Finalement il jeta sa plume, sabla son message, le secoua, le cacheta, le posa devant lui sans ajouter de suscription puis se tourna vers son visiteur :

— Çà, causons ! Elle n’est toujours pas arrivée la Florentine cousue d’or que ma femme veut marier à ton fils ?

Le marquis s’attendait à tout sauf à ce discours et, de surprise, faillit s’étrangler avec sa salive :

— Mais, Sire..., bêla-t-il. Je ne pensais pas...

Henri éclata de son grand rire sonore :

— Eh bien, quoi ? Tu n’imaginais pas que j’ignorerais toujours la raison pour laquelle tu t’es mis à me chanter les louanges d’une épouse que tu ne semblais pas apprécier jusqu’à ces temps derniers ? Ni pourquoi Giovanetti avait disparu sans dire au revoir. Curieuse attitude quand on est ambassadeur. Quant à toi, quitte donc cette mine effarée. Je te rassure tout de suite, je ne t’en veux pas. C’est toi qui avais raison.

— Je suis bien heureux de l’entendre, Sire !

— Oui. Il aurait fallu rendre la dot et Sully en aurait fait une maladie. En outre, il y a les enfants. Le mieux serait peut-être que je lui en fasse encore un. Neuf mois de tranquillité, c’est appréciable !...

Mais il faut avouer que, cette fois, elle avait fait ce qu’il fallait pour me mettre hors de moi. J’ai pris l’habitude de ses hurlements et de ses criailleries mais qu’elle ait osé me gifler ! C’est difficile à avaler.

Sarrance prit un air patelin qui ne lui allait pas du tout :

— Je reconnais que le cas était grave. J’ignorais que la Reine fût allée jusque-là !

— Menteur ! Bien sûr que tu le savais ! Comme les autres d’ailleurs mais toi tu as eu... le courage – si, si le courage ! Et il en fallait pour plaider sa cause quand je brûlais de la jeter dans la Seine !... Giovanetti a dû te promettre monts et merveilles ?

Hector piqua du nez :

— La plus grosse fortune de Florence après celle des Médicis ! Cela compte quand on est aussi peu argenté que je le suis !

— N’exagère pas. Je t’ai tout de même offert ton hôtel près d’ici et tu as ton traitement militaire...

— ... mais mon château tombe en ruine !

— Tu vas pouvoir le reconstruire en or, vieux filou ! Et si la fille n’est pas trop repoussante...

— Il paraît même qu’elle est belle mais il y a un obstacle fâcheusement imprévu.

— Lequel ?

— Antoine, mon fils, ne veut pas l’épouser. Son cœur serait pris ailleurs !

— Par qui ?

— La petite La Motte-Feuilly qui est à la Reine !

— Je ne l’ai jamais remarquée. A quoi ressemble-t-elle ?

— Petite, blonde, un joli visage mais timide comme une souris et sans dot si Sa Majesté ne s’en charge pas !

— Et sa générosité n’est pas proverbiale pour les dames. Je verrai ton fils et lui parlerai !

— Il résistera. Il dit qu’il a donné sa foi !

— Sans ton approbation ni la mienne ? Il n’a pas le droit ! Qu’il épouse celle qu’on lui destine et il n’aura qu’à garder l’autre comme maîtresse !

— Vous n’y pensez pas, Sire ! C’est une pure jeune fille qui ne se donnera qu’en mariage !

— Elles disent toutes ça... au début ! Si elle aime ton fils, elle le laissera se marier selon ses intérêts puis le consolera. Surtout s’il épouse un laideron ! Grosse fortune et grande beauté ne vont guère ensemble ! Allons ! Cesse de te tourmenter et voyons d’abord ce que Giovanetti nous ramène ! Mais j’y pense : pourquoi ne l’épouserais-tu pas toi-même, la filleule de la Reine ?

— Moi ? Le Roi veut rire ! Je me trouve fort aise d’être veuf et n’ai aucune envie de subir à longueur de journée les caprices d’une gamine sous prétexte qu’elle est riche !

Henri IV se mit à rire, se leva et vint prendre son vieux compagnon par le bras :

— Tu feras ce que tu veux. De toute façon – et je peux bien te le confesser maintenant ! –, quand tu es venu plaider pour Marie, il y a au moins une décision que j’avais prise : que je la renvoie ou non, j’en avais fini avec Mme de Verneuil. Il n’était donc plus question que je l’épouse !

— Oh ! Émit Sarrance, abasourdi. Tout de bon cette fois ? Parce que si ma mémoire est bonne il me semble avoir déjà entendu à plusieurs reprises...

— Tout de bon ! Que je t’explique, mon compère : je ne l’aime plus !

— J’ai peine à le croire. Que s’est-il passé, si je puis me permettre ?

— Rien... ou pas grand-chose ! Un matin, au réveil, je me suis aperçu de ce que je n’avais plus envie d’elle... ni même d’aller la voir ! Elle m’en a trop fait, aussi ! Et je lui ai trop pardonné ! Jusqu’à cet infâme complot contre ma vie ourdi par ses frères pour me supprimer et mettre le petit Verneuil, son fils et le mien, sur le trône à la place du Dauphin ! J’étais fou, je crois !...

— Et vous n’en avez rien dit ? Se plaignit Sarrance avec une nuance de tristesse. Autrefois vous me faisiez l’honneur de me prendre pour confident ?

— Il n’y a rien de changé, rassure-toi ! Mais il fallait que je sois sûr de moi !

— Et à M. de Sully, vous ne vous êtes pas confié ? C’est pourtant lui qui vous sert de truchement dans vos démêlés avec la Reine.

