— J'ai dit : sortez !...
— Que voulez-vous faire ? cria Roussay furieux.
Ne pouvez-vous être raisonnable ? Rendez-moi cette arme !...
— Je vous ai déjà ordonné de sortir !... Seul ! Si vous ne le faites dans l'instant, je me tue !
Et, joignant le geste à la parole, René appuya la pointe acérée de la dague sur son cœur. Catherine frémit. Il était visiblement hors de lui et son visage reflétait une si farouche détermination qu'elle n'eut aucun doute sur ce qui allait suivre. Calmement mais fermement, elle ordonna :
— Faites ce qu'il vous demande, Jacques ! Laissez-moi seule avec le Roi !
— Êtes-vous folle, Catherine ? Voulez-vous dire que vous allez céder...
— Ce que je vais faire ne regarde que moi, mon ami. Laissez-nous un moment mais ne vous éloignez pas. D'ailleurs, les gardes ne comprendraient pas.
Sans un mot, Roussay, raide d'indignation, mais dompté, tourna les talons et quitta la pièce. La porte retomba derrière lui. Alors, toujours aussi tranquillement, Catherine rejoignit René, lui prit l'arme qu'il ne songea pas à lui disputer, revint la poser sur la table puis se retournant vers le Roi et plantant son regard violet dans le sien, commença à dégrafer son justaucorps, l'ôta et le jeta sur un escabeau. Mais, avant d'ouvrir l'ample chemise blanche qu'elle portait en dessous et qui s'enfonçait dans les chausses collantes, elle adressa à René un sourire de défi un peu méprisant.
— Dois-je continuer, Sire ? demanda-t-elle froidement. Vous m'avez ordonné, il me semble, de me déshabiller... exactement comme si j'étais une ribaude amenée ici pour votre plaisir, et non la messagère de votre mère ?
Les yeux rougis de René s'égarèrent. Secoué d'un long frisson, il passa sur son front une main tremblante puis, comme si ce simple mouvement lui coûtait un effort terrible, il se détourna.
— Pardonnez-moi !... murmura-t-il. J'avais oublié qui vous étiez... J'ai... j'ai eu un moment de folie !... mais aussi pourquoi êtes-vous cette tentation vivante ? Pourquoi ma mère ne m'a-t-elle pas envoyé la plus laide guenon de ses duègnes au lieu de dame Vénus en personne ?
Elle me connaît pourtant ! Elle sait que j'ai peine à résister à un joli visage, à un corps harmonieux... et que la prison n'a pu qu'exaspérer mes désirs. Pourtant, c'est vous qu'elle a envoyée... vous, la plus belle créature que j'aie jamais vue !
— Elle l'a fait parce que je devais venir en Bourgogne, parce qu'elle a confiance en moi, parce que...
Elle se tut, traversée par une idée soudaine. Est-ce qu'en l'envoyant vers son fils, Yolande n'avait pas eu l'arrière-pensée de procurer au prisonnier un adoucissement momentané ? Le contenu de la lettre qu'elle avait portée ne semblait pas d'une extrême importance politique. Pourtant, en la lui remettant, la Reine avait embrassé chaudement sa messagère en disant : « Vous m'aurez rendu au centuple ce que je fais pour vous... » Et Yolande connaissait trop Catherine, les aventures redoutables qu'elle avait affrontées pour la croire capable de s'indigner d'une heure d'amour accordée à un malheureux prisonnier. Une mère peut avoir de ces idées étranges et oser demander un service de ce genre à une amie...
Doucement, Catherine s'approcha de René qui lui tournait le dos.
La lueur des chandelles fit briller les larmes qui roulaient le long des joues du Roi. Sa longue main fine où l'émeraude scintillait mystérieusement comme l'œil d'une sorcière glissa sur le bras du jeune homme.
— C'est à moi de vous demander pardon, Sire ! Votre mère savait parfaitement ce qu'elle faisait. S'il vous plaît de me prendre, je suis vôtre...
Elle le sentit trembler sous sa main. Pourtant il se raidit, se tourna vers elle, la prit aux épaules mais ne l'approcha pas de lui, se contentant de la contempler longuement, mince et gracieuse dans ces chausses collantes qui soulignaient le galbe de ses hanches et la finesse de ses jambes, avec l'auréole luxuriante de sa chevelure qui couvrait d'or sa chemise blanche.
— Vous êtes aussi bonne que belle, ma chère... mais vous avez à présent acquis trop de prix à mes yeux pour que je vous veuille tenir de votre charité. Oh ! je ne renonce pas à vous prier d'amour un jour.
Bien au contraire : je ne vivrai plus que dans l'attente de la nuit où vous viendrez à moi, librement et non parce que vous obéirez à un mouvement de pitié mais parce que, peut-être, vous m'aimerez un peu...
Il l'embrassa doucement sur le front, alla prendre le pourpoint abandonné et le lui fit revêtir, puis s'accota à la cheminée pour la regarder, bras croisés, retordre ses cheveux et les escamoter de nouveau sous le camail et le chaperon drapés. Enfin, il lui tendit son manteau mais, avant de le lui poser sur les épaules, il prit l'une de ses mains dans la paume de laquelle il posa un baiser.
