— Restez donc tranquille ! Je ne suis pas sûre que cela vous plairait ! Moi non plus d’ailleurs. Le nouvel amour du Roi fait osciller la Reine entre l’hystérie et la peur...

— Que craint-elle ?

— D’être empoisonnée ! Si elle trépassait, le Roi ferait l’économie d’une annulation papale qui lui coûterait la peau du dos ! Alors elle fait tester tous ses plats. Elle songerait même à les faire cuisiner dans ses appartements !

— Ça, c’est à mourir de rire ! Inutile de chercher qui lui souffle ces niaiseries ! Les joyeux Concini, bien sûr ! Mais si nous causions un peu de vous, jeune dame ? Nous cancanons, nous cancanons ! Cela ne doit pas vous amuser beaucoup ?

— Plus que vous ne pensez ! J’avoue... ne guère aimer la reine Marie et chez Mme de Verneuil, on m’adresse à peine la parole.

— Pourquoi y restez-vous alors ? Venez ici ! Ce n’est pas la place qui manque. En outre, vous êtes tout à fait charmante et...

Une quinte de toux de sa sœur l’interrompit, trop forte pour être naturelle :

— Que vous arrive-t-il, Clarisse ? Il n’y a pas d’arêtes dans la longe de veau ?

— Ce... ce n’est pas cela !...

Elle le fixait et il crut comprendre :

— Ah ! Vous voulez parler de Thomas ?

— ... non ! Absolument pas !

— Je ne vois pas pourquoi on n’en parlerait pas ! Ce n’est pas parce qu’il aimerait vous épouser – ce que je comprends tout à fait ! – que cela doit vous empêcher de vivre parmi nous. A part le fait qu’il est le plus souvent à Paris et en service dans son régiment, vous ne le verrez que si vous le souhaitez... et sur le plan aussi amical que vous le voudrez. Pour ce que j’en sais, vous ne devez pas tenir le mariage en haute estime après ce que vous avez enduré ! Voyez-vous... Allons bon ! Clarisse, ça vous reprend ? Buvez un peu d’eau, que diable !

— Ce qui m’agréerait surtout c’est prendre la parole et, quand vous vous y mettez, Hubert, ce n’est pas évident ! Or, sur ce point de votre discours j’ai quelque chose à dire.

— Eh bien dites-le ! Je me tais... provisoirement !

La comtesse eut alors un sourire où entrait l’ombre d’une gêne :

— Ma chère Lorenza, vous avez dû observer que, tout à l’heure, Mme de Verneuil a désiré s’entretenir avec moi en privé... J’avoue que le procédé m’a déplu bien que le fond du propos aille dans le sens de mes vœux.

— Elle vous a parlé de moi ?

— Oui. En gros, elle m’a demandé de vous garder à Courcy quelques jours, elle-même devant s’absenter. C’était assez cavalier et j’ai préféré attendre que vous ayez vu la maison... et ce qu’elle contient avant de vous en toucher un mot car je ne veux nullement vous contraindre. Si cela ne vous convient pas...

— Oh si, cela me convient !

Elle avait dit cela si spontanément quelle rougit mais l’idée de passer un moment loin de Verneuil qui commençait à l’étouffer l’enchantait !

— Eh bien voilà ! s’écria le baron en levant son verre ! Sachez, jeune dame...

— On m’appelle Lorenza !

— J’y penserai !... Sachez donc que vous êtes doublement bienvenue ici ! Et j’espère que vous resterez longtemps ! Il faut faire préparer une chambre, Clarisse !

— Benoîte s’en occupe ! On doit y avoir porté le bagage dont un laquais avait chargé la voiture. A votre insu ! Ce que je regrette parce que je n’ai pas compris le pourquoi de cette cachotterie : Mme de Verneuil aurait aussi bien pu ne pas en faire mystère devant vous...

Elle comprit mieux quand, vers le milieu de l’après-midi, un chariot vint déposer au perron les coffres et sacs contenant la totalité de la garde-robe de la jeune femme accompagnée de deux billets : l’un pour elle, l’autre pour Mme de Royancourt. Sous une forme un brin différente – plus alambiquée pour la comtesse –, Henriette se débarrassait purement et simplement d’une invitée permanente dont la présence chez elle risquait de déplaire à la Reine.

— Déplaire à la Reine ? S’étonna Clarisse de Royancourt, perplexe. Voilà une tournure inédite, n’est-ce pas ? Jusqu’à présent, lorsqu’elle y faisait allusion, Mme de Verneuil usait de formules plus... plus...

— Plus imagées ! Compléta son frère. Qu’est-ce qui lui prend ? Je sais que la petite Montmorency l’a balayée du devant de la scène mais le Roi existe toujours, il me semble ? Et avec l’aide de Dieu, j’espère qu’il régnera encore un bout de temps en dépit des prétendues prédictions qui courent la ville et la campagne ! Vous voilà bien rouge, tout à coup, jeune dame ?

Au souvenir de ce qu’elle avait vu et entendu dans le petit bois, Lorenza en effet s’empourprait de plus en plus, affreusement mal à l’aise tout à coup et ne sachant que répondre. Raconter ce qu’elle avait surpris serait trahir la maison qui lui avait donné asile et se taire priverait peut-être un roi qu’elle aimait bien, à présent, d’une aide ou d’un avertissement capable de le sauver.