— Justement pour cela ! Il aurait couru la rassurer et je tenais à ce qu’elle reste encore un moment dans l’expectative. Et puis, je ne voulais pas non plus te faire perdre une fortune ! Voilà, tu sais tout ! Allons souper maintenant !

Sarrance désigna la lettre abandonnée sur la table :

— Est-ce que vous n’oubliez rien, Sire ?

— Ce poulet ? Un retour de flamme pour une autre... mais cela peut attendre. Vois-tu, le pire est que je me sens le cœur affreusement vide et je déteste cela... Alors, en écrivant des fadaises, je me donne l’illusion.

Pendant ce temps, Bellegarde chapitrait Antoine :

— Crois-moi ! Les filles de Florence sont souvent jolies...

— Pas toutes ! Regardez plutôt la Reine ! Cette taille épaisse, ces yeux globuleux... mais je ne vais pas me lancer dans des détails qui seraient inconvenants.

— Disons que c’est un mauvais exemple. Les Médicis sont beaux en général mais il y a chez elle ce sang Habsbourg qui gâte tout et sa mère, Jeanne d’Autriche, en était une. Ce qui n’est pas le cas de celle qu’on te destine. Et puis, fais-moi confiance, une belle fortune aide à négliger bien des inconvénients !

— Sans doute, mais je ne peux pas l’aimer puisque j’en aime une autre !

— Personne ne te demande d’aimer mais d’épouser afin que ton père puisse reconstruire son château bien-aimé.

— Si le Roi le fait maréchal de France comme je l’espère, il aura les moyens d’assurer le train de vie approprié !

— N’en sois pas trop sûr ! Notre Sire est généreux avec les petites gens, ses maîtresses et aussi la Reine, par force, bien qu’elle soit plus riche que lui, mais pour le reste il est plutôt pingre. Exception faite pour son armée !

— Justement ! Maréchal de France...

— C’est un couronnement, pas un grade ! Mais revenons à tes amours. Tu as eu quantité de maîtresses, il me semble, avant de t’enticher de cette petite ?

— En effet mais je n’ai jamais désiré les épouser alors que je ne souhaite rien de mieux que d’en faire ma femme !

— Une femme dont tu seras peut-être lassé dans un an ou deux ! Surtout si elle te donne des marmots ! Le premier embellit la mère mais les suivants sont plus ravageurs habituellement ! Et si, de surcroît, vous êtes dans la gêne... Je te laisse conclure !

— Pardonnez-moi, Monsieur le Grand, mais j’ai bien peur que vous ne sachiez pas ce que c’est que d’aimer ! déclara Antoine avec le bel aplomb de la jeunesse mais en omettant sagement d’ajouter une allusion aux nombreux succès féminins du Grand Ecuyer.

Cette naïveté aurait dû faire rire ce dernier mais il n’en fut rien. Au contraire, ce fut avec une soudaine gravité qu’il dévisagea son compagnon :

— Si ! Quoi que tu en penses, j’ai aimé... la plus éclatante jeune fille qui soit et qui je crois m’aimait.

— Que s’est-il passé ? Les parents vous l’ont refusée ?

— Non. Elle était même ma fiancée mais... le Roi s’est pris pour elle d’une furieuse passion et il m’a supplié- tu entends bien ? – supplié de me retirer. Elle s’appelait Gabrielle d’Estrées !

— Oh !... Alors, elle ne vous aimait plus ?

— Si... du moins le disait-elle, mais elle a vite compris qu’elle pouvait tout obtenir de lui. Jusqu’à devenir reine de France. Ce qu’elle a bien failli être...

— Et vous avez continué de servir le Roi sans arrière-pensée ?

— Eh oui ! Vois-tu, lui aussi je l’aime. Autrement, évidemment ! J’ai trop d’admiration pour son courage, son... panache, cette incroyable ardeur à vivre et ce génie grâce auquel il a su conquérir un royaume d’abord hostile, se faire aimer quand le peuple a compris qu’il voulait lui donner une vie meilleure et lui rendre la prospérité après tant de ruines ! Et surtout la paix !

Changeant brusquement de ton, il ajouta :

— Au fait, j’y pense ! Il pourrait bien t’advenir la même aventure au cas où ta Florentine serait réellement belle ? Son cœur est libre.

— Je n’aurais guère de mérite à la lui céder... à condition qu’il lui en fasse épouser un autre !

La promenade faite à pas lents s’achevait. On était revenu aux abords du château. Bellegarde s’arrêta pour considérer la haute silhouette de son jeune ami :

— Ton père a raison ! Tu as vraiment une tête de mule béarnaise. Ce sont les plus têtues qui soient ! J’aurais dû le laisser s’acharner à t’administrer des coups de canne !

— Je ne pense pas que cela aurait changé quelque chose !

Mais Bellegarde s’éloignait déjà. L’heure du souper était proche et il devait y tenir sa place qui consistait, parmi d’autres intimes, à deviser, plaisanter si possible avec Leurs Majestés pendant qu’elles prenaient leur repas seules à une table abondamment fournie en vaisselle d’argent. La Reine, pour sa part, ne participait pas à ces conversations parfois grivoises qui l’agaçaient. Elle préférait écouter les quinze musiciens qui faisaient de leur mieux pour dominer la voix sonore et les éclats de rire du Roi. Heureusement le public – moins nombreux qu’à Paris ! – admis à contempler les agapes de ses souverains était tenu à garder le silence sinon l’antichambre royale où l’on soupait aurait ressemblé à une foire aux bestiaux...