte, plus d'espoir que d'angoisse. Il lui fallait bien remettre à plus tard la solution d'un problème sans réponse possible et se contenter de ce cadeau du destin, précieux et redoutable tout à la fois : Arnaud était vivant !
Cette fois, la petite troupe n'eut plus besoin de descendre dans la rivière pour rejoindre la rampe du château. L'incendie était éteint. La ville basse n'était plus qu'un amas de ruines noires et de scories parmi lesquelles erraient les soldats d'Ermengarde déjà occupés à déblayer.
La vieille comtesse n'était pas femme à contempler longuement le résultat d'un désastre et, avant de rejoindre le couvent, elle avait donné ses ordres en conséquence.
Il s'agissait d'enlever les décombres au plus tôt, de battre la campagne à la recherche de ce qu'il pouvait rester des habitants enfuis au hasard des routes et des bois et de les convaincre de revenir. On les hébergerait dans les dépendances du château et, si la place y était insuffisante, la comtesse avait donné ordre d'installer au bord de la rivière, dès que l'on aurait fait place nette, les grandes tentes de joute ou de guerre de son défunt mari en attendant que l'on eût reconstruit en hâte quelques maisons, reconstruction à laquelle les habitants de la ville haute, qui avaient beaucoup moins souffert, étaient instamment priés de contribuer dans la mesure de leurs moyens. Pour la dame de Châteauvillain, le titre de châtelaine n'était pas simplement une honorable formule vide de sens.
En arrivant au château, on trouva aussi des nouvelles. Le sire de Vandenesse, revenu bredouille de son expédition et d'une humeur massacrante, y menait grand tapage, lancé dans une violente dispute avec le sénéchal de Châteauvillain chargé de la défense du château en l'absence de la comtesse.
Dressés l'un en face de l'autre sur le perron du grand logis, les deux hommes s'affrontaient, mais les hurlements étaient surtout le fait de Vandenesse qui tentait d'écraser son adversaire sous une méprisante fureur tandis que le sénéchal, un homme déjà âgé, ne lui opposait qu'une politesse glacée jointe à une détermination intransigeante.
C'était justement la voix nette de ce dernier qui se faisait entendre quand la petite troupe pénétra dans la cour. Vandenesse, pour sa part, reprenait souffle entre deux tirades furieuses.
— Dans ce château, seule dame Ermengarde a droit de justice haute, moyenne et basse on ne touchera pas à cet homme tant qu'elle ne sera pas là.
Le sujet de la dispute gisait entre les deux hommes sur les marches de l'escalier. C'était un homme tellement chargé de chaînes qu'il n'avait plus guère forme humaine. Du sang apparaissait sur son justaucorps de cuir éraillé.
— J'arrive ! brailla Ermengarde en poussant son cheval. Qu'est-ce qui se passe ici ? Pourquoi malmenez-vous mon sénéchal, sire baron ?
— Nous avons ramené ce prisonnier, grogna Vandenesse, et ce personnage s'oppose à ce que nous l'interrogions.
— L'interroger ? Il me semble bien avoir entendu le mot «justice » voltiger jusqu'à moi. Vous n'entendriez pas « exécuter » par hasard ?
— Je connais le sens des mots que j'emploie, comtesse ! Je désirais questionner cet homme mais je comptais pour cela me servir de votre salle de torture. Vous en avez bien une, tout de même ?
L'éclat de rire d'Ermengarde retentit jusqu'au fond de la cour, mais alluma une lueur méchante dans l'œil du baron.
— Bien sûr que nous en avons une... et bien équipée encore ! Un vrai musée des horreurs ! L'aïeul de mon défunt époux en était immensément fier. Seulement, depuis le temps qu'elle n'a pas servi, je défie quiconque d'utiliser un de ces damnés outils dévorés par la rouille. Vous auriez dû laisser le baron essayer, Gagneau, ajouta-t-elle en se tournant vers son sénéchal, je gage que l'expérience eût été amusante. Il se serait sûrement cassé quelque chose...
Au mépris de toute courtoisie, Vandenesse haussa furieusement les épaules : l'humour d'Ermengarde dépassait son entendement.
— Je pensais que le siège de votre château vous aurait rendue moins sensible, dame Ermengarde ! Au surplus, point n'est besoin d'instruments compliqués. Quelques braises bien rouges et une paire de tenailles devraient suffire...
Catherine eut un haut-le-cœur. La mort affreuse de Landry l'avait sensibilisée à l'extrême à l'endroit de toutes ces souffrances imbéciles infligées gratuitement à autrui. Le seul mot de torture lui donnait envie de hurler.
— Quand donc les hommes cesseront-ils de voir, dans les supplices, leur suprême recours ? s'écria-t-elle. Avez-vous seulement essayé de poser quelques questions à cet homme ? Et d'abord où l'avez-vous trouvé ?
De fort mauvaise grâce, le seigneur de Vandenesse raconta son aventure. Les traces laissées par la horde du Damoiseau étaient trop fraîches et trop profondes pour être difficiles à suivre mais, quand elles avaient lait défaut, les poursuivants n'avaient eu que tout juste le temps de s'apercevoir qu'on les attendait de pied ferme et qu'ils étaient en fait tombés dans une embuscade. Robert de Sarrebruck n'était pas homme en effet à se laisser courir après sans prendre quelques précautions...
— Notre nombre étant inférieur, il pensait sans cloute avoir raison de nous aisément, mais il a trouvé il qui parler ! s'écria le baron. Nous n'avons laissé qu'un homme sur le terrain et j'ai réussi, en lui échappant, à ramener l'un des siens.
— Autrement dit, conclut Catherine froidement, tout le monde a échappé à tout le monde ! Vous m'aviez pourtant promis la tête du Damoiseau, mes- sire...
Tout en parlant elle s'était approchée du captif qui geignait sur l'escalier, troussé comme un poulet et le nez sur la pierre. Soudain, avec une exclamation elle se laissa tomber à genoux auprès de lui, prit la tête poisseuse entre ses mains... Cet homme, elle le reconnaissait, c'était l'Auvergnat que l'on appelait le Boiteux, l'un des hommes d'Arnaud, celui-là même qui avait aidé Gauthier à le soigner...
— Eh bien ! Catherine, que faites-vous ? murmura Ermengarde.
La jeune femme ne répondit pas mais ses yeux se posèrent, chargés d'orage, sur le baron.
— Je connais cet homme et c'est moi qui l'interrogerai. Délivrez-le! ordonna-t-elle si impérieusement que l'autre fronça les sourcils, protestant :
— Vous n'y pensez pas ? Ce serait...
— Ce serait faire preuve d'un semblant d'intelligence ! Ne voyez-vous pas qu'il est en train de mourir ? Quelles réponses pouvez-vous espérer d'un cadavre ?
Déjà, sans plus s'occuper de Vandenesse, Gauthier était en train de trancher les liens de l'homme qui, délivré, s'étala sur l'escalier comme une tache d'huile et ne bougea plus.
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