— Sauriez-vous quelque chose ? Insista-t-il.

— Ne la tourmentez donc pas, Hubert ! Ce matin encore, elle s’est réveillée sous le toit de Verneuil !

— ... qui vient de s’en débarrasser comme d’un meuble encombrant ! Que cette femme souhaite la mort d’Henri n’a rien de surprenant. Avez-vous oublié les deux conspirations tramées par son père, son frère, quelques mécontents... et elle par-dessus le marché ? Le maréchal de Biron y a laissé la tête, Entragues n’a sauvé la sienne que de justesse grâce aux charmes de sa fille, le bâtard de Charles IX végète à la Bastille sans grande chance d’en sortir avant la mort du Roi et la chère Henriette elle-même devrait être à cette heure au fond d’un couvent, le crâne rasé avec le seul droit de dire merci parce qu’elle méritait bel et bien le billot ! Tout ce beau monde complotait benoîtement l’assassinat d’Henri et de son petit Dauphin pour mettre à leur place le gamin de Verneuil avec sa maman dans le rôle de reine-mère. Alors que vous faut-il de plus ?

— Vous avez entièrement raison mais...

— Pas de mais quand il s’agit de la vie du meilleur souverain que nous ayons eu depuis des décennies ! Il nous a rendu la paix et nous l’aimons tous les deux !

Cela décida Lorenza :

— Moi aussi ! affirma-t-elle. Je ne sais pas ce que vous en penserez ni même si cela présente quelque importance...

Et elle rapporta la conversation qu’elle avait surprise. Elle avait à peine fini que le baron Hubert réagissait :

— Vous vous demandiez si cela avait de l’importance ? J’en suis persuadé, jeune dame ! L’homme vient d’Angoulême qui est dans le gouvernement du duc d’Epernon...

— Je ne le connais pas.

— Nous si ! Depuis l’assassinat du feu roi Henri III – qui n’était pas aussi mauvais qu’on s’est plu à le répandre ! – il n’a jamais aimé personne que lui-même et n’a d’autre but dans la vie qu’accumuler les biens de toutes sortes ! Plus arrogant que lui ne se peut trouver ! En le recommandant à son successeur, Henri III, qui s’illusionnait sur son compte, lui a fait – sans le savoir ! – un cadeau empoisonné. Quant aux « bons pères » auxquels l’individu a fait allusion, il ne peut s’agir que des Jésuites qui ont, là-bas, une maison prospère...

— Mais le Roi a été sacré par l’Église ?

— Oh ! Ce détail ne les dérange pas ! Et pas davantage que le Roi les ait rappelés et rétablis dans leur puissance après dix années d’exil que leur avait valu l’attentat de Jean Chastel, un de leurs élèves ! Pour eux, Henri n’est qu’un parpaillot converti pour régner. Et ils n’avaient été bannis que d’une partie du royaume. Vous voyez que ce dialogue « sans importance » que vous avez surpris en a sûrement plus que vous ne le supposez ! Et, à propos d’Epernon, vous devez connaître l’une des dames de la Reine qui s’appelle du Tillet ? On dirait même que le souvenir n’est pas fameux ? ajouta-t-il en voyant Lorenza ébaucher une grimace.

— En effet ! C’est elle qui m’a pour ainsi dire « enlevé » de l’ambassade de Toscane ! Et sans ménagement !

— Elle est la maîtresse d’Epernon !

— Et je l’ai vue venir à l’hôtel d’Entragues !

— Là vous comprenez ! Triompha le baron. En tout cas, ce qui est important aussi c’est l’allusion au sacre de la Reine !

— Il semble qu’il n’y ait pas beaucoup de chances ! Intervint sa sœur. Il paraît que le Roi ne veut pas en entendre parler et si sa bonne épouse en est à faire la cuisine dans ses appartements...

— Vous savez bien qu’elle est à moitié idiote ! Elle est enceinte, ce qui la met à l’abri de tout attentat. En admettant que son époux souhaite sa mort – ce que je ne croirai jamais, il aime trop ses enfants pour risquer d’en abîmer un ! Quant au sacre – qu’elle ne cesse de réclamer, je vous l’accorde ! –, il est peut-être plus proche que nous ne le pensons.

— Pour célébrer la naissance attendue ?

— Ou au cas où nous aurions la guerre ! Et sur ce, si nous abandonnions ces gens pour procéder à l’installation de... Lorenza ! conclut-il en tendant à la jeune fille une main où elle mit la sienne avec un sourire.

D’invitée, celle que l’on rejetait se changea rapidement en membre à part entière de Courcy... Elle s’y intégra comme la pierre tombée d’un mur qu’un maçon soigneux scelle à nouveau, avec un naturel qui ne laissa pas de la surprendre. C’était un peu comme si elle rentrait chez elle après un long et pénible voyage : une délicieuse impression de délassement et d’insouciance ! Le port tant désiré peut-être ?

Le charme du château opérait toujours. Plus élégante que vraiment fastueuse – l’or n’y coulait pas de la moindre corniche ou si peu ! –, la nouvelle demeure n’entassait pas meubles et bibelots précieux comme chez la Reine ou chez Mme de Verneuil mais donnait à chacun la place qui lui convenait le mieux pour le mettre en valeur et nuançait les couleurs selon l’effet que l’on en attendait.