— Voici reparu le jeune seigneur de Maillet ! soupira-t-il. Et je crois qu'à présent nous pouvons rappeler votre charmant cousin.
Jacques ne devait pas être loin car il apparut comme un diable hors de sa boîte dès la première syllabe de son nom.
— Il devait maintenir la porte simplement poussée et garder l'oreille collée contre ! pensa Catherine amusée. Au moins son supplice n'aura guère duré !...
— Il semblait, en effet, immensément soulagé et fit sortir Catherine un rien trop précipitamment, lui laissant à peine le temps d'un salut cérémonieux et la jetant presque dans les escaliers tant il avait hâte de l'emmener assez loin pour poser la question qui lui brûlait les lèvres.
— Que s'est-il passé ? aboya-t-il dès le premier palier en retenant Catherine par le pan de son manteau.
Elle lui offrit un sourire narquois.
— Mais rien, mon ami, absolument rien...
— Il ne vous a pas...
Elle haussa les épaules.
— En dix minutes ? Vous n'êtes guère galant, mon cher capitaine !
En tout cas, j'espère que vous voilà guéri de vos stupides brimades de geôlier trop consciencieux ?
— Que voulez-vous dire ?
— Que vous devriez bien laisser venir ici, de temps à autre, quelque jolie servante, bien fraîche et bien stupide... ne fût-ce que pour faire un peu convenablement le ménage de ce taudis où vous osez loger un roi ! Je vous souhaite une bonne nuit, mon cher cousin...
Ah ! j'allais oublier : voulez-vous me permettre encore deux conseils ?
— Au point où nous en sommes, pourquoi pas ? Dites toujours.
— Eh bien ! d'abord, essayez donc de trouver un chiot de deux ou trois mois aussi semblable que possible au pauvre Ravaud... et puis prenez la saine habitude de faire goûter tout ce que vous servirez à votre prisonnier !
— Parce que vous imaginez que je n'y aurais pas pensé tout seul ? cria Roussay hors de lui. Décidément, vous me prenez pour un crétin.
— Çà !... mon cousin !
Catherine éclata de rire, sauta en voltige sur le cheval qu'un valet lui amenait et, piquant des deux, quitta au grand galop le palais des ducs de Bourgogne pour s'enfoncer dans le dédale obscur et désert des rues de Dijon.
En regagnant l'hôtel Morel-Sauvegrain, elle vit que Gauthier était enfin rentré. Visiblement éreinté, il était assis, en compagnie de Bérenger, dans l'âtre de la cuisine et faisait griller des châtaignes en buvant du vin doux.
— Dieu soit loué, vous voilà ! s'écria Catherine avec un soupir de soulagement. Où donc étiez-vous passé ? Quelle aventure dangereuse avez-vous encore courue ? Vous ne connaissez pas Dijon et, à peine arrivé, vous...
— Je ne connais pas Dijon soit, mais je connaissais l'homme que j'ai suivi : c'était l'un de ceux du Damoiseau et je l'ai même suivi toute la journée : il faut dire qu'il m'a fait voir du pays. Mais vous-même, dame Catherine, ne venez-vous pas de courir, vous aussi, une aventure ? J'imagine que vous n'arrivez pas du salut sous ce déguisement ?
Elle haussa les épaules, ôta ses gants et s'approchant du feu lui tendit ses paumes froides. Elle se sentait lasse mais l'esprit singulièrement vif et éveillé.
— J'ai réussi à approcher le Roi... fort heureusement d'ailleurs car, si vous avez vu un homme du Damoiseau, moi j'en ai vu un autre à la tour Neuve. Et en pleine action encore : on a tenté ce soir d'empoisonner René d'Anjou !
Gauthier cessa un instant de faire rouler ses châtaignes dans le poêlon percé de trous et leva les sourcils :
— Dans sa prison ? Au palais ?...
— Exactement : en lui servant du vin empoisonné. J'ajoute que si je n'avais pas reconnu cet homme, à l'heure qu'il est non seulement le Roi aurait cessé de vivre mais le capitaine de Roussay et moi serions morts avec lui. Une mort rapide et flatteuse, sans doute, mais tout aussi définitive qu'une autre !
Brièvement, elle raconta ce qui s'était passé dans la prison tandis que Bérenger ponctuait son récit d'exclamations indignées et que les sourcils de Gauthier se fronçaient graduellement.
Son coup fait, l'homme a disparu sans en attendre le résultat, soupira-t-elle enfin et, malgré toutes les recherches, on n'a pas pu le retrouver... J'aimerais savoir, Gauthier, ce qui vous amuse si fort dans cette histoire ? ajouta-t-elle, indignée, en constatant que son écuyer, non seulement avait perdu d'un seul coup sa mine sombre mais encore qu'il souriait, tout détendu, en épluchant ses fruits brûlants dont l'arôme emplissait la pièce.
— Simplement le fait que, parfois, le Ciel fait bien les choses tandis qu'il arrive au Diable de bâcler son travail. Comment est-il votre bonhomme ?
— Un visage blanc, plat... sans rien de bien remarquable ; des cheveux un peu roussâtres. La première fois que nous l'avons vu c'était dans l'église de Montribourg, ce village ravagé par les Écorcheurs. Il tenait le compte des fruits du pillage et je crois qu'on l'appelait le Recteur. Vous vous en souvenez peut-être...